| | Mahomet a réagi avec colère quand les Juifs refusèrent de le reconnaître comme le dernier des prophètes. | Dans
notre précédent chapitre, nous avons longuement évoqué l’impact
exercé par la judaïsme sur les intellectuels romains antérieurement à l’avènement
du christianisme. De même, les Juifs qui vivaient dans la péninsule
arabique ont exercé une influence considérable sur leurs voisins
arabes.
Lorsque les Juifs se sont révoltés contre l’Empire Romain,
certains ont fui dans des régions non soumises à Rome et ont
fondé en Arabie beaucoup de villes et de villages. Une ville très
célèbre, Yathrib, a presque certainement été fondée
par des Juifs. Yathrib est aujourd’hui mieux connue sous le nom de Médine,
considérée comme la deuxième ville sainte de l’islam,
après La Mecque.
Tout comme à Rome, les Juifs locaux attiraient à leur mode de
vie beaucoup de convertis et encore bien plus d’admirateurs.
M. Hirsch Goldberg, dans Jewish Connection (p. 33), résume l’histoire
du monde arabe avant le début du septième siècle :
En Arabie, des tribus entières se sont converties au judaïsme,
y compris deux sortes de Himyarites (peuple du sud de l’Arabie). Ernest
Renan, le critique français de la Bible, remarquait qu’il s’en
est fallu de très peu que toute l’Arabie soit devenue juive.
Un de ceux que l’attachement intransigeant des Juifs au monothéisme
a le plus impressionné a été un jeune négociant
nommé Mohammed ibn Abdallah. Dans les premières étapes de son réveil spirituel, Mahomet a été grandement impressionné par les Juifs. Bien que ses voyages l’aient mis au contact du christianisme et qu’il
en ait fortement subi l’influence, il lui trouvait des aspects inacceptables.
C’est ainsi que la doctrine de la Trinité ne lui semblait pas
strictement monothéiste. Voici ce qu’il aurait dit à son
sujet :
Les incroyants sont ceux qui disent : « Allah est le Messie, le fils
de Marie ! »… Les incroyants sont ceux qui disent : « Allah
est un de trois ! » Il n’y a qu’un seul Dieu. S’ils
ne renoncent pas à de telles affirmations, ceux d’entre eux qui
ne croient pas seront sévèrement punis. (Coran, Sourate 5, 71 à 73)
Il ne fait aucun doute que, dans les premières étapes de son
réveil spirituel, Mahomet a été grandement impressionné par
les Juifs. Voici ce qu’écrit S. D. Goiten dans Jews and Arabs
(p. 58 et 59) :
Les valeurs intrinsèques de la croyance en un Dieu unique, créateur
du monde, Dieu de justice et de pitié, devant Lequel chacun, qu’il
soit de rang élevé ou modeste, assume une responsabilité personnelle,
sont venues à Mahomet ce qu’il n’a jamais cessé de
proclamer d’Israël.
Il possédait certainement une certaine connaissance de la Tora, puisqu’il
a cité Moïse parfois inexactement il est vrai plus
de cent fois dans le Coran, le livre sacré de la religion qu’il
a fondée. Des 25 prophètes énumérés dans
le Coran, 19 sont de souche juive, et beaucoup de lois rituelles de l’islam,
comme la circoncision et l’interdiction de manger du porc, reproduisent
celles du judaïsme.
Les enfants d’Ismaël
Par son étude, Mahomet est parvenu à la conclusion
que les Arabes étaient
les autres enfants d’Abraham issus de la souche de son fils
Ismaël,
né de la servante égyptienne Hagar et qu’ils
avaient oublié les enseignements du monothéisme dont ils avaient
hérité jadis.
Il a considéré que sa mission consistait à les y ramener.
