L'une des conquêtes fondamentales de ces deux derniers siècles est le
principe de liberté. Des révoltes populaires ont renversé
des gouvernants despotiques, des colonies ont rompu
les liens qui les rattachaient à leurs maîtres ; des gouvernements
se sont formés sur des bases nouvelles ; et une vingtaine de nouveaux
Etats ont pris place aux côtés de leurs aînés.
L'Afrique et l'Asie - deux
continents sur lesquels l'image du surhomme" blanc " a longtemps imposé
sa " supériorité " - ont émergé aujourd'hui
comme une force nouvelle capable de modifier radicalement l'équilibre
traditionnel des puissances dans le monde.
Nul doute que cette émancipation
est due à une conscience croissante de l'importance et de la valeur de
l'individu en tant que tel. L'accent s'est déplacé du général
au particulier, du système de caste à celui d'égalité
entre les êtres humains. L'individu, que ce soit du point de vue de la
race, de la nation ou en tant que personne, s'est réveillé et
revendique ses droits naturels ; il veut que ses qualités et ses privilèges
uniques soient reconnus ; il veut être considéré comme un
être humain ayant un but, une mission dans la vie, et dont la valeur et
le mérite sont uniques, non comme un instrument indispensable entre les
mains d'hommes supposés supérieurs. Le besoin de liberté
est le moteur psychologique de notre temps. Et la liberté est entendue
comme un rejet du joug de ces supérieurs supposés ; comme un terme
à la sujétion aux caprices des autres, bref, comme l'insertion
et l'expression de soi.
Le phénomène,
si particulier à nome temps, mérite assurément une étude
approfondie. Non pas un examen purement académique, mais une analyse
sérieuse dont on puisse tirer des conclusions pratiques. Ce besoin de
liberté et ses implications ont une signification spéciale pour
notre foi juive en général et pour la 'Hassidouth en particulier,
puisque l'une et l'autre mettent avec force l'accent tant sur cet idéal
de liberté que sur l'importance et le caractère unique de chaque
individu. Une définition de la liberté peut toutefois constituer
une sorte de corde raide du haut de laquelle plus d'un danseur risquerait de
tomber et de se rompre le cou. Souvent il n'y a qu'un cheveu entre la compréhension
et le malentendu. Mais, loin de nous faire hésiter, cela nous incite,
au contraire, à tenter cette définition. Et où la trouver
mieux que dans nos écritures saintes, dans la Torah qui est l'image du
cosmos.
JOUG ET LIBERTÉ
Rabbi Yehochoua ben Lévi
a dit " Nul n'est libre que celui qui fait son occupation de la Torah ".
" A cause de la Torah (littéralement : à cause des Lou'hoth
- les Tables), les Enfants d'Israël sont des hommes libres ".
Cette évaluation
paraîtra, à première vue, plutôt surprenante. Il semblerait
justement que celui qui accepte le joug de la Torah, qui se soumet aux commandements
et aux interdits émanant d'une source extérieure à lui-même,
abdique sa propre liberté, sa propre indépendance. Dès
lors qu'un homme accepte d'être assujetti aux volontés émanant
d'une source étrangère à lui même, il ne saurait
y avoir de place pour une affirmation de soi, pour une expression personnelle.
Une fois lié par un contrat, qu'il soit religieux ou social, l'individu
perd son individualité et se dissout dans la collectivité à
laquelle il a adhéré.
Mais avant de généraliser
et d'appliquer universellement ce jugement, définissons-en plus clairement
les prémisses.
Le système de base
du monde s'appuie sur le principe des groupes dont les individus composant chacun
d'eux sont liés par une sorte de contrat ordres religieux, sociaux, nations,
Etats, organisations, etc. Chacun de ces groupes a avec les groupes semblables
un commun dénominateur : l'union d'un certain nombre d'individus, formant
ainsi une unité singulière définie par des qualités
spécifiques, comme le précise la charte ou le contrat de ce groupe.
Il en découle que chaque membre de cette unité a l'obligation
de se soumettre aux règles qui distinguent ce groupe de tous les autres.
Si nous tenons compte du
fait que l'homme est par nature un être social, ayant besoin (de façon
innée ou autrement) d'un état social afin d'échapper à
un intolérable état de nature, nous serons amenés à
conclure qu'il ne peut jamais être véritablement indépendant,
entièrement libre d'agir comme il l'entend. Ce seront tantôt les
impératifs de sa foi, tantôt les lois de son souverain, qui lui
imposeront certaines limitations. Fondamentalement, une révolution signifierait
simplement un changement de gouvernement ou de souverain, éventuellement
de lois ; mais en vérité ce ne serait rien qu'une substitution,
non un changement absolu dans l'état de l'homme.
L'homme, aussi longtemps
qu'il vit, est soumis à son Yétzère (inclination au mal)
et à son Yotzère (le Créateur). Comment, dès lors,
concilier ce fait empirique avec notre idéal de liberté et d'individualité
?
Il est vrai que notre société
est faite de groupes et d'organisations de natures diverses. De plus, il est
impératif que chaque groupe ait un certain code qui lie (formellement
du moins) tous ses membres, et qui représente la condition même
d'adhésion à ce groupe. Délibérément et par
un choix motivé par le désir d'en faire partie, chaque membre
se fait une obligation d'accepter les règles de ce code. C'est le privilège
de l'homme libre de choisir le groupe ou ordre auquel il désire s'identifier.
Mais, une fois le choix fait, il sera lié par les règles du groupe
qu'il a choisi. Techniquement parlant, il sera contraint, mais non asservi ;
sujet à des restrictions, mais libre de changer.
