Dans le traîté talmudique Chabath(21a) les Sages posent la question suivante: "Qu'est-ce que Hanoucca? Réponse: Lorsque les Grecs pénétrèrent dans le Sanctuaire, ils rendirent impures toutes les huiles qui s'y trouvaient. Après la victoire des Hasmoneens, ces derniers constatèrent qu'il ne restait plus qu'une seule fiole d'huile avec le sceau du Grand Prêtre et que celle-ci ne pouvait servir qu'à l'allumage d'un seul jour. Il se produisit alors un miracle et elle brûla pendant huit jours. L'année suivante, ils fixèrent huit jours de fête pour louer (Hallel) et remercier (Hodaa)."
Le Tour, l'un des décisionnaires les plus importants de la loi juive, indique que faire à Hanoucca plus de repas qu'à l'accoutumée ne relève pas d'une obligation halakhique. Il en veut pour preuve le passage talmudique que nous venons de citer et qui ne tient pour obligatoire que la Louange (Hallel), la reconnaissance (Hodaa) et nullement la joie et les repas qui lui seraient afférents.
Maïmonide écrit quant à lui:" Les sages de l'époque ont prescrit que le 25 du mois de Kislev et les 8 jours qui suivent soient des jours de louanges (Hallel) et de JOIE." ( Lois de 'Hanoucca: chapitre 3; halakha 3).
Pour certains commentateurs, la joie dont parle ici Maïmonide fait référence aux repas de fête qui relèveraient selon lui d'une obligation. Cette décision paraît surprenante en regard du texte talmudique ( Chabath: 21a) dans lequel il n'est nullement fait référence de façon explicite à la joie et au repas de fête.
Plus encore: pour le Talmud, ce qui a justifie la fête de 'Hanoucca, c'est le miracle de l'huile. En revanche, pour Maïmonide, la raison première de 'Hanoucca, et par voie de conséquence, de la joie et du repas, c'est la victoire d'Israël sur les Grecs et le retour de la royauté sur la terre d'Israël; le miracle de la fiole d'huile n'intervenant que dans un second temps.(Lois de 'Hanoucca: chapitre 3,halakha 1 et 2).
A priori, la vision de Maïmonide paraît plus évidente et se justifie par le fait qu'il est plus important de prime abord de rester en vie que de pouvoir allumer une fiole avec de l'huile, fusse-t-elle sacrée.
Nous pourrions peut-être expliquer que pour Maïmonide la question talmudique: "Qu'est-ce que 'Hanoucca?" ne concerne pas les raisons qui fondent la fête au sens strict, mais la raison pour laquelle nous avons l'obligation de louanges (récitation du Hallel) et de reconnaissance ( Hodaa). Il n'en reste pas moins que la victoire militaire sur les Grecs justifie pleinement la joie et ses repas de fête.
Pour Maïmonide, la fête de 'Hanoucca relèverait de deux dimensions: la louange pour le miracle de l'huile et la joie pour le sauvetage du peuple d'Israël. Cette deuxième dimension n'est pas un choix arbitraire de Maïmonide, mais une décision clairement justifiée par le rituel dans la fameuse prière de Al Hanissim récitée tout au long de la fête. Du reste, un lien profond unit la joie, les repas et le sauvetage du peuple juif. La joie associée au repas exprime une réponse logique à ce qui fut un risque bien réel d'extermination physique. Se réjouir dans un repas, c'est marquer concrètement l'idée de la vie. Pris sous cet angle, 'Hanoucca exprimerait une symbolique similaire à celle de Pourim où le festin occupe une place centrale et ce pour la raison évidente que l'objectif principal et clairement avoué d'Haman était l'extermination physique du peuple juif.
Le miracle de l'huile se rattache quant à lui à un miracle aux implications essentiellement spirituelles. Il est donc logique que ce qui le représente et le symbolise soit la louange (Hallel). Les seules obligations qui furent finalement retenues par les décisionnaires sont celles de la louange (récitation du Hallel) et de la reconnaissance (Hodaa) comme si au fond seule la dimension spirituelle importait au regard de l'impératif halakhique, la dimension matérielle (se réjouir en faisant un repas) ne relevant dans ses modalités commémoratives que d'un choix facultatif et personnel (rechout).
Alors que toutes les fêtes juives associent dans leur mode de célébration les dimensions physiques et spirituelles, 'Hanoucca se distingue par l'accent mis sur la victoire idéologique sur la culture grèque.
Ceci confère à la fête de 'Hanoucca un statut et une caractéristique tout a fait particulier par rapport aux autres fêtes juives. En effet, toutes les fêtes de la Thora contiennent sinon une exigence de joie, au moins la nécessité d'un repas de mitzva et ce, même pour Yom Kippour dont le repas qui précède le jeûne a une valeur égale au jeûne lui-même.
Seule 'Hanoucca fait exception à la règle et ne se concentre que sur des aspects essentiellement spirituels: l'allumage d'une flamme dont le symbole immateriel prime, le Hallel et la Hodaa. Ceci ne veut évidemment pas dire que la dimension spirituelle est absente des autres jours de fête et celle matérielle de 'Hanoucca. A 'Hanoucca l'accent est mis de façon primordiale sur l'aspect spirituel, tandis que pour les autres fêtes, le materiel doit immanquablement s'associer au spirituel.
Sans doute pourrait-on dire que la survie spirituelle du peuple juif à 'Hanoucca importait et importe aujourd'hui encore plus que son sauvetage physique. Touché dans la chair même de ses valeurs, aucun "alibi" matériel ne pouvait prendre le dessus et affirmer une quelconque préséance de la vie physique sur les valeurs spirituelles. La mesirout nefech (la capacité à faire don de sa personne) primait sur le pikouah nefech (primauté de la vie sur tous les impératifs halakhiques). Renoncer, se soumettre aux exigences idéologiques des Grecs revenait à faire perdre toute consistance, toute assise, toute raison d'exister au peuple d'Israël.