Au sens propre, les " kitniyots "sont des graines de la famille des légumineuses.
On pourrait l'appeler "
la controverse de Pessah ", celle qui sépare les Ashkenazims des
Sephardims, et qui provoque la zizanie dans les familles " mixtes "qui
célèbrent ensemble le Seder.
Au sens propre, les "
kitniyots "sont des graines de la famille des légumineuses. Elles
comprennent le riz, les haricots, le maïs, le millet, le soja, les pois
et le sarrazin.
On peut dire, en gros, que la coutume sépharade autorise leur consommation
à Pessah alors que la coutume ashkenaze l'interdit.
" L'interdit pour les
Ashkenazims porte sur les graines et la plupart des légumes à
partir desquels on peut fabriquer de la farine., à l'exception des pommes
de terre " déclare le Rabbin Moshé Dombey qui enseigne la
Halacha au séminaire pour femmes de Neveh Yerushalaïm.
La Halacha interdit aux
Juifs de consommer du Hametz pendant Pessah. Toujours d'après la Halacha,
le Hametz peut provenir de 5 graines : le blé, le seigle, l'avoine, l'orge
et l'épeautre.
Les kitniyots ne sont pas
du hametz. Maïmonide écrit qu' " il n'y a pas de Hametz dans
les kitnyiots ", et donc " même si le riz était réduit
en farine susceptible de gonfler comme une pâte levée, on peut
le consommer car ce n'est pas du Hametz ".
On trouve dans le Talmud
une opinion minoritaire énonçant que le riz peut être considéré
comme du Hametz, mais la Halacha a tranché différemment. Cependant,
les Juifs marocains ne mangent pas de riz à Pessah.
" L'interdiction de
consommer des kitniyots est un minhag ashkénaze " explique le rabbin
Dombey. Un minhag, c'est une coutume. Différentes coutumes se sont développées
dans différentes communautés et ne sont contraignantes que pour
ces communautés.
Seule la Halacha est contraignante
pour tous les Juifs.
Jusqu'à la conquête
de Babylone par les Musulmans au milieu du 7ème siècle, il n'y
avait qu'une seule autorité centrale en matière de Halacha. Ensuite
les différentes communautés ont élaboré, chacune,
des réponses et des coutumes différentes.
Les kitniyots relèvent
d'un usage post-talmudique précise le rabbin Dombey.
D'après le rabbin
Shlomo Yosef Zevin dans son ouvrage " Moadim Behalacha ", la première
occurence dans la littérature halachique de l'interdit des kitniyots
pendant Pessah apparaît dans un livre du 13ème siècle, "
Sefer Mitsvot Katan ", du rabbin ashkenaze Yitzhak Ben-Yosef de Corbeil.
Rabbi Yitzhak fait référence à cet interdit non comme étant
une coutume récente, mais comme un usage établi par " les
sages d'une époque plus ancienne " indiquant donc ainsi que cet
interdit était déjà bien implanté à son époque.
L'origine exacte de cet
interdit pour les Ashkenazims de consommer des kitniyots pendant Pessah est
obscure et on y trouve au moins 11 explications différentes. La plus
communément admise relie cet usage au début du développement
de l' agriculture " moderne " qui se situe en France et en Allemagne
au 13ème siècle.
Dans ces deux pays, où
les pluies d'été sont abondantes et les hivers pas trop rigoureux,
il est possible de faire deux récoltes, une d'été et une
d'hiver. Tel n'est pas le cas dans les régions méditerranéennes
où les pluies d'été sont inexistantes. Par conséquent,
en France et en Allemagne, le cycle des récoltes est passé d'une
rotation des récoltes sur deux ans à une rotation sur trois ans.
: la 1ère année, une récolte d'hiver, la 2ème année,
une récolte d'été, et la 3ème année, une
jachère.
A peu près à
la même époque, les légumineuses (famille à laquelle
ces fameuses " graines " appartiennent) ont commencé à
jouer un rôle important dans ce système de rotation sur 3 ans.
Leur haute teneur en azote leur permettait de servir d'engrais naturel pour
fertiliser les champs épuisés en azote par la culture des céréales.
Après la moisson, des épis restaient à la surface des champs.
Certains pouvaient reprendre racine. Si, une année, on plantait du blé
et l'année suivante des haricots, il était possible que des épis
de blé soient récoltés en même temps que les haricots
et s'y trouvent mélangés.
L'interdit des kitniyots
s'est développé à partir de là. Dans les pays de
tradition sépharade, la rotation des cultures n'existait pas, il n' y
avait aucune raison que cette coutume se développe.
D'autres érudits
pensent que relier l'interdiction des kitniyots à la rotation des cultures
est un pur artifice, une tentative d'associer une coutume née de raisons
totalement différentes, à l'interdiction de manger du hametz.
