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Rescapés de l'enferGrâce à sa 'Houtzpah, à son audace et à sa présence d'esprit, un homme a réussi à sauver des vies pendant la Choah. Sa fille raconte.


Grâce à sa 'Houtzpah, à son audace et à sa présence d'esprit, un homme a réussi à sauver des vies pendant la Choah. Sa fille raconte.

Mes parents sont des survivants de la Choah. J'appartiens à cette génération qui a vécu dans l'ombre des malheurs de nos parents, dont l'enfance s'est déroulée sans famille, sans grands-parents, sans une ribambelle d'oncles, de tantes, de cousins, qui avaient disparu, mais dont la présence silencieuse était toujours en arrière-plan. J'appartiens à une génération qui doit faire face aux horreurs du passé, et relier celui-ci à un futur incertain.

Je suis une messagère, et je témoigne au nom de la famille et des amis de mes parents.



Il ne m'appartient pas d'expliquer Hitler, ni de faire en sorte que ce qui a été ne soit pas. Mais je peux, du moins, faire l'effort de me souvenir, et il est de mon devoir de transmettre cette mémoire. Je dois me souvenir des Nazis, de ce mal absolu, de la menace qu'ils ont fait peser sur ma vie, sur mon peuple, et sur l'humanité.

Ce n'est qu'au moyen de notre mémoire collective que nous parvenons à affronter un mal aussi démoniaque. Je suis une messagère, et je témoigne au nom de la famille et des amis de mes parents.

Mon père, Chammaï Davidovics, m'a appris la lutte pour la vie. Il ne pouvait pas parler de ce qu'il avait vécu pendant la guerre, ni de sa famille disparue. Il s'imposa le silence durant toute sa vie, et il me fallut apprendre à accepter ce silence, malgré mon besoin de savoir.

Au fil des années, des survivants et des personnes qu'il avait sauvées parvinrent à nous retrouver, et c'est alors que j'entendis leur histoire. Ce n'est qu'avant de mourir que mon père rompit son silence et compléta les récits que mes frères et moi avions recueillis. Et ce n'est qu'alors qu'il fit le douloureux effort de répondre à nos questions les plus torturantes.


UN RESEAU CLANDESTIN DE FAUX-PAPIERS

Mon père était né en 1912 dans une famille hassidique de Danilev (près de Hust), une petite ville de Tchécoslovaquie située dans les Carpates. Ma grand-mère, Guitel, dont je porte le nom (guit=bon=Tova) était un petit bout de femme énergique et pleine d'entrain. Elle parvint à mettre au monde 14 enfants (dont 12 parvinrent à l'âge adulte), 8 garçons et 4 filles, mon père se situant plus au moins au milieu.

Comme tous les enfants du voisinage, mon père était allé au 'heder" (l'école juive), parlait yiddish et observait les mitsvoth. Cependant, sa curiosité naturelle et son goût de l'aventure le poussèrent à aller voir ce qui existait à l'extérieur du shtetl (du village). Il étudia l'hébreu et certaines matières profanes. A l'âge de 16 ans, il fut admis dans un lycée allemand à Berne, tout en continuant à étudier parallèlement la Torah. Puis il s'engagea dans l'armée tchécoslovaque et fut, ensuite, l'un des rares Juifs acceptés à l'Université de Budapest.

Lorsque l'armée allemande envahit la Hongrie, fin 1943, il parlait couramment 12 langues, avait terminé un doctorat de sociologie, et reçu l'ordination rabbinique du Beit Hamidrash Lerabanim de Budapest.

Au début, les Allemands ne déportèrent que les Juifs ne possédant pas de papiers d'identité hongrois ou tchèques. Malheureusement, la plupart des Juifs, surtout ceux qui habitaient dans de petits villages, bien qu'ayant vécu là depuis des siècles, ne possédaient pas de pièces d'identité.

Mon père et plusieurs de ses amis mirent sur pied un réseau de faux papiers qui leur permirent de fabriquer de fausses pièces d'identité et divers documents destinés aux Juifs. Ils étaient soutenus financièrement par des Juifs fortunés et travaillaient avec Raoul Wallenberg, à qui ils fournissaient les documents nécessaires.


