Est-ce l'effet de la canicule
? Durant l'été, plusieurs journaux se sont posés la question
de Dieu, ou pour être plus précis de sa domiciliation. Marianne
dans son numéro du 18 août titrait : " On sait enfin où
habite Dieu " tandis que le Science et Avenir de septembre annonçait
non moins péremptoirement : " Dieu habite le cerveau droit ".
Sans oublier le mensuel économique Les Echos qui dans son numéro
spécial de juillet-août proposait tout un dossier fort bien documenté
sur " Dieu : la valeur qui monte ".
Ce regain de spiritualité
journalistique doit beaucoup aux recherches menées ces dernières
années par les scientifiques américains, les docteurs Eugene d'Aquili
et Andrew Newberg, qui ont testé les ressorts neurologiques de la foi
dans une étude publiée sous le nom : " Pourquoi Dieu s'accroche
? "
Poussés à l'extrême, les neurones durant une expérience spirituelle intense se " désynchronisent ", " court-circuitent " le lobe gauche et déclanchent " le grand flash
Après maintes expériences
menées sur des " cobayes " en prière ou " en état
d'extase ", ces chercheurs ont constaté, IRM à l'appui, que
les faisceaux des neurones situés dans le lobe pariétal supérieur
s'éteignaient au moment de la communion totale avec le Divin. Cette région
du cerveau est connue pour traiter les informations sur l'espace et le temps.
Si ces dernières ne lui parviennent plus, la distinction entre le moi
et le non moi ne se fait plus et le sujet a tôt fait de se percevoir comme
un tout sans fin en symbiose avec toute chose. Poussés à l'extrême,
les neurones durant une expérience spirituelle intense se " désynchronisent
", " court-circuitent " le lobe gauche et déclanchent
" le grand flash ".
Ces découvertes et
l'engouement qu'elles provoquent suscitent plusieurs remarques :
- D'après elles,
le croyant subit un phénomène de court-circuitage et de désynchronisation
qui débouche sur une sorte d'état second où il perd
pied et s'illumine voire s'aveugle par ce qu'il croit être le Spirituel
en lui. Rien n'est plus étranger à l'esprit de la Torah que
cette idée de trip, de flash et d'envoûtement
La Torah
ne cultive pas la " déconnexion ", mais plutôt l'attention
et la vigilance, un enracinement permanant dans la réalité
intérieure, humaine et sociale.
- On peut se demander
également si l'idée d'un lieu assigné à Dieu,
cette volonté, cette volonté de " théo-topographie
" ne relève pas directement ou indirectement d'une tentative
de démystification du sentiment religieux et de toute forme de spiritualité.
Pour le judaïsme, Dieu ne peut être localisé car il est
le Lieu par excellence. Son nom est Makom, le Lieu dans le sens où
le monde est Son lieu et non Lui qui réside quelque part dans le
monde. En d'autres termes, il est le Lieu du monde. Si l'homme Le "
trouve ", c'est partout en lui, et partout dans le monde.
- Si une part essentielle de lui-même, sa Néchama, son âme,
l'aide à le faire, cette part n'est pas localisable, car elle est
faite du souffle divin qui réside en toute humanité mais jamais
assujettie à une quelconque matière. Ces découvertes
qui visent à matérialiser l'immatériel en le réduisant
à des dimensions physiques, physiologiques et biochimiques "
désidéalisent " et désacralisent plus ou moins
consciemment la texture spirituelle et morale du monde. Aujourd'hui tout
est affaire de glandes et de sécrétions : l'amour, la haine,
la foi.
- En réduisant
les valeurs à des hormones, ces scientifiques installent le sentiment
latent de la déresponsabilisation. Au fond, suis-je responsable de
mes neurones ? Si l'homme est agi par sa morpho-biologie, il n'est plus
maître de ses choix, de ses désirs et ce qui est plus grave
de sa volonté éthique qui se réduit à une certaine
configuration de son cortex.
Le vingtième siècle
tout en se disant héritier des plus hautes valeurs de la Raison a élaboré
trois des plus grands systèmes tragiques de l'Histoire, trois systèmes
où planent de façon plus ou moins évidente l'ombre de la
fatalité. Le nazisme définissait l'homme par sa race, le marxisme
par sa classe et toute proportion gardée la psychanalyse considère
que ce sont l'Inconscient et la libido infantile qui sont les grands moteurs
de l'âme humaine.
Pour le judaïsme, l'essentiel de l'homme réside dans sa capacité à vouloir, à choisir et à changer.
Pour le judaïsme, l'essentiel
de l'homme réside dans sa capacité à vouloir, à
choisir et à changer. Aucune fatalité ne pèse sur lui dès
lors qu'il le décide, dès lors qu'il accepte de se voir tel qu'il
est. L'étude, un travail permanent de sollicitation lucide de la conscience,
le rapport à l'autre comme finalité primordiale font de l'homme
un être agissant, nullement téléguidé par ses hormones,
ses pulsions ou ses réflexes de classe.
La philosophie Chantal Delsol
constate dans Les Echos : " On en était resté à l'idée
de progrès avec un grand P et avec l'idée marxiste selon laquelle
la religion était destinée à s'effacer avec la conquête
par l'homme de son autonomie. Or c'est justement la chute du communisme qui
nous révèle à quel point nous ne pouvons nous passer de
Dieu, parce que nous sommes des hommes et que nous sommes toujours mortels.
"
Ce besoin de Dieu ne saurait
être réduit à une aire délimitée par des neurobiologistes,
car le triomphe du scientisme, tout en libérant des scrupules de la culpabilité,
instaurerait en définitive un monde de solitude triste uniquement fait
de matérialité et de rationalité.
Si Dieu est aujourd'hui
" une valeur qui monte " c'est bien parce que l'homme est par essence
un être métaphysique en lutte contre les désenchantements
du monde matériel et scientifique.