Quand j'étais enfant,
Charlton Heston était mon Moïse. L'image de milliers de souffleries,
reproduisant l'ouverture de la Mer Rouge, et celle d'Anne Baxter, offrant une
intrigue secondaire intéressante mais non-biblique, eurent pour effet
de recouvrir d'une patine opaque de mythologie et de kitsch, l'ensemble de cet
événement mémorable.
Ce n'est que plus tard que
j'ai pu dépoussiérer le film, suffisamment pour réaliser
que les (vrais) Dix Commandements sont la déclaration morale et spirituelle
la plus fondamentale ayant jamais été faite.
Afin de pouvoir rencontrer
D.ieu à un tel degré d'intimité, les juifs ont dû
s'engager au point de déclarer : " nous ferons et nous entendrons
". Ils étaient prêts à accepter les actions que D.ieu
leur ordonneraitt, avant même de chercher à les comprendre intellectuellement.
Ils devaient soumettre leur volonté à celle de D.ieu, et Le servir,
plutôt que de servir leurs esprits et leurs curs.
Chacun des Dix Commandements
nous ouvre une porte pour que nous puissions nous éloigner de notre ego,
de notre désir propre et de notre subjectivité.
Le Maharal nous apprend que ces commandements ne sont pas " plus "
importants que les autres - de toute façon, quelle échelle humaine
serait capable d'imposer une hiérarchie de valeur, lorsqu'il s'agit de
la Volonté divine ? - mais qu'ils sont uniques, parce qu'ils nous transmettent
l'essence des 603 autres commandements.
Il s'agit des paroles les
plus importantes que nous entendrons jamais.
Les deux premiers commandements ont une signification très spéciale.
Ils furent donnés directement par D.ieu, sans que Moïse ne serve
d'intermédiaire.
Examinons-les plus en détail.
LE PREMIER COMMANDEMENT
Le premier commandement
énonce :
Je suis l'Eternel
ton D.ieu qui t'a fait sortir d'Egypte, de la maison d'esclavage.
Au premier abord, il semble
que ce soit plus une affirmation qu'une injonction.
En fait, l'impératif qui ressort de ce commandement est le suivant :
nous devons reconnaître que l'existence de D.ieu n'est pas dépendante
de notre volonté de Le servir. Le verset ne dit pas " connaît
Le " ou " sert Le ", parce que Son essence reste inchangée
par notre réaction à Sa présence.
Une fois que nous laissons la vérité de cette affirmation nous
pénétrer profondément, notre relation à la Torah
se modifie. D.ieu n'est pas dans le besoin. C'est nous qui le sommes. Nous recherchons
tous transcendance et signification. Si nous analysons tout ce que ce commandement
implique, nous pouvons découvrir les moyens de parvenir à cette
fin.
Je suis l'Eternel
Le Nom divin que nous traduisons
par " Eternel " est le Tétragramme. Les lettres hébraïques
qui composent ce nom, sont également celles qui forment les verbes de
temps : " Il est, Il était et Il sera ". La Compassion divine
est immuable et peut prendre des formes infinies, mais Sa présence transcende
et à la fois imprègne chaque chose que nous voyons, entendons
ou touchons. Une fois que nous savons cela, nous pouvons La chercher à
travers chaque expérience que nous vivons.
Ton D.ieu
Le mot hébreu pour
D.ieu, Elokim, signifie littéralement " maître des
forces ". Au Mont Sinaï, D.ieu nous fit sentir Sa présence
au moyen de Sa Création.
Chaque création présente en quelque sorte Sa signature gravée
sur elle. Le caractère vivant et plein de force de la nature nous accapare
parfois si intensément qu'elle nous distrait de son Créateur.
Quand nous voyons un coucher de soleil particulièrement saisissant, nous
pouvons le laisser ouvrir notre cur ou bien regarder notre montre et constater
que le jour tire à sa fin.
Le mot Elokim a la même guématria ou valeur numérique,
que le mot hateva, " nature ". D.ieu est là, non seulement
lorsqu'Il révèle Sa présence, mais aussi lorsqu'Il la cache
à travers la nature et qu'Il nous défie de Le trouver et de découvrir
ainsi notre moi le plus éternel et le plus sublime.
Qui t'a fait sortir
d'Egypte
D.ieu n'est pas seulement
présent, Il s'implique. Parfois, nous nous posons la question : "
Où est D.ieu ? ". Cette question prend autant de formes que la tragédie
a de visages. Pourtant, la réponse reste invariablement la même.
Il était là et l'est toujours.
Le mot Egypte se dit Mitsraïm
en hébreu, qui signifie littéralement " étroitesses
" ou " limites ". Il peut nous arriver de nous sentir sur le
point d'étouffer, de n'avoir nulle part où aller, aucun refuge
possible. C'est dans ces moments-là que nous nous rapprochons le plus
de D.ieu, alors que nous rebâtissons une relation avec Lui sur les ruines
de notre ego anéanti.
Quand nous affrontons notre fragilité sans ciller, sans enfouir notre
tête dans le sable, nous pouvons transcender les limites de notre obstination,
à vouloir à tout prix contrôler les évènements
de notre vie.
