Jérusalem est ancrée au coeur du vécu juif,
enracinée dans les tréfonds de sa conscience. Lorsque le peuple
juif a entamé le long et périlleux itinéraire de l' Exil,
il s'est promis de ne jamais effacer le souvenir de Jérusalem et de porter
son deuil tant que cet exil durerait.
" Si je t'oublie Jérusalem, que ma droite me refuse son service." ( Psaume 137 )
Le Talmud nous apprend
que celui qui porte le deuil de Jérusalem a le mérite de la voir
dans sa joie..." ( Taanit 30 b ) Plusieurs commentateurs s'étonnent
de l'utilisation du présent " a le mérite " alors que
le futur " aura le mérite " aurait été plus logique.
En vérité,
le présent est tout à fait à sa place ici. En effet, avec
Jérusalem, il ne s'agit pas d'un deuil au sens littéral et absolu
du terme. Un deuil se définit essentiellement par le déchirement
et la souffrance en face de ce qui ne peut être qu'irrévocable.
Pour aussi surprenant que cela puisse paraître, le deuil de Jérusalem
est un deuil teinté de joie et d'espoir... Il est une promesse. C'est
d'ailleurs la raison pour laquelle nous sommes autorisés à considérer
le 9 Av ( Ticha Be Av ) qui commémore la destruction du Temple de Jérusalem,
comme un Moed, une fête. En effet, ni ce jour là, ni la veille,
nous ne disons de Supplications, et ce comme s'il s'agissait de la veille d'un
véritable Yom Tov...
L'utilisation du présent
" a le mérite " signifie que vivre le deuil de Jérusalem
durant toutes ces années d'exil, c'était faire en même temps
l'expérience, ici et maintenant, de la joie et de l'espoir.
Pour mieux comprendre
de quoi il s'agit, reportons-nous au livre de la Genèse. Lorsque les
fils de Jacob viennent annoncer à leur père Joseph a péri,
Jacob prend le deuil de nombreux jours, mais se refuse en même temps à
entendre des paroles de consolation. Ainsi qu'il est écrit: " Tous
ses fils et ses filles se mirent en devoir de le consoler, mais il refusa toute
consolation. "
Le midrash Rabba (
chap 24 ) explique au nom de Rabbi Yossi que l'on accepte d'être consolé
sur des morts, non sur des vivants. La consolation intervient quand il n'y a
plus rien à espérer, quand il faut tenter autant que possible
d'évacuer la souffrance. En revanche, tant qu'il y a un espoir, la souffrance
qui refuse la consolation montre par là même qu'elle ne se résigne
pas à la disparition définitive. En cela, elle fait d'une certaine
façon l'expérience de l'espoir et d'une certaine forme de joie...
Quand elle imagine, par exemple, la splendeur des retrouvailles. Jacob a refusé
d'être consolé par ses enfants car il ne pouvait se résoudre
à l'idée que son fils n'était plus.
Depuis la destruction
du Temple, le deuil de Jérusalem revêt une dimension de joie dans
l'espoir car justement aucun Juif n'a jamais ressenti la perte de Jérusalem
comme une perte irrémédiable et définitive. Prendre son
deuil, c'était dans ce cas précis éspérer... Que
la souffrance ait perduré à travers les générations
signale justement cette incapacité à se consoler et donc à
considérer Jérusalem perdue. Ainsi qu'il est dit dans les Avoth
de Rabbi Nathan : " Jérusalem est appelée vive, comme dit
le verset : "Je circulerai devant le Seigneur dans la Terre des vivants
( Jérusalem ). " ( Psaume116 ) "
Le fait de ne s'être jamais consolé de Jérusalem est le signe tangible qu'elle a toujours été pour le peuple juif une réalité vivante, existante.
Sans doute pouvons-nous
dire également que la persistance de ce sentiment vient de la force de
cohésion extraordinaire exercée par Jérusalem au sein du
Klal Israël. Abraham l'avait appelé : Yiré ( Gen. 22,14 )
et Chem, le fils de Noé : Chalem. Le midrash raconte que D' ne voulant
offusquer ni l'un ni l'autre, fit des deux noms, un seul : Yiréchalem...
Cette union de deux noms,
symbolise une capacité à réunir et faire fusionner le coeur
des Juifs.
" Jérusalem qui est bâtie comme une ville d'une harmonieuse unité. " ( Psaume 123 )
Par définition, Jérusalem
est génératrice de l'unité d'Israël. C'est pourquoi
elle ne fut pas partagée entre les douze tribus; sa nature s'y refusait.
Jérusalem ne peut servir qu'à unir les Juifs entre eux.
Le fait que le Yom Yéroushalayim
intervienne justement entre Pessah et Chavouoth, c'est-à-dire durant
la période qui nous prépare au don de la Thora, n'est pas le fait
du hasard... Le peuple d'Israël a reçu la Thora dans un moment de
cohésion et d'unité extraordinaires : " comme un seul homme,
avec un seul coeur ! " La fête de Jérusalem nous aide à
ressentir encore plus ce sentiment d'unité qui nous permettra de recevoir
la Thora !