Paul Johnson, dans son History of the Jews (p. 167), explique :
Ce que Mahomet semble avoir voulu faire, c’est détruire le paganisme
polythéiste de la culture d’oasis en inculquant aux Arabes le
monothéisme éthique juif dans un langage qu’ils pourraient
comprendre et dans des termes adaptés à leur mode de vie. Il
acceptait le Dieu des Juifs et leurs prophètes, l’idée
d’une loi fixe énoncée dans l’écriture le
Coran étant un substitut arabe de la Bible et l’ajout
d’une Loi Orale mise en œuvre par des tribunaux religieux.
Il ne fait aucun doute que le monde arabe dans lequel était né Mahomet
manquait gravement de valeurs morales et de réforme sociale. La Mecque était
alors le siège d’un culte païen. Les tribus de la région
y adoraient un panthéon de dieux, incluant Al Lat, la déesse
du soleil, et Al Uzza, une déesse associée à la planète
Vénus, toutes deux étant les filles d’une divinité principale,
connue sous le nom de Al Ilah, (Allah) ou « le Dieu ». A La Mecque se trouve la Kaaba, sanctuaire qui entoure la célèbre météorite noire, jadis objet d’une adoration païenne. La Kaaba, sanctuaire qui entoure la célèbre météorite
noire jadis adorée à La Mecque avant l’époque de
Mahomet, était jadis un autel où des sacrifices de sang étaient
offerts à ces dieux et à d’autres.
La moralité des tribus voisines peut être décrite comme
ayant été, à tout le moins, chaotique. Huston Smith, dans
son ouvrage classique The Religions of Man, (p. 219) va jusqu’à qualifier
la société arabe d’avant la venue de Mahomet de « barbare ».
Seules comptaient les loyautés tribales ; rien ne servait, en dehors
d’elles, à adoucir les querelles de sang, les bagarres d’ivrognes
et les orgies qui scandaient la dure existence dans le désert.
La vision de Mahomet
Mahomet était indigné par la réalité cruelle
qui l’entourait. En l’an 610, à l’âge de quarante
ans, il se réfugia dans une grotte du désert où, selon
la tradition musulmane, il perçut une série de visions mystiques,
et notamment des révélations de l’ange Gabriel. Il revint
du désert imprégné du sentiment d’avoir été investi
de la mission spirituelle de transformer la société païenne
qui l’entourait.
Prêchant qu’il soit mis fin à la débauche, que l’on
fasse régner la paix, la justice et la responsabilité sociale,
Mahomet recommanda une amélioration du sort des esclaves, des orphelins,
des femmes et des pauvres, et il remplaça les loyautés tribales
par la fraternité d’un nouvelle foi monothéiste, qu’il
appela l’islam, ce qui signifie « se rendre à Dieu »,
dans le sens de : « répondre à la volonté ou à la
loi de Dieu ».
L’islam, selon Mahomet, repose sur cinq piliers :
La foi en un seul Dieu (« Il n’est pas d’autre Dieu
qu’Allah »).
La prière (cinq fois par jour).
La charité (2,5 % du revenu).
Le pèlerinage à La Mecque, appelé Hadj (une fois dans
sa vie).
Le jeûne (un jeûne depuis l’aube jusqu’au crépuscule
pendant les trente jours du mois de Ramadan).
Un sixième pilier a été ajouté plus tard : La guerre
sainte, appelée le djihad. A signaler que le mot djihad, à l’origine,
signifiait : « la lutte intérieure entre le bien et le mal ».
C’est plus tard qu’il s’est transformé en une « guerre
extérieure contre le monde non musulman ».
Au début, Mahomet n’attira que très peu de fidèles.
Après trois ans, il avait à peine quarante adeptes. Mais, imprégné comme
il l’était par la passion qui a toujours caractérisé les
véritables grands visionnaires, il ne renonça pas. Et peu à peu,
il s’entoura d’un groupe important de fidèles.
Plus il recrutait de fidèles, plus il attirait l’attention, et
avec elle l’hostilité. Les marchands de La Mecque, dont le gagne pain
dépendait des sites et des rites païens de la ville, n’étaient
pas enclins à le suivre. Une conjuration fut ourdie contre Mahomet,
mais celui ci prit la fuite au dernier moment.