UN MAITRE EN IDENTITES D'EMPRUNT

C'est à cette époque que mon père passa maître dans l'art de la dissimulation, changeant d'identité lorsque ses différentes missions l'exigeaient. Par chance, il pouvait passer pour un Aryen, parlait couramment l'allemand et, contrairement à ceux qui ne voulaient pas voir les signes annonciateurs de la catastrophe, il pensait qu'il était temps d'agir et de prendre tous les risques.

Ses exploits nous furent racontés par plusieurs survivants de Danilev, la ville natale de mon père, et celui-ci nous les confirma plus tard.

En ces jours dangereux de l'invasion allemande, mon père recueillit les noms de tous les Juifs de Danilev dépourvus de papiers (c'est-à-dire environ la moitié de la ville) et travailla d'arrache-pied pour leur en fabriquer (plusieurs centaines en tout). Il savait que c'était une course contre la montre. Il fallait presque cinq jours pour atteindre Danilev, et l'armée allemande déportait déjà les Juifs des régions environnantes et serait dans quelques semaines à portée de sa ville natale et de sa famille.

Muni de tous les papiers, il se rendit en hâte à Danilev. Alors qu'il arrivait dans la région, il entendit que les Allemands avaient "travaillé" beaucoup plus vite que prévu et avaient déjà probablement atteint Danilev. Il arriva trop tard. Toute la population, y compris sa famille, avait été entassée dans des wagons à bestiaux et les trains étaient prêts à partir. Lorsque mon père vit les soldats allemands qui gardaient les trains et se moquaient des siens, il comprit qu'il n'y avait qu'une seule chose à faire….

Entre alors en scène un haut gradé allemand dans un uniforme impeccable. Il a la démarche arrogante et pleine d'assurance d'un dignitaire plein de morgue. Il est furieux. Il s'approche d'un des gardes qui se met instantanément au garde-à-vous, et exige, d'une voix sans réplique, de voir l'officier responsable de l'opération. Il expédie les gardes exécuter ses ordres.

Ce jour-là, grâce à sa 'houtzpa (audace) il parvint à faire annuler le décret

Un officier honteux et perplexe arrive à la hâte, et se fait aussitôt réprimander violemment. La scène attire bien entendu l'attention de tout le monde. "Est-ce que vous réalisez que vous avez grossièrement désobéi et violé les ordres de vos supérieurs ?" hurle l'arrogant étranger en brandissant un paquet de papiers sous le nez de l'officier.



L'étranger, c'était mon père. Les Juifs, qui l'avaient reconnu, n'en croyaient pas leurs yeux. Ce jour-là, grâce à sa 'houtzpa (audace) il parvint à faire annuler le décret. Les Juifs de Danilev purent sortir des wagons à bestiaux et rentrer chez eux (dans ce qui leur restait après le pillage, du moins). Ils étaient maintenant des citoyens en règle.


OU ALLER ?

Leur histoire ne se termine malheureusement pas bien. Les Juifs ne vécurent en sécurité à Danilev que pendant un an. A chacune de ses visites, au cours de cette année, mon père essaya de toutes ses forces de convaincre sa famille et les villageois de s'enfuir, mais en vain. Il ne parvint à convaincre que quelques personnes, surtout des jeunes. Les autres ne le croyaient tout simplement pas. Lorsqu'il leur décrivait ce qui "allait arriver", ils répondaient que cela "ne pouvait pas arriver". "Et puis, d'abord, où irions-nous ?"

Il leur proposa de leur fournir des faux papiers aux noms de non-Juifs, de les aider à s'enfuir dans la forêt, de leur donner des vêtements de paysans. En vain. Il leur semblait que tout ceci était exagéré et qu'ils avaient une meilleure chance de s'en sortir en restant chez eux plutôt qu'en allant se réfugier dans la forêt.

Mon père se rappelait avoir supplié son frère préféré, Hillel, de venir avec lui. Mais lorsque Hillel comprit que cela supposait qu'il cache son identité de Juif, il renonça.

Presqu'un an plus tard, les Juifs de Danilev furent à nouveau raflés, puis déportés et assassinés. Cette fois, mon père arriva trop tard. Il ne pouvait plus rien faire. Il ne parvint à sauver qu'une seule de ses sœurs. Jusqu'à sa mort, mon père se sentit responsable et coupable de la mort des siens. Il pensait qu'il aurait dû parvenir à arriver à temps et à les sauver.


