Après la chute du
système soviétique, des intellectuels
tels que l’américain d’origine japonaise F. Fukiyama, pensaient
que nous étions arrivés à la fin
des conflits humains et que nous allions entrer dans une période d’ennui
où l’Histoire semble s’arrêter. Mais c’était
oublier les tensions latentes d’origine religieuse, ethnique, nationaliste,
territoriale qui ont été partiellement voilées par le
conflit politique et idéologique, Est-Ouest.
La fin soudaine de ce conflit
a laissé libre cours à l’apparition
de tensions, étouffées jusqu’alors, dont les causes, la
forme et les conséquences évoquent des temps anciens.
Le génie de certaines organisations terroristes a été d’avoir
compris avant les Etats institués tout le parti qui pouvait être
tiré des nouvelles technologies et de l’Internet, dans la constitution
de réseaux virtuels, de groupes intelligents au sens technique du terme,
et surtout, volatils. Elles ont recours aux moyens de propagande et de communication
les plus modernes, ainsi qu’à une sémantique subtile où les
mots ayant une forte charge émotive pour l’Occident sont inversés
en leur faveur. La victimisation permanente, sans aucune critique des chefs
ou des autorités en place, devient la règle. Cette victimisation
est le rideau qui cache la volonté pour certains d’imposer leur
propre vision du monde.
Malheureusement, un grand
nombre d’intellectuels des pays démocratiques
s’y laissent prendre allant même jusqu’à renier leurs
propres convictions, comme par exemple le terrorisme, la laïcité,
ou encore l’existence de dictatures dites républicaines.
En quoi dans ce cadre,
le sacrifice d’Isaac nous aide à réfléchir
sur les évènements récents ?
La foi d’Abraham est inébranlable et pourtant Dieu va lui faire
subir la plus pénible épreuve qu’un homme de foi et un
père peut subir : le sacrifice ou ligature d’Isaac, le fils bien
aimé de sa vieillesse et unique de son épouse Sarah.
Certains de nos sages montrent
qu'en fait, il s'agit d'une leçon que
Dieu veut donner aux hommes à travers Abraham et l'épreuve qui
lui est imposée. La foi, quelle que soit la croyance sous-jacente, doit
avoir une limite : celle de ne porter atteinte à aucun être humain,
a fortiori sa propre chair, pour montrer ou éprouver cette foi.
Le texte fait ressortir qu’Isaac, conscient de l’épreuve
que subit son père, marche à ses côtés avec sérénité.
Ce qui est étonnant, c’est cette sérénité.
Croyaient-ils vraiment que le sacrifice irait jusqu’au bout ? L’incertitude
semble entière. Ils marchent ensemble. Cette impression de sérénité est
analogue à celle d’élèves qui se laissent guider
par leur Maître en qui ils ont pleine confiance.
Ils attendent un enseignement
dans cette montée du Mont Moriah.
Le chiffre trois apparaît plusieurs fois, Abraham répond trois
fois « Me voici ! », à Dieu, à son fils et à l’ange.
Au troisième jour, il aperçoit « l’endroit dans le
lointain ». Une analyse rapide conduirait à déduire qu’il
s’agit du Mont Moriah. Mais plus profondément, nos sages dans
le Zohar nous disent qu’Abraham a entraperçu Jacob le troisième
Patriarche. En effet, à la fin de ce récit poignant, la paracha
Vayéra nous indique, un peu comme un cheveu dans la soupe, qu’on
vient exposer à Abraham la lignée d’une branche parallèle
de sa généalogie. Pas si fortuite que cela, car dans cette généalogie
est évoqué le nom de Rébecca, la future mère de
Jacob, c'est-à-dire Israël.
La préparation du sacrifice est décrite avec force détails,
tout est prêt, Abraham lève la main tenant le couteau, Isaac est
docile, un peu comme les enfants munis d’une ceinture explosive que l’on
envoie au « martyre », il accepte et adhère à la
volonté de son père. Mais le bras d’Abraham est bloqué.
Par Qui, par quoi ?
La Torah dit : par l’ange de Dieu . Les non croyants pourraient interpréter
en disant : par sa conscience.
Abraham serait-il resté dans la Torah s'il était allé jusqu'au
bout de son acte? Il aurait été plutôt désigné comme
le premier intégriste (au sens contemporain du terme) dans l'Histoire
des hommes qui est déjà dramatique, mais qui serait devenue tragique.
Le même récit se retrouve plus brièvement dans le Coran,
Isaac étant remplacé par Ismaël (sourate 37).
Ce thème a probablement inspiré et conduit certains philosophes
et écrivains humanistes du XXème siècle, qui ont gardé leur
lucidité, comme par exemple Albert Camus ou Raymond Aron, à mettre
en avant le fait qu’aucune foi, qu’aucune fin, ne peuvent justifier
des moyens qui mettent en jeu volontairement des vies innocentes.
Golda Meir disait :
–
Nous pardonnerons tout à nos ennemis, sauf de faire intervenir des
enfants dans nos conflits.
Moïse a donné par les dix paroles les règles, déclinées
en mitzvots, que doit suivre l’homme dans la société. Leur
respect strict doit amener progressivement l’Humanité aux temps
messianiques.
Dans la disposition des
dix paroles, le sixième commandement - Tu ne
commettras pas d’homicide - fait face à la déclaration « Je
suis l’Eternel, Ton Dieu », car l’homme a été fait à l’image
de Dieu. Il n’est pas fortuit, ni anodin que les législateurs
de la Révolution française aient donné au texte des Droits
de l’Homme et du Citoyen, la forme des tables de la Loi.
Le peuple juif en suivant
l'ensemble des commandements édictés
dans la Torah et en enrichissant leur compréhension prépare à cet
avènement. Mais l’Histoire a montré les difficultés,
les obstacles auxquels ont été confrontés les prophètes
pour diffuser l’enseignement de la Torah, y compris au sein de leur propre
peuple.
Le judaïsme est seul à reconnaître que des hommes, les prophètes
et les justes des nations, peuvent rencontrer Dieu et être ainsi partie
prenante dans l’économie du salut en dehors du judaïsme lui-même.
Le judaïsme est aussi amour "Tu aimeras l’étranger
comme toi-même, car tu as été esclave en pays d'Egypte" (Deutéronome
10,19), c'est un amour de solidarité, et non un amour étouffoir.
Le salut n’est pas seulement dans la solidarité et la fraternité des
hommes, il est aussi dans l’étude des sources et de leurs commentaires
qui permet la délivrance et la liberté.
Les sociétés modernes doivent affronter le double défi
lancé par les intégrismes et les terrorismes aveugles.
D’abord d’un point de vue technologique, mais cela n’est
pas le plus difficile.
Puis, et surtout, d’un point de vue éthique; la foi, pour les
terroristes, excuse tout. Le thème de la ligature d’Isaac, dans
les limites qu’il définit à la foi, dénie à toute
organisation et à tout homme le droit de tuer et de contraindre autrui
au nom de la foi.
Pour conclure : cette réflexion que l’on trouve dans le Talmud
: « Invoquer la pitié pour les méchants, et chercher à tout
prix des raisons à leurs actes criminels, c’est faire tort aux
innocents et aux justes ».