En tant que Juif vivant aux Etats-Unis, longtemps je me suis refusé le
droit d'intervenir dans les débats internes de l'Etat d'Israël.
Je considère cependant que nous avons le même destin, car son histoire
est la mienne, du plus loin qu'il m'en souvienne. La politique menée
par Israël, quoique de manière indirecte, me concerne également.
Je trouve ses caprices intéressants, ses bévues quelque peu embarrassantes
mais comme je ne suis pas citoyen israélien, cela ne m'implique pas directement.
Je peux éprouver un peu plus de sympathie pour tel politicien ou bien
émettre une certaine réserve envers un autre, cela ne regarde
que moi; je n'en parle à personne.
Cette attitude donne lieu
à des "lettres ouvertes" ou des articles acerbes qui me reprochent
de ne pas protester chaque fois que la police ou l'armée israéliennes
réagissent excessivement contre la violence des soldats ou des civils
palestiniens. Je ne réponds presque jamais. Mes censeurs peuvent avoir
leur propre conception de l'éthique au niveau social comme au niveau
individuel. Néanmoins, alors que je leur accorde le droit de me critiquer,
en retour ils me dénient parfois celui de m'abstenir.
Mais au sujet de Jérusalem,
il en va tout autrement. Ce ne sont pas seulement les Israéliens qui
sont concernés par sa destinée mais aussi tous les Juifs de la
Diaspora dont je fais partie. Le fait que je n'y vive pas est tout à
fait secondaire; Jérusalem vit en moi. Elle est le propre même
de ma judéité et occupe le centre de mes engagements et de mes
rêves.
Jérusalem est, pour
moi, au-dessus de la politique. Mentionnée plus de 600 fois dans la Bible,
elle sert de point de repère national à la tradition juive. Elle
représente notre âme collective. C'est elle qui unit chaque Juif
avec son prochain. Rien n'est plus beau et nostalgique que la prière
qui évoque la splendeur de son passé et le souvenir accablant
et persistant de sa destruction.
Je me souviens de mon premier
séjour à Jérusalem; j'eus l'impression alors que j'y étais
déjà venu. Pourtant, chaque fois que je visite la ville, c'est
toujours la première fois. Ce que j'éprouve et vis là-bas,
nulle part ailleurs je le ressens. Je reviens dans la maison de mes ancêtres;
le roi David et le prophète Jérémie m'y attendent.
Selon le partage qui résulterait
des accords politiques, la plus grande partie de la Vieille Ville de Jérusalem
devrait échoir à l'Autorité palestinienne. Le Mont du Temple,
sous lequel se trouvent les vestiges des temples de Salomon et de Hérode,
serait, de la sorte, contrôlé par le nouvel Etat palestinien.
Que les Musulmans souhaitent
maintenir des liens étroits avec cette ville, à l'encontre d'autres
lieux, est tout à fait compréhensible. Quoique son nom n'apparaisse
pas une seule fois dans le Coran, Jérusalem est la troisième ville
sainte de l'Islam. Mais pour les Juifs, elle demeure la première. Pas
seulement la première, la seule.
Comment pouvons-nous oublier
que, entre 1948 et 1967, alors que la Vieille Ville était occupée
par la Jordanie, les Juifs ne pouvaient pas avoir accès au Mur Occidental,
en dépit d'un accord signé entre les deux gouvernements? A cette
époque, les Arabes qui réclamaient un Etat arabe, ne mentionnaient
jamais Jérusalem.
Pourquoi donc les Palestiniens
sont-ils maintenant si désireux de faire de Jérusalem leur capitale?
Suffisamment désireux, au point de mettre en péril les accords
d'Oslo?
On nous dit que les concessions
sans précédent qu'Israël a faites, également à
Jérusalem, l'étaient pour une bonne cause. Pour la paix. C'est
un argument de poids. La paix est la plus noble des aspirations; elle mérite
le sacrifice de ce qui nous est le plus précieux. En cela, je suis d'accord.
Mais est-ce approprié
en toutes circonstances? Peut-on toujours proclamer "La paix à n'importe
quel prix"? Transiger sur des territoires peut sembler, sous certaines
conditions, impérieux ou tout au moins politiquement opportun. Mais transiger
sur l'histoire est impossible.
Vous allez me demander,
qu'en est-il de la paix dans tout cela? Je continue à croire dans la
paix, de tout mon cur. Néanmoins, je me méfie de toute chose
qui ne conduirait qu'à des apaisements. Donner la plus grande partie
de la Vieille ville de Jérusalem au président de l'Autorité
palestinienne, Yasser Arafat, et aux extrémistes, ne serait-ce pas une
récompense pour leurs actes?
Les Palestiniens exigent
aussi le "droit du retour" pour plus de trois millions de réfugiés.
Les Israéliens s'y opposent unanimement. Il peut être nécessaire
de rappeler les événements historiques qui ont entraîné
cette tragédie palestinienne. En 1947, Israël a accepté le
plan de partage de la Palestine; les Arabes le rejetèrent.
En 1948, David Ben-Gourion
tendit la main à ce qui devait être l'Etat palestinien. Non seulement
les Arabes refusèrent cette poignée de main, mais ils envoyèrent
six armées étrangler l'Etat juif qui venait de naître. Incités
par ses dirigeants, 600.000 Palestiniens quittèrent le pays, convaincus
que, une fois Israël vaincue, ils pourraient retourner chez eux.
J'ai vu leurs enfants dans
les camps de réfugiés de la bande de Gaza; leur sort ne peut laisser
aucun de nous indifférent. Il est impératif de résoudre
ce problème. Mais leur retour en masse est une solution inconcevable.
Pour les Israéliens, cela équivaudrait à un suicide, de
même que d'arracher Jérusalem de ses racines serait un suicide
spirituel.
C'est avec tristesse que
je dois dire cela: après avoir vu à la télévision,
pendant l'Intifada, les visages de ces jeunes Palestiniens, déformés
par la haine, il m'est plus difficile que jamais de croire en la volonté
des Palestiniens de faire la paix. Ce n'est pas un Israël plus petit qu'ils
veulent; mais pas d'Israël du tout.
Et cependant
Bien
que toutes les options semblent avoir été examinées, la
paix demeure l'unique espoir que nous avons en commun; la violence et la guerre
ont rempli beaucoup trop de cimetières des deux côtés. Cela
ne peut et ne doit pas continuer. La majorité des Israéliens pensent
comme moi: les Palestiniens doivent avoir le droit de vivre librement et dignement,
sans crainte et sans honte. Il incombe au monde ainsi qu'à Israël
de tout faire afin de les aider, et cela sans qu'ils ne perdent la face.
La situation des Arabes
israéliens m'intéresse particulièrement. Comme citoyens
de l'Etat d'Israël, leurs droits civiques doivent être protégés
à tout prix.
Quant à Jérusalem,
ne serait-il pas mieux de résoudre d'abord toutes les questions en suspens
et de remettre à plus tard les décisions concernant le destin
de la plus sainte des villes? Je reste persuadé que des ponts humains
peuvent être bâtis entre les deux communautés, grâce
à des visites réciproques d'étudiants, d'enseignants, de
musiciens, d'écrivains, d'hommes d'affaires et de journalistes.
Peut-être dans vingt
ans, les enfants de ces gens seront plus à même d'aborder le plus
brûlant de ces sujets: Jérusalem. Peut-être comprendront-ils
alors pourquoi l'âme juive porte en elle-même la blessure et l'amour
d'une cité dont les clefs sont protégées par sa mémoire.
Traduction et Adaptation
de Claude Krasetzki