Le Talmud dit qu'au bout
d'une année, une personne qui a perdu un être cher est consolée.
Ce ne fut pas le cas de Jacob, qui, comme le raconte la Bible, fut inconsolable
pendant les 22 ans qui suivirent la disparition de Joseph, parce qu'il ne pouvait
savoir avec certitude s'il était vivant ou mort.
C'est cette situation à
laquelle sont confrontées les familles israéliennes dont les proches
ont été capturés par des milices arabes et dont le sort
demeure incertain.
Depuis l'Indépendance
de l'Etat d'Israël en 1948, 420 soldats ont été portés
disparus. Chaque année se tient une cérémonie marquant
leur souvenir au cimetière militaire du Mont Herzl, à Jérusalem.
Cette cérémonie a lieu le 7 adar, date de la disparition de Moïse
dont le lieu de sépulture est aussi inconnu.
A l'heure actuelle, six
de ces soldats sont considérés comme " disparus mais présumés
vivants ". Tsahal suit en ce sens la Loi Juive qui considère que
tant qu'on ne détient pas de preuve évidente du décès
d'une personne, celle-ci est tenue pour vivante.
Au fil des années,
on a eu, régulièrement, des informations qui laissaient entendre
que certains de ces soldats étaient encore en vie et détenus sous
contrôle syrien ou iranien. Mais malgré les efforts militaires
et diplomatiques de 7 gouvernements israéliens successifs, on n'a presque
pas progressé dans la connaissance de leur sort.
Il n'y a aucun moyen d'en
savoir plus sur leur situation : qui les détient, où et dans quelles
conditions. Aucun représentant d'ONG n'a pu les approcher, et leurs ravisseurs
ne les autorisent à envoyer aucun message à leurs familles (ni
celles-ci à leur en faire parvenir).
" Quelles sont les conditions de sa détention ? Est-il soumis à l'interrogatoire et à la torture ? "
Et pendant ce temps, les
familles s'interrogent : est-ce que leur proche a été blessé
? A-t-il reçu les soins nécessaires ? Quelles sont les conditions
de sa détention ? Est-il soumis à l'interrogatoire et à
la torture ?
Penina Feldman, la mère
de l'un de ces soldats portés disparus, raconte : " J'ai pleuré,
le jour de Yom Hazikaron (Jour du Souvenir pour tous les soldats tombés
au combat et pour les victimes du terrorisme). Je n'ai même pas ma place,
dans ce jour-là. Je n'ai rien. Je reste assise et je pleure. Je n'ai
pas de tombe devant laquelle pleurer. Je veux que le peuple juif n'oublie pas
ces garçons. Ces derniers temps, beaucoup de mères pleurent leurs
enfants. Pour nous, ne pas savoir est la pire chose qui soit. "
Le rachat des prisonniers
est un commandement qui est lié à celui de sauver la vie d'une
personne en danger. Ce commandement occupe une place importante dans la Loi
juive. Même s'il n'existe qu'une chance infime de retrouver la personne
en vie, la Loi juive nous oblige à chercher sans cesse, jusqu'à
ce qu'on la retrouve, morte ou vivante. " Ne jamais laisser de soldat en
arrière ", telle est la devise de l'armée israélienne.
Même s'il n'y a aucune
chance de survie, la Loi juive nous oblige à persévérer
afin de retrouver le corps de la personne disparue, en vue de son identification
et de son enterrement.
Et effectivement, la recherche
ne finit jamais. En 2001, après qu'un plongeur amateur ait découvert
les restes d'un avion de l'armée qui s'était écrasé
en 1953, Tsahal retrouva les corps des deux pilotes. Arès 48 ans, ils
eurent droit à un enterrement digne de ce nom.
UNE ATTENTE INTERMINABLE
Pour les familles des soldats disparus, la douleur et l'obscurité dans
laquelle ils sont plongés est indicible. Tant que les corps de leurs
soldats ne leur seront pas rendus, ils ne trouveront ni réconfort, ni
repos. La Loi juive maintient qu'ils ne peuvent dire le Kaddich ni prendre le
deuil.
Yossef Fink et Rahamim Alsheikh
furent capturés par le Hezbollah en 1986, alors qu'ils servaient au Liban.
Pendant cinq ans, leurs familles crurent qu'ils étaient en vie, jusqu'à
ce que Tsahal leur fasse savoir en 1991 que de nouveaux renseignements faisaient
état de leur mort. Ce ne fut que cinq ans plus tard que leurs corps furent
retournés à leurs familles, dans le cadre d'un accord libérant
des prisonniers du Hezbollah.