Le rabbin Ariel Holland qui enseigne le Talmud à MATAN, à Jérusalem,
pense que cette coutume pourrait avoir comme origine une lecture erronée
d'un texte de Maïmonide concernant la cuisson dans du jus de fruit.
Il est clair aujourd'hui,
que Maïmonide avait à l'esprit les 5 céréales, mais
certains érudits ont pensé qu'il se référait aux
kitniyots. Les Sephardims s'appuient sur ce texte pour autoriser la consommation
de Matsa Achira (matsa enrichie) que les Ashkenazims interdisent également.
Toutefois, les kitniyots
n'étant pas du hametz, les Ashkenazims sont autorisés à
en manger dans certaines circonstances exceptionnelles (en période de
famine ou de grande misère) à condition qu'elles soient au préalable
cuites à l'eau bouillante.
C'est ainsi qu'à plusieurs occasions, y compris pendant la seconde guerre
mondiale (Pessah 1942), le Grand Rabbinat d'Eretz Israël a autorisé
la consommation de kitniyots par les Juifs Ashkenazes en détresse.
Il existe de nombreux désaccords
et divergences d'opinions en ce qui concerne la consommation d'huiles dérivées
de kitniyots. De nombreux rabbins interprètent l'interdiction des kitniyots
comme portant uniquement sur les graines et non sur les dérivés
; ils autorisent donc les huiles provenant de kitniyots. Lorsque le premier
grand rabbin d'Eretz Israël, Avraham Itzhak Kook, était encore grand
rabbin de Jaffa, il avait provoqué une controverse en autorisant l'huile
de sésame pour Pessah. Avant lui, d'autres autorités religieuses
avaient autorisé les huiles dérivées des kitniyots pour
allumer les lampes pendant Pessah.
L'interdiction des kitniyots
a été controversée dès les premiers temps de son
existence. Rabbi Samuel de Falaise, un des premiers à mentionner ce minhag,la
qualifie de " coutume erronée " et Rabbi Yeruham de "
coutume ridicule ". De nombreuses autorités rabbiniques ont voulu
l'abolir mais le minhag s'est maintenu.
Et il s'est non seulement
maintenu, mais a été étendu (à différentes
périodes et par différentes communautés) à l'ail,
à la moutarde, aux graines de tournesol et d'arachide, à l'huile
de canola, etc
On trouve dans le "
Hayei Adam ", un abrégé populaire des lois juives, par le
rabbin Avraham Danzig (1748-1820), un interdit intéressant portant sur
les pommes de terre, classées comme kitniyots, note le rabbin Holland,
de MATAN ; il partait du fait qu'on pouvait faire de la farine avec des pommes
de terre, et donc il les interdisait. Plus personne ne raisonne ainsi aujourd'hui.
Il y a 12 ans, le mouvement Massorti d'Israël a décidé que
" les Ashkenazims et les Sephardims peuvent consommer des kitniyots et
du riz à Pessah, sans crainte de transgresser quelqu'interdit que ce
soit ".
Le mouvement Massorti justifiait
sa décision en citant les objections de diverses autorités rabbiniques
qualifiant le minhag d' " erroné " et de " ridicule ",
en insistant sur le fait qu'il atténuait la joie de la fête en
limitant les nourritures autorisées et en mettant l'accent sur l'accessoire
(les kitniyots) tout en ignorant l'essentiel (le hametz). Le mouvement Massorti
ressentait cet interdit comme causant une division inutile entre les diverses
composantes ethniques d'Israël.
Il s'agit d'un minhag vieux de plus de 700 ans et qui concerne le monde Ashkenaze tout entier.
Le rabbin Holland conteste
cette décision : " je pense que le critère n'est pas de savoir
si cette coutume est ridicule. Il s'agit d'un minhag vieux de plus de 700 ans
et qui concerne le monde Ashkenaze tout entier. Les raisons de son origine n'ont
plus aucune importance. C'est aujourd'hui la halacha et la norme pour les Juifs
Ashkenazes. "
Le rabbin Dombey partage
son opinion : " Une fois qu'une communauté adopte un usage, quelle
qu'en soit la raison, cette action se trouve consacrée par une dynamique
spirituelle qui lui imprime un sens. Pour ces communautés, cet usage
devient contraignant. "
Les coutumes sont une source
d'énergie spirituelle. Elles constituent un lien entre les générations.
Les gens se déplaçaient peu jusqu' il y a une soixantaine d'années.
Ils vivaient dans les mêmes communautés, suivaient les mêmes
traditions pendant des centaines d'années. Les bouleversements que le
monde juif a subi depuis la 2ème guerre mondiale ont conduit à
un désir de renforcer les liens avec le passé. Une des voies pour
y parvenir est de respecter le minhag de nos ancêtres.
Les divisions ne se produisent que lorsqu'il n'y a pas de respect mutuel des coutumes de chacun.