Un esclave n'a point de
choix propre ; il n'est pas entre les deux termes d'une alternative; il ne peut
que -e soumettre à la volonté de son supérieur, son propriétaire,
car il n'est qu'un esclave. L'homme libre aussi est limité; il a des
obligations envers les autres. Mais il n'appartient à personne; il peut
choisir ces " autres " conformément à son goût
personnel et les échanger contre d'autres s'il le désire.
Ainsi donc, nous pouvons
faire cette distinction :
Soumission par la force,
sans considération de manière ou de degré = esclavage.
Soumission par choix, sans
considération de ce à quoi ou celui à qui on est soumis
= liberté.
A la lumière de cette
définition, examinons le statut de l'homme. L'homme est le dernier venu
dans l'ordre de la création, et destiné dès le début
à avoir un but unique. Afin d'atteindre ce but, les fins pour lesquelles
il est en ce inonde, il doit suivre un certain chemin, vivre d'une manière
précise, adhérer à un code distinct de conduite et d'action.
Une telle destinée est incompatible avec une existence mécanique
d'automate qui se meut par l'action d'un agent extérieur (au sens propre
et au figuré). Afin de réaliser ce pour quoi il est sur cette
terre, à savoir on développement de soi de plus en plus poussé,
l'homme doit pouvoir se mouvoir selon sa propre volonté, décidant
souverainement comment agir et se comporter par rapport aux directives et aux
objectifs qui lui ont été révélés. Dans ce
but, il faut qu'il ait le pouvoir de choisir librement (Be'hirah). Seulement
là où il y a be'hirah, pouvons nous parler de but, de récompense
ou de châtiment, de. succès ou d'échec, d'accomplissement
d'une mission et de réalisation (ou de non-réalisation), d'un
but ? Le choix implique l'alternative. Cette alternative donnée à
l'homme, c'est, d'une part, le Yétzère du cœur de l'homme
- " méchant dès sa jeunesse " et né avec l'homme
même, et d'autre part la Torah, antidote des forces du Yétzère,
le principe et guide grâce auquel l'homme peut contrôler et canaliser
ces forces (c'est-à-dire conquérir, utiliser et sublimer les qualités
du Yétzère, ainsi qu'il est écrit : " C'est à
la vigueur des bœufs qu'on doit l'abondance de la moisson ").
NE PAS
LAISSER FAIRE
Si l'honore était
né avec une " nature de Torah ", puis exposé à
un Yétzère, ce serait un pari facile. Car, en pareil cas, il n'aurait
qu'à " laisser faire ", laisser sa nature de Torah suivre son
cours et, mis à part quelques rare récalcitrants obstinés,
le Yétzère n'aurait aucune chance. La situation ne serait pas
équitablement équilibrée, ce qui mettrait en doute le principe
mémo du libre arbitre. Le mérite pour l'homme n'est par de "
laisser faire ", mais au contraire de résister, d'élever
et de sublimer sa nature au-dessus du niveau relativement bas où elle
se trouve, de la développer et, dans toute la mesure possible, la perfectionner.
Ainsi donc, la nature de l'homme devait être imparfaite, et son but à
lui, de la perfectionner. D'abord, il doit y avoir " La Conception du cœur
de l'homme est mauvaise dès son enfance ", puis il y a l'antidote
- la Torah, l'utilisation des forces de l'intellect, la connaissance 'Habad
de la Torah, connaissance conceptuelle et exhaustive, dans le but de guider
et canaliser les forces du cœur.
SEULEMENT A CHAVOUOTH
A la lumière de ces
données, il est clair que " de suivre l'obstination du coeur "
à céder aux passions ne saurait être considéré
comme un choix, coinme une soumission par choix. Quant à la passion du
cour, les feux dévorants qui doivent être contrôlés
par l'esprit (les " eaux " qui éteignent ces feux dévorants)
: y céder sans l'accord de l'esprit équivaut à une reddition,
à une capitulation d e v a n t la volonté de " quelqu'un
d'autre " ; c'est succomber au caprice d'une " autre force" extérieure
à l'unique qualité distinctive de l'homme : son intellect. Ainsi,
la soumission à la passion peut véritablement être assimilée
à un asservissement :
" serviteur du Yétzère
", c'est-à-dire esclave.
L'alternative par laquelle
l'homme peut répondre à un tel esclavage (qui est un état
de nature passif) consiste à faire usage du pouvoir de choisir qui lui
est donné : " J'ai mis devant vous la vie et la mort, la bénédiction
et la malédiction, choisissez la vie ". Celui qui fait ce choix,
qui fait son occupation de la Torah, qui accepte le code des lois Divines pour
diriger son cœur, celui-là est un homme libre, qui fait usage du
privilège qu'il a de choisir. Oui, " serviteur de son Yotzère,
son Créateur ", mais serviteur par choix délibéré,
par désir de compter parmi les membres de ce groupe particulier.
Telle est la signification
de notre liberté, de notre délivrance qui commença par
la promesse : " Je vous affranchirai des travaux dont vous chargent les
Egyptiens, et je vous délivrai de leur servitude ; et je vous sauverai
à bras étendu et par de grands jugements ", pour atteindre
son apogée avec : " Je vous prendrai pour Mon peuple " - Mattan
Torah, le don de la Torah au Mont Sinaï.
Chavouoth est la conclusion
de Pessa'h, la dernière phase du processus de notre libération.
La Torah fut donnée seulement à Chavouoth, seulement à
Chavouoth nous avons accédé à la liberté. Liberté
et Torah sont synonymes, un seul concept, une seule idée; car "
nul n'est un homme libre que rah ", de l'étude de la Torah et de
l'observance des directives Divines celui qui fait son occupation de la Torah
qu'elle contient !