La
cinquante-deuxième
conversion
J’ai appris de divers Anciens qui ont quitté l’Espagne qu’un
certain bateau avait été frappé par une épidémie.
Le capitaine s’est débarrassé de ses passagers en les débarquant
sur une terre déserte, à un endroit totalement inhabité,
et la plupart y sont morts de faim. Quelques-uns ont réussi à trouver
les forces nécessaires pour marcher jusqu’à ce qu’ils
aient trouvé un endroit habité.
Un Juif, accompagné de sa femme et de deux fils, avait décidé de
marcher, mais comme sa femme n’était pas habituée à l’effort,
elle s’évanouit et mourut. L’homme a alors porté ses
deux fils, jusqu’à ce que lui et ses deux fils défaillissent
aussi d’inanition. Quand il a repris connaissance, il a vu que ses deux
fils étaient morts. Dans son désespoir, il s’est dressé sur
ses pieds et a dit : « Maître de l’Univers ! Tu as fait beaucoup
pour me faire abandonner ma religion. Je veux que tu saches clairement que,
malgré les efforts déployés par le Ciel, je suis juif
et resterai juif, et quoi que tu aies fait ou fasses encore contre moi ne servira à rien
! » Il a alors pris de la terre et a enterré ses fils, puis il
a continué de chercher un endroit habité.
Les Juifs n’ont pas attendu leurs propres morts, et chacun est resté occupé de
sa propre détresse, sans prêter attention à celle de son
voisin.
La
cinquante-troisième
conversion
Ceux qui sont allés à Fez se sont vu infliger de grandes souffrances
par Hachem, que Son Nom soit béni, et surtout une faim épouvantable.
Les habitants du lieu ont refusé de leur permettre d’entrer dans
les villes de peur d’un renchérissement du prix des denrées
alimentaires, de sorte qu’ils ont été obligés de
vivre dans les champs et sous des tentes. Ils ont cherché à brouter
de l’herbe, mais n’en ont pas trouvé, parce que le climat était
si sec qu’il n’y avait rien, à part quelques pousses isolées.
Beaucoup sont morts là, sans personne pour les enterrer. Quant à ceux
qui sont restés en vie, ils étaient dans un état de grande
faiblesse, tellement ils étaient affamés. Le Chabbath, ils broutaient
avec leurs bouches, car il est interdit, ce jour-là, de rien arracher
du sol avec les mains.
A cette époque-là est survenu un événement comme
on n’en avait jamais entendu parler. Un Arabe est arrivé et, voyant
une belle jeune femme juive, il l’a violée devant ses parents.
Une demi-heure plus tard, il est revenu avec une lance et a éventré la
jeune femme. Ils lui ont dit : « Cruel individu ! Pourquoi avez-vous
fait cela ? » Il a répondu : « J’avais peur qu’elle
puisse devenir enceinte, et son enfant aurait été élevé comme
un Juif. » Ecoutez et voyez ! Est-il jamais arrivé une telle chose
dans le monde, ou en a-t-on jamais entendu parler ?
Là aussi une femme a vu son fils défaillir, et comme elle n’avait
rien pour l’alimenter, elle a soulevé une grande pierre qu’elle
lui a jetée à la tête, afin de le faire mourir. Après
cela, elle s’est flagellée jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Par David Raphaël
p. 97 et 98
Section X : Le sceptre de Juda (Chévèt Yehouda 1520 ; publié par
son fils en 1554)
Texte de Salomon Ibn Verga (env. 1450-1520)
Traduction et adaptation
de Jacques KOHN