De la maison d'esclavage
Aucun esclave n'est jamais
parvenu à s'évader de la société compartimentée
qu'était l'ancienne Egypte. Les plaies qui ont contraint les égyptiens
à accorder la liberté aux hébreux, ont démontré
non seulement que D.ieu est conscient de la souffrance humaine et qu'Il désire
intervenir, mais qu'Il est aussi à la fois capable et prêt à
briser les lois de la nature qu'Il a établies.
A partir du moment où nous savons cela, le mot " impossible "
n'a plus de sens. S'il est indéniable que certaines conséquences
sont plus probables que d'autres, les lois de la nature ne sont en fin de compte
que des créations. Peu importe à quel point nous sommes esclaves
de " maîtres " intérieurs ou extérieurs, il est
toujours temps d'espérer.
Quand nous reconnaissons que D.ieu est Celui au sein duquel le monde existe,
qu'Il est impliqué et non entravé par les lois de la nature, et
imperturbable dans Sa compassion, alors de grands changements s'opèrent
en nous. Notre peur du monde et de nous-même s'apaise. Nous cherchons
un lien avec un D.ieu qui est présent dans chaque cellule de notre corps.
Nous pouvons créer
ce lien en observant les commandements positifs.
Le Talmud nous dit que lorsque nous avons entendu le premier des Dix Commandements,
nous étions prêts à accepter l'intégralité
des 248 commandements positifs.
Cette somme correspond au
nombre total de nos organes et de nos membres. Chaque partie de notre corps
offre à notre âme un moyen d'expression tangible, car aucune n'est
en conflit avec l'âme. Cette idée est l'une des plus originales
du judaïsme. Au lieu que le corps soit une source d'aliénation de
D.ieu, il est le moyen par lequel nous canalisons notre désir spirituel
pour Lui et lui donnons une forme d'expression concrète.
Le nombre 248 est aussi
égal à la valeur numérique du mot Avraham. Car ce
fut Avraham qui résolut le paradoxe que pose la réalité
physique pour tant de gens en quête de spiritualité. Plutôt
que d'échapper aux limites qui nous sont imposées dans le cadre
de notre vie dans un monde matériel, il employa la matière comme
une passerelle pour arriver jusqu'à D.ieu.
C'est pour cette raison
que la Torah nous raconte l'épisode sur l'hospitalité d'Avraham
avec tant de détails. Ce n'est pas pour nous donner l'impression que
nous venons juste de rencontrer le type le plus chic de tout Ur en Chaldée,
mais pour nous donner une nouvelle définition sur la façon dont
nous devons nous rapprocher de D.ieu : en utilisant la réalité
physique comme moyen.
LE DEUXIEME COMMANDEMENT
Le deuxième commandement
énonce :
N'aie aucun autre
dieu devant Moi.
Ce commandement nous pousse
à demander : " Y a-t-il ou n'y a-t-il pas d'autres dieux ? ".
S'il y en a, pourquoi ne devrions-nous pas les adorer ? S'il n'y en a pas, pourquoi
les mentionner ?
La réponse se trouve dans la phraséologie élohim a'hérim,
" autres dieux ". Le mot Elokim ne devrait être véritablement
utilisé que pour D.ieu Lui-même.
La triste vérité est que plutôt que d'élever notre
propre niveau de perception au point de vivre chaque instant de Présence
divine comme il vient, nous avons tendance à faire descendre D.ieu à
notre niveau.
Quand nous étudions
les mythes, entourant les idoles ayant jouées un rôle dominant
dans l'histoire (et qui ne manquent pas de parallèles contemporains),
il est impossible de ne pas remarquer qu'elles ne sont autres que des représentations
de tout ce que nous idéalisons en nous. Ce qui était adoré
dans les systèmes de pensée panthéistes, peut toujours
être décrit, observé et défini aujourd'hui.
Le commandement de ne pas
adorer d'idoles nous renvoie donc à cette tendance que nous avons, de
vouloir échapper à D.ieu en déifiant nos désirs
et notre propre personne. Nous limitons notre sens de la réalité
à ce que nous pouvons voir. Il n'y a pas de place pour la progression
spirituelle dans une religion idolâtre. Il n'y a de place que pour l'ego
et le désir.
Si nous observons attentivement ce commandement, nous briserons chaque barrière
que l'ego a pu ériger en nous - tout au moins celles qui existent en
nous aujourd'hui. Nous ne pouvons servir aucune autre force, ni supporter aucun
obstacle dans notre quête de D.ieu.
Ce commandement est la source
des 365 commandements négatifs. Chaque mitsvah négative
est en parallèle avec un jour de l'année solaire. Chaque jour
nous présente de nouveaux défis. Nous pouvons y échapper
en redéfinissant la loi juive, ou bien nous pouvons nous redéfinir
nous-même, en rejetant chaque tentation qui s'offre à nous.
Les deux premiers commandements
sont comparés aux baisers de l'amant que le Roi Salomon décrits
dans " Le Cantique des Cantiques ". Le premier est le baiser de la
connexion, le second est le baiser de l'exclusivité.
Que ce Shavouot éveille
notre passion pour D.ieu. Puissions nous accepter la Torah comme nous ne l'avons
jamais fait.