" Quand on nous a annoncé
que les garçons étaient morts, nous avons eu des sentiments mitigés
", a confié Hadassah Fink, la mère de Yossef, au quotidien
Haaretz. " D'un côté, nous étions soulagés car
cela mettait un terme au mystère qui planait, et que nous savions que
les garçons ne souffriraient plus -tout le temps où nous espérions
qu'ils étaient en vie, nous nous inquiétions des conditions de
leur détention. D'un autre côté, il était difficile
de mettre un point final à tous nos espoirs.
" Mon mari et moi-même
avons eu des réactions très différentes à cette
annonce. Lui accepta immédiatement la nouvelle et commença à
faire le deuil de son fils. Mais moi, je refusai d'accepter ce qu'on me disait
sans preuve. Je voulais qu'on me donne une preuve que cela était définitif…
Je me suis imposée cinq années supplémentaires dans l'illusion
qu'il était peut-être vivant, qu'il pourrait apparaître soudainement.
Je n'ai commencé à faire mon deuil qu'en 1996, quand les corps
nous furent rendus.
" Le fait qu'il n'y ait aucun signe, et pas de corps, rend très difficile l'acceptation de la disparition. "
Hadassah Fink avait déjà
vécu ce genre d'incertitude. Son père avait disparu à la
fin de la Seconde Guerre Mondiale, et son corps n'avait jamais été
retrouvé, précise Yaïr Sheleg d'Haaretz. " L'incertitude
rend fou ", dit-elle. " Le plus difficile, quand il n'y a pas de sépulture,
c'est que cela reste intangible. Même si l'on a la certitude qu'il n'y
a aucune chance pour que la personne soit encore en vie, le fait qu'il n'y ait
aucun signe, et pas de corps, rend très difficile l'acceptation de la
disparition ".
En Octobre 2001, trois soldats
israéliens, Adi Avitan, Benny Avraham et Omar Souad, sont tombés
dans une embuscade et ont été capturés par le Hezbollah.
Les terroristes du Hezbollah les ont piégés en se déguisant
en Casques Bleus. (Il s'est avéré que l'ONU détenait un
enregistrement vidéo de l'enlèvement mais refusait de le confier
à Israël.)
Pendant cette terrible attente,
Yaakov Avitan, le père de Adi, confia au Jerusalem Post : " Je ne
peux pas hurler, alors j'hurle sur le papier, en écrivant son nom chaque
jour où il n'est pas là. " Il a gardé un agenda, pour
y inscrire le nom de son fils, comptant chaque jour depuis sa disparition.
Après 12 mois d'agonie
pour les familles et de travail intensif pour les services de défense
et de renseignement, Tsahal déclara les trois soldats morts et leur lieu
de sépulture, inconnu. A ces nouvelles, les familles commencèrent
la Shiva, le deuil traditionnel juif.
" Il est très
difficile de mesurer le succès de notre action ", dit Brigitte Silverberg,
qui agit pour les soldats portés disparus. Après que les corps
de deux soldats furent rendus à Israël pour être enterrés,
quelqu'un lui a même souhaité Mazal Tov (Félicitations).
" Mazal Tov ! Mais
je vais à un enterrement ! Néanmoins, il est vrai qu'il ne faut
pas sous-estimer la signification du retour de ces corps de soldats disparus,
même si cela se déroule dans des circonstances aussi tragiques.
"
LES SIX SOLDATS PORTES DISPARUS
Voici les histoires des
six soldats " portés disparus mais présumés vivants
".
(1) Zacharie Baumel,
Tzvi Feldman et Yéhouda Katz
Le 11 juin 1982, des soldats
israéliens se trouvèrent pris sous un feu nourri dans une bataille
qui se déroulait dans un champ, près du village libanais de Sultan
Yakoub. Soldats religieux se battant pour leur vie, ils se déplaçaient
de rocher en rocher, en récitant des psaumes. Leur position était
coordonnée par radio, avec le système de numérologie hébraïque
(Guématria) pour code.
Au moins cinq soldats furent
capturés, et quelques heures plus tard, des journalistes de Time Magazine,
Associated Press, et autres rapportèrent que des soldats et des tanks
israéliens avaient été publiquement exhibés au cours
d'une parade dans les rues de Damas.
Quelques années après,
deux des soldats capturés furent rendus à Israël dans le
cadre d'un échange de prisonniers, mais trois soldats, Zacharie Baumel,
Tzvi Feldman et Yéhouda Katz, étaient toujours portés disparus.
Baumel est un citoyen américain ; Katz et Feldman sont les enfants de
rescapés de la Choah.
Au fil des années
sont parvenues des informations laissant à penser qu'ils étaient
détenus sous contrôle syrien et pourraient être encore en
vie. Riffat el-Assad, l'oncle du Président syrien Bashar el-Assad et
Mustapha Tlass, le Ministre de la Défense syrien, ont tout les deux dit
que la Syrie détenait des prisonniers israéliens. Encore en l'an
2000, Ibrahim Suliman, un syro-américain, proche ami de feu le Président
Hafez el-Assad, déclarait que Zacharie Baumel était toujours en
vie.