DIPLOMATE D'UN JOUR

Lorsque les Nazis occupèrent Budapest, ils conclurent avec les autorités hongroises un accord aux termes duquel les Hongrois recruteraient une force de police locale (Kishket) qui serait chargée de protéger les bâtiments (tels, par exemple, que l'ambassade d'Autriche) auxquels les Allemands accordaient un statut d'immunité.

Mon père et plusieurs de ses amis juifs s'engagèrent dans cette police (en tant que Chrétiens, bien entendu, car les Juifs n'y étaient pas admis). Ils purent ainsi créer un réseau clandestin qui recueillit des renseignements sur les activités ennemies. On pouvait voir à Yad Vachem, il y a quelques années, un portrait grandeur nature de mon père en uniforme hongrois de Kishket, destiné à illustrer les activités juives clandestines.

A cette époque, il ne suffisait plus de posséder des papiers d'identité juifs en règle. Mon père procura à ma mère et à toute sa famille des papiers portant des noms chrétiens, et plus tard, le danger augmentant, il les cacha dans un grenier. Il leur apporta de la nourriture et des provisions pendant le reste de la guerre.

Un jour, ma mère, en larmes, arriva en courant et dit à mon père que sa mère (ma grand-mère Cidi) et son oncle (le frère de Cidi) avaient commis l'imprudence de sortir de leur cachette un petit moment. Ils avaient été arrêtés par des soldats allemands et emmenés dans un camp de concentration. Mon père devait faire quelque chose.

Mon père se fit passer pour le consul d'Autriche pour 24 heures.

Il parvint à localiser avec précision l'endroit où ils étaient détenus et, aidé de ses amis, organisa leur évasion. Il apprit que le consul d'Autriche (un représentant autrichien en Hongrie à l'époque) quittait la capitale pour quelques jours. Mon père se fit passer pour le consul d'Autriche pour 24 heures. Des amis l'attendaient à l'extérieur du camp dans une voiture de police de la Kishket.

Le "consul d'Autriche" entra dans le camp de concentration. Il s'approcha de l'officier de service et se présenta, avec un parfait accent autrichien. Il expliqua qu'il était également chargé de la représentation suisse à Budapest, et qu'il avait appris qu'à la suite d'une erreur funeste, deux citoyens suisses avaient été arrêtés à tort et internés dans ce camp. Il présenta, à l'appui de ses dires, leurs papiers d'identité.

L'officier de service lui dit que c'était impossible, mais mon père insista pour qu'on fasse les vérifications nécessaires, car il avait promis à la famille qu'il s'occuperait personnellement de cette affaire.

Ils parcoururent ensemble tous les étages, à la recherche de ces deux "citoyens suisses". A chaque étage ils criaient leurs noms. Et c'est ainsi qu'ils retrouvèrent ma grand-mère et son frère. Ils les firent sortir jusqu'à la voiture de police qui les attendait dehors, et qui démarra
en trombe pour les ramener dans leur cachette.

Mon père se rappelait avec tristesse qu'alors qu'il traversait le camp, de nombreux Juifs l'avaient abordé en le suppliant: "Nous aussi nous sommes des citoyens suisses. Nous aussi nous sommes autrichiens. Aidez-nous !". Mais il ne pouvait rien faire pour ces malheureux, et il disait que jamais il ne les oublierait.


PRETRE ITINERANT

Un jour, en Israël, mon frère Samuel prit l'autobus avec mon père. Le chauffeur regarda longuement mon père, resta stupéfait, puis se leva, le serra contre lui et se mit à pleurer en répétant son nom : "Chammaï, Chammaï". Il refusa de le faire payer, l'installa sur le siège avant et, tout en conduisant, commença à raconter son histoire aux voyageurs étonnés.

Le chauffeur du bus raconta comment mon père, déguisé en prêtre, avait réussi à le sauver alors qu'il était petit garçon, et fils d'une famille de hassidim.

Apparemment, le fait pour mon père de se déguiser en prêtre était devenu pour lui une seconde identité. Cela lui permettait de se déplacer de village en village, pendant plusieurs semaines d'affilée, et même d'entrer dans des camps de concentration et de sauver ainsi des vies.

Mon père se servait de la robe noire qu'il avait portée lors de son ordination rabbinique comme d'une soutane.

