Une nouvelle dimension est venue atténuer la joie qui aurait dû normalement
les caractériser.
Le Talmud dans le traité de Yébamot (62b) raconte que pendant cette période
12 000 couples d'élèves de Rabbi Akiva ont disparu et que pour cette raison
nous avons fait de ces jours, des jours de deuil. La cause du décés des élèves
de Rabbi Akiva est clairement exprimée par le Talmud : ils ne se respectaient
pas les uns les autres !
Plusieurs questions se posent: pourquoi
les élèves de Rabbi Akiva ont-ils été punis d'une façon aussi terrible ? Nous
ne trouvons nulle part dans la Torah de cas où le manque de respect entraine
la mort... De plus, comment se fait-il que tous les élèves aient disparus justement
durant cette période d'attente heureuse du don de la Torah ?
Comment comprendre ce " manque à gagner " spirituel et intellectuel sans précédent pour des raisons apparemment de pure éthique?
Enfin, la génération de Rabbi
Akiva était désignée pour transmettre la Torah écrite sous sa forme orale, or
la disparition des élèves allait occasionner une perte irréparable. Comment
comprendre ce " manque à gagner " spirituel et intellectuel sans précédent pour
des raisons apparemment de pure éthique?
Le fait que les élèves de Rabbi Akiva se soient mutuellement manqué de respect
alors que, justement, ils incarnaient ce maillon fondamental de la transmission
a entrainé d'une certaine façon une profanation de Nom divin.
La michna dans les Maximes des Pères ( Pirkéï Avoth ) dit: " Que l'honneur de
ton compagnon te soit aussi cher que le tien..." ( II, 10 ) " Que l'honneur
de ton disciple te soit aussi cher que le tien, et l'honneur de ton compagnon
autant que la crainte de ton maître, et la crainte de ton maître autant que
la crainte des cieux."
Dans son commentaire sur les Maximes,
le Tachbatz explique que l'irrespcet dont faisaient preuve les élèves de Rabbi
Akiva faisait dire au monde alentour : " Malheur à ceux qui étudient la Torah,
si son étude doit mener à un tel mépris ! " C'est malheureusement la raison
pour laquelle ils furent touchés dans leurs corps. Dans son prolongement, le
Maharsha ( Yébamoth; 62b ) analyse le rapport entre la punition de mort physique
et le manque de respect en rappelant qu' il est dit : " Il est ta vie et la
longeur de tes jours " ( Deut. 30;20 ) .
Corrompre l'elixir de vie qu'est la Torah en l'entachant du mépris de l'autre
ne pouvait qu'entraîner un raccourcissement de la vie, ainsi qu'il est rapporté
dans le Talmud ( Méguila 27b ) : " Par quels mérites as-tu vu les jours de ta
vie se rallonger ?... Je n'ai jamais pesé sur mes amis ! "
Les élèves de Rabbi Akiva se trouvaient à la source de la transmission orale;
ils en étaient les dépositaires privilégiés, ils se devaient par conséquent
d'être exemplaires. Possesseurs d'un message extraordinaire, leur comportement
se devait d'être irréprochable. Or, en touchant directement la Torah de leurs
compagnons d'étude, ils touchaient également à ce qui contitue l'essence même
de la Torah.
Il ne leur suffisait pas d'avoir eu un maître exemplaire, encore fallait-il intégrer l'esprit de son enseignement et être capable de le vivre de façon autonome !
Celle-ci ne peut d'aucune façon s'instituer
et se transmettre sur fond de mépris.
Leur attitude était de fait antinomique avec la Lettre de la Torah. S'ils étaient
effectivement arrivés à la transmettre, c'eût été une Torah incomplète et morcellée
qui serait parvenue jusqu'à nous car les conditions indispensables à l'acquisition
de la Torah sont le souci de l'autre, le partage de ses peines, la necessité
de le juger en bien... Le fait que les élèves de Rabbi Akiva ne possédaient
pas ces qualités leur ôtait toute possibilité de la transmettre.
Il ne leur suffisait pas d'avoir eu un maître exemplaire, encore fallait-il
intégrer l'esprit de son enseignement et être capable de le vivre de façon autonome
! Une Tora telle que la leur ne méritait plus d'être transmise...
La période de leur disparition n'est
pas indifférente non plus : les jours qui séparent Pessah de Chavouoth sont
par définition des jours de préparation au don de la Torah et notamment dans
le domaine des qualités humaines. La même unité qui présida à l'acceptation
de la Tora au Mont Sinaï doit être rechechée à chaque génération.
Lorsque le Talmud, plutôt que de parler de 24 000 élèves, précise qu'il s'agit
de 12 000 couples d'élèves, c'est justement pour insister sur le fait que le
problème était un problème relationnel, qui prenait sa source dans le manque
de respect mutuel.
Rabbi Akiva en personne commente le fameux : " Tu aimeras ton prochain comme
toi même. " ( Lévitique 19;18 ) en disant : " C'est un grand principe de la
Torah ! " . N'est-ce pas justement parce qu'il a vécu dans sa chair cette idée
que l'amour du prochain est une condition sine qua non à l'acquisition de la
Torah ?
Si aujourd'hui encore, en souvenir
des élèves disparus, nous avons l'habitude de respecter des règles de deuil
( interdiction de se raser, d'écouter de la musique, de se marier...) alors
que ces règles ne s'appliquent que durant l'année qui suit la disparition, c'est
pour nous faire prendre conscience de la perte incommensurable qui s'est produite.
Nul ne peut dire de quoi la Torah se serait trouvée enrichie si les élèves de
Rabbi Akiva s'étaient respectés les uns les autres...
La lecture des Pirkéï Avoth durant les six Chabatoth qui séparent Pessah et
Chavouoth n'a pas d'autre but.
Les élèves de Rabbi Akiva ont péri pour nous dire que l'acquisition de la Torah
ne saurait faire l'économie de la relation à autrui et se fonder sur les débris
d'une relation de mépris à l'égard de notre prochain. Le fait qu'ils aient été
touchés dans leurs corps mêmes nous signifie qu'il ne s'agit pas d'un simple
concept parmi d'autres...