" Yasser Arafat, en 1993, avait remis un morceau de l'insigne militaire (en forme de chien) de leur fils à un délégué Israélien à Tunis. "
Les parents de Baumel, Yona et Myriam
Baumel, sont un couple d'américains âgés. Ils ont fait leur
Aliyah en 1970, alors que Zacharie avait 9 ans. En 1994, ils menèrent
une grève de la faim devant le bureau du Premier Ministre à Jérusalem,
insistant sur le fait que la réponse sur le sort de leur fils était
entre les mains de Yasser Arafat qui, en 1993, avait remis un morceau de l'insigne
militaire (représentant un chien) de leur fils à un délégué
Israélien à Tunis. D'où Arafat avait-il obtenu cet insigne
? Pourquoi avait-il nié qu'il était en sa possession pendant toutes
ces années ? Que sait-il d'autres sur les soldats portés disparus
?
Sarah Katz, la mère de Yéhouda
Katz, avoue : " Je n'ai pas abandonné l'espoir de voir mon fils,
et j'espère qu'il y aura un dénouement positif. Même si
tant d'années ont passé, nous croyons que notre fils est caché
quelque part, même s'il ne peut nous le faire savoir. Je le sens chaque
jour, et je ne l'oublie pas - et c'est le meilleur signe qu'il est encore en
vie. "
(2) Ron Arad
Le 16 octobre 1986, Le pilote israélien
Ron Arad ainsi qu'un autre pilote sautèrent en parachute alors que leur
F4 Phamtom de combat se crashait au dessus du territoire libanais sous contrôle
syrien. Le deuxième pilote fut ramené en Israël au cours
d'une spectaculaire opération de sauvetage par hélicoptère
sous le feu ennemi, alors que Ron Arad était capturé par Amal,
une milice chiite dirigée par Nabih Berri qui devait devenir le porte
parole du gouvernement libanais quelques années plus tard.
Un an après, deux photos et
trois lettres -écrites de la main de Ron Arad- arrivèrent. "
Essayez de faire pour moi tout ce qui est en votre pouvoir ", écrit-il
à sa famille. " Je ne sais pas, mais, s'il vous plait, dites quelque
chose à nos dirigeants, au gouvernement, à tous ceux qui peuvent
faire quelque chose pour me sortir de là… "
Arad était détenu à
la connaissance et avec l'approbation de la Syrie. Les négociations pour
sa libération furent interrompues après qu'il ait été
" vendu " aux milices libanaises pro-iraniennes. La convention de
Genève de 1949 (Section 2, Articles 11&12) tient la Syrie pour responsable
de son sort.
La fille de Ron Arad, Youval, qui
était un bébé au moment de sa capture a maintenant 17 ans.
(3) Gay Hever
Le 17 août 1997, le soldat
Gay Hever était vu pour la dernière fois sur sa base du Sud du
Golan. Toute la zone fut passée au peigne fin, mais on n'a trouvé
aucune trace de lui. Aujourd'hui, six ans après, il n'y a toujours aucun
indice de ce qui a pu lui arriver.
Sa mère, Rina Hever, ne pourra
trouver le repos tant qu'elle ne saura pas ce qui s'est passé. Elle s'est
confié à Haaretz : " En tant que mère, je rêve
encore et espère que Gay ouvre soudainement la porte et rentre à
la maison. J'ai le sentiment profond qu'il pourrait être détenu
quelque part par des éléments hostiles, attendant que nous venions
à sa rescousse ".
(4) El'hanan Tannenbaum
Le 15 octobre 2000, le Hezbollah
annonçait qu'il avait pris en otage un officier de réserve israélien
âgé de 54 ans, El'hanan Tannenbaum, alors qu'il était en
voyage d'affaire en Belgique. Tannenbaum souffre d'une maladie chronique qui
nécessite un traitement médical, mais le Hezbollah refusa que
quiconque puisse le voir.
En avril 2002, lors des opérations israéliennes visant à
déloger les terroristes de Jénine, le Hezbollah offrit d'échanger
Tannenbaum contre cent Palestiniens arrêtés dans le camp de réfugiés.
Il n'est pas clair si cette offre était sérieuse ou si elle n'était
qu'une des tactiques de la guerre psychologique menée par l'organisation
terroriste.
En janvier 2003, le Hezbollah reconnut
publiquement que Tannenbaum était toujours vivant.
Sa fille, Keren Tannenbaum, faisant
référence aux nombreuses années passées depuis la
disparition de Ron Arad, a déclaré : " Nous ne voudrions
pas avoir à attendre aussi longtemps ".