Un beau jour, alors que mon père vivait avec moi à Jérusalem, quelqu'un téléphona et demanda si le docteur Davidovics était là. Comme je répondais affirmativement, il insista pour venir avec sa femme et son fils. Il venait d'arriver de Hongrie avec sa famille et, en entrant dans la maison, il se précipita vers mon père souffrant, se mit à genoux et lui embrassa les mains.

Les yeux de mon père rougirent. N'ayant plus de larmes, c'était sa manière de pleurer. Bien des années auparavant, mon père avait trouvé dans la rue ce petit orphelin abandonné et effrayé. Il le recueillit, le lava, l'habilla, lui donna à manger et lui procura des papiers d'identité chrétiens. Il l'emmena ensuite dans un orphelinat où des bonnes sœurs prirent soin de lui. Mon père lui dit en le quittant: "Fais tout ce qu'on te dira de faire, mais n'oublie jamais qui tu es. Un jour, tu vivras à nouveau comme un Juif".

Et c'est ce qui arriva réellement Ils sont restés, depuis, en relation avec nous et nous écrivent plusieurs fois par an.

Par une ironie du sort, c'est à cause de ce déguisement de prêtre que mon père fut pratiquement laissé pour mort. Alors qu'il faisait une de ses visites habituelles dans un camp de concentration et qu'il pressait le pas en passant devant ces squelettes humains qui étaient son peuple, il fut reconnu par un de ses voisins de Danilev. L'homme transporté de joie cria "Chammaï, Chammaï !".

Mon père essaya désespérément de lui faire signe de se taire, mais il était trop tard.



A PROPOS DE L'AUTEUR
Tova LEBOVITS


COMMENTAIRE(S) DE VISITEUR(S)  4
Auchwitz - 27 Décembre 2005 - par Traube Arie
J'ai 39 ans et suis fils de déporté à Auchwitz. Mon père (zlb), polonais, a été déporté de France Sud en tant que Juif partisan, agent de liaison. Je ne connais que très peu de gens dont les parents ont aussi été déportés, et ce témoignage m'a beaucoup touché.
rescapés juifs - 15 Décembre 2005 - par Poliquin Francine
Une chance qu'il y a des gens qui sortent de l'ordinaire et qui peuvent faire l'impossible pour sauver les autres
la shoah - 22 Mars 2005 - par E.T Romain
bonjour je m'appelle Sandrine et j'ai 17 ans. j'ai découvert l'histoire du peuple Juif lorsque j'étais encore en 4ème. En fait j'ai lu le Journal d'anne Franc et j'ai trouvé ce livre très ontétessant. Je crois que j'ai vraiment compris à ce moment la ce qu'il s'était réellement passé. D'ailleur aujourd'hui je comprend cette phrasde qu'a dit Simone Veille " se battre pour que le plus jamais ca n'est lieu". j'ai été dégouté, horrifié de tout ce que les juifs ont pu vivre dans ces camps de la mort. je ne suis pas juives et dans ma famille personne ne l'est.
Vous savez je me suis souvent demandé ce que j'aurai fait si j'avais vécut à cette époque en restant persuadé que j'aurai tent" d'aider ce peuple mais si j'avais grandi dans l'esprit où le peuple allemand l'a été, peut etre aurais-je agis comme eux me^me si j'espére que non.Mais je suis obligée de réfléchir avec esprit critique et de faire toute les hypothéses.
enfin de toute fzconj'espére que plus jamais les générations futurs n'auront à se pposer des questions de ce genre var des telles atrocité ne doivent plus JAMAIS avoir lieu!!!!!!
Quand au devoir de mémoire je suis d'accord avec car c'est la seule facon de nous faire comprendre et surtout de nous faire garder en mémoire ce passage si tragique de l'histoire de notre siécle

alors voila j'ai toujours aimé parlé de cet épisode car je e trouve trés interessant et instructif pour l'avenir.
sur ceux je vous laisse et vous souhaite bon courage pour la suite
30 Janvier 2005 - par fagot corinne
c'est beau!!!si tous les êtres humains pouvaient en faire autant. Mais heureusement qu'il en existe. Mes grands parents sont morts dans les camps en déportation. Je ne sais rien d'eux Ils vivaient à Vienne en Autriche. Mon père n'a jamais pu nous en parler. C'est dur de vivre dans l'ignorance.
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