Tandis que la persécution des Musulmans battait son plein à La
Mecque, la ville de Yathrib était en butte à des dissensions
internes, et une délégation confia au prédicateur ardent
de La Mecque la mission d’y rétablir l’ordre. Après
avoir obtenu des représentants de la ville la promesse qu’ils
n’adoreraient plus qu’Allah, Mahomet consentit à faire le
déplacement. Son voyage à Yathrib en 622, l’an 1 (« AH
1 » anno hegirae) du calendrier musulman, a été immortalisé sous
le nom de l’hégire.
Sa vie était sauve et de nouveaux horizons s’ouvraient à ses
enseignements. C’est à Yathrib avant qu’elle prenne
le nom de Médine : « la ville du prophète » que
l’islam commença de se développer pour de bon.
Après avoir fait de Médine son bastion, Mahomet mobilisa une
armée de 10 000 hommes et, en 630, se lança à l’attaque
de La Mecque, dans le dessein de purifier la Kaaba et d’en faire un lieu
de culte du Dieu unique, Allah.
Son succès est resté inscrit dans la légende. A sa mort,
deux ans plus tard, toute l’Arabie était islamisée.
Mahomet et les Juifs
Le seul obstacle que Mahomet avait rencontré à Médine comme
ailleurs était les Juifs, ceux ci étant peu disposés à accepter
sa version arabe du judaïsme. Tout comme ils avaient jadis rejeté le
christianisme, de même ont ils repoussé l’islam.
A noter cependant que les Juifs ont eu beaucoup moins de conflits avec l’islam
qu’avec le christianisme. L’islam est une religion purement monothéiste,
tandis que le christianisme incorpore beaucoup de données issues de
la mythologie païenne. L’islam ne prétend pas que Mahomet
a été un « dieu » ou un « fils de Dieu »,
ou que Dieu est composé de trois parties. L’islam respecte beaucoup
de lois et de coutumes d’origine juive, contrairement au christianisme
qui a désavoué la loi de la Tora pour la remplacer par la foi
en Jésus. Le point d’accord le plus important a été qu’Abraham était le père tant des Juifs que des Arabes. Le point d’accord le plus important a été qu’Abraham était
le père tant des Juifs (par son fils Isaac) que des Arabes (par son
fils Ismaël). Cela en a fait des peuples demi frères. Mais le principal
désaccord est venu sur le point de savoir si Mahomet était effectivement
le dernier des prophètes que Dieu avait envoyés, et si sa parole était
la révélation finale. Les Juifs ne pouvaient admettre pareille
allégation.
Mahomet a ressenti douloureusement ce rejet, et il a réagi avec hostilité envers
les Juifs. C’est ainsi qu’il s’attacha à séparer
l’islam de ses racines juives. Le Chabbath passa au vendredi ; la direction
vers laquelle devaient être prononcées les prières fut
réorientée de Jérusalem vers La Mecque ; la plupart des
lois diététiques juives ont été écartées
de l’islam à l’exception des rituels d’abattage, de
l’interdiction du porc et de la consommation du sang.
De plus, Mahomet proclama que les Juifs avaient déformé leur
propre Bible : Abraham n’avait pas essayé de sacrifier Isaac à Dieu
sur le Mont Moria, une des collines de Jérusalem, mais il avait emmené Ismaël à La
Mecque, où il avait offert de le sacrifier à Allah sur la Pierre
Noire de la Kaaba.
Si les Juifs avaient jusque là repoussé les prétentions
de Mahomet à la prophétie, ils contestaient maintenant ouvertement
ce qu’ils considéraient comme une fabrication de toutes pièces.
Cela n’a fait qu’aggraver les choses. La colère et les malédictions
de Mahomet contre les Juifs sont enregistrées dans le Coran :
Et l’humiliation et la misère ont été imprimées
sur eux, et ils ont été visités par la colère de
Dieu.