ESPOIRS
Le problème des soldats disparus
tient une place importante en Israël, où quasiment chaque famille
a un proche qui sert sous les drapeaux. C'est un sujet qui continue à
faire les gros titres dans la presse, et les écoliers connaissent les
noms et les histoires de chacun d'entre eux.
La question des soldats portés
disparus est une des plus consensuelles dans la société israélienne.
En 1999, un sondage Gallup montrait qu'une grande majorité d'israéliens
posait comme préalable à toute signature d'un traité de
paix avec la Syrie la remise par celle-ci de toutes les informations concernant
ces soldats.
Cependant, on avait la sensation
qu'on ne faisait pas assez pour ces soldats. C'est ainsi qu'en 1994, Danny Eisen,
un américain qui avait émigré en Israël, créait
la Coalition Internationale pour les Soldats Portés Disparus (ICMIS),
une organisation qui travaille sans relâche en faveur des soldats et de
leurs familles (www.mia.org.il).
" Quand les négociateurs
d'Oslo se rencontrèrent pour la première fois en 1993, une des
pierres angulaires de leurs revendications était la libération
de milliers de palestiniens détenus dans les geôles israéliennes
", dit Eisen. " Ce que nous avons eu en retour, c'est la moitié
de l'insigne de Baumel. Il était évident qu'il était nécessaire
d'en faire plus de notre côté. "
Nombreux sont ceux qui s'interrogent
s'il est raisonnable de penser que les soldats disparus sont encore en vie après
toutes ces années. Et si c'était le cas, pourquoi les arabes ne
les auraient pas utilisés comme levier dans les négociations ?
" On raconte que le Président Hafez el-Assad aurait dit qu' " aime l'idée de se lever le matin en détenant quelque chose que les israéliens désirent ". "
Eisen explique que les bandits et
les dictateurs sont motivés par le besoin de contrôler, de détenir
le pouvoir ; en assassinant ou en relâchant un prisonnier, ils perdent
le contrôle. On raconte que le Président Hafez el-Assad aurait
dit qu' " aime l'idée de se lever le matin en détenant quelque
chose que les israéliens désirent ". On a déjà
vu des otages détenus pendant des décennies ; l'an dernier, la
Corée du Nord a ainsi libéré des prisonniers qui étaient
détenus depuis 40 ans (et d'autres sont encore en prison).
" Les êtres
humains savent mieux faire face à la mort qu'à l'inconnu ",
rappelle Eisen. " Nos ennemis le savent et exploitent cela ".
ICMIS a pris ce combat en
mains, et en 1999, le président américain Bill Clinton signait
à la Chambre des Représentant une loi, l'amendement #1175, appelant
à la libération de Zacharie Baumel et des autres soldats disparus.
Cependant, il faut plus
que des déclarations politiques ou des propositions de médiation
d'organismes internationaux. Chaque personne qui se sent concernée doit
personnellement exiger des terroristes (et des gouvernements qui les soutiennent)
de donner des informations sur ces captifs.
Dans cette intention, ICMIS
a mis en ligne une pétition qui devra réunir un million de signataires
qui apporteront leur soutien aux soldats disparus (www.mia.org.il, le site est
en plusieurs langues, dont le français), et une autre pétition
signée par des médecins pour demander des soins médicaux
pour El'hanan Tannenbaum.
Tant que la question ne
sera pas réglée, l'agonie se poursuivra. " Nous ne pouvons
oublier ", dit Penina Feldman, la mère de Tzvi. " Une fois,
j'ai rêvé de Rachel, la matriarche. Je lui disais : Mon destin
est ton destin. (Le fils de Rachel, Joseph, avait disparu pendant 22 ans.) Quand
je me suis réveillée, j'ai vu que nous étions le jour anniversaire
de sa mort. Nous sommes allés sur sa tombe et y avons allumé une
bougie. "
On peut dire des prières
pour les soldats portés disparus. Voici leurs noms :
Yékoutiel Yéhouda
Na'hman ben Sarah (Katz)
Zekharia Chlomo ben Myriam (Baumel)
Zvi ben Penina (Feldman)
Ron ben Batya (Arad)
Gay ben Rina (Hever)
El'hanan ban Rivka (Tannenbaum)
Pour plus d'informations,
voir le site http://www.mia.org.il/f/index.html
Sources talmudiques et rabbiniques
:
Maïmonide, Dons aux
pauvres, 8, 10-11
Choul'han Aroukh :Yoré Déah, 252,1 ; Even Haézer 17,5 avec
Beth Yossef Ora'h 'Haïm 229,3
Yalkout Chimoni : Yirmiyahou 293
Kol Bo 82
Chvout Yaacov 1, 102
'Hatam Sofer2 Yoré Déah 341
L'auteur remercie Rosally
Saltsman pour la documentation.
Traduction de Sarah Weizman