De tous les hommes, vous trouverez certainement les Juifs… comme étant
les plus intensément haïs de tous les croyants.
Ils sont vendeurs de l’erreur et cherchent à vous égarer
de la voie… Mais Dieu les a maudits pour leur incroyance.
Certains de ses fidèles ont interprété de telles affirmations
comme une permission de se débarrasser des Juifs. D’autres Musulmans
ont au contraire insisté sur la communauté d’héritage
et de croyance sur laquelle Mahomet avait aussi mis l’accent, et ils
ont traité un peu mieux les Juifs. Nous verrons comment dans des chapitres à venir.
Le djihad
A la mort de Mahomet en 632, l’Arabie était unie
et disposée
pour le djihad, la « guerre sainte » ou « lutte sainte »,
en vue de rapprocher le monde d’Allah. Ce « combat » est
rapidement devenu une arme puissante contre les empires byzantin et perse.
Qu’est-ce que cela a signifié pour les Juifs ?
Le rabbin Berel Wein répond dans Echoes of Glory (p. 299) :
La plupart des historiens juifs (y compris ceux de la récente école
révisionniste) sont convaincus que l’Eglise byzantine aurait essayé de
supprimer totalement le judaïsme si elle n’avait pas elle-même été vaincue
et si ses projets d’hégémonie en Asie Mineure et dans le
bassin méditerranéen n’avaient pas été contrecarrés
par la vague montante de l’islam. La venue de l’islam peut donc être
considérée comme un événement providentiel qui
a permis aux Juifs de se glisser dans les fissures que l’islam a pratiquées
au sein de la persécution de l’Eglise byzantine. Cependant, comme
pour tous les « cadeaux » reçus par Israël au long
de son histoire, les progrès de l’islam n’ont représenté pour
notre peuple qu’une bénédiction mitigée.
Les Juifs ont été considérés comme ahl al dhimma (« peuple protégé »), et il leur a été permis
de vivre dans des pays musulmans sans être forcés de se convertir.
Mais tout un code de lois leur a été appliqué, surtout
destiné à les tenir à part, à les humilier et à mettre
l’accent sur leur statut inférieur.
C’est ainsi qu’un Juif ne pouvait jamais dépasser de sa
tête un Musulman. Si un Juif, par exemple, marchait dans la rue et s’apprêtait à croiser
un Musulman, il devait descendre dans le caniveau par déférence
envers le statut supérieur du Musulman. Un Juif ne pouvait jamais témoigner
en justice contre un Musulman ce qui veut dire, fondamentalement, qu’il
n’y avait aucune justice pour les Juifs. Un Juif ne pouvait pas avoir
un lieu de culte qui fût plus élevé qu’une mosquée,
ce qui explique par exemple que les quatre synagogues séfarades
dans la Vieille Ville de Jérusalem soient souterraines. On notera que
ces lois n’ont pas toujours été uniformément appliquées,
et qu’il y a eu des périodes pendant lesquelles les Juifs vivant
dans des pays musulmans ont été nettement persécutés,
et d’autres où ils ont été très bien traités.
Nous allons nous pencher à présent sur une importante communauté juive
qui, au moins à une certaine époque, a prospéré sous
la domination musulmane.
Notre prochain chapitre : Les Juifs de Babylone.
Traduction et adaptation
Jacques KOHN
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le Rabin Ken SPIRO Le rabbin Ken SPIRO, originaire de New Rochelle, NY (Etats-Unis), a obtenu au Vasser College un BA de langue et de littérature russe, et il a poursuivi ses études à l’Institut Pouchkine à Moscou. Il a été ordonné rabbin à la Yeshiva Aish HaTorah à Jérusalem, et il est titulaire d’une maîtrise d’histoire conférée par le Vermont College de l’Université de Norwich. Il habite à Jérusalem avec sa femme et ses cinq enfants, et il travaille comme conférencier et comme chercheur sur les programmes éducatifs d’Aish HaTorah. |
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