Le soir de Pessah, nous
lisons la Haggadah, le récit de la sortie d'Egypte. Ce récit construit
sous forme de questions / réponses explique les conditions de la sortie
d'Egypte, et rapporte les différentes opinions des sages sur le Seder
et le sens de la fête de Pessah. Il contient également des louanges
et des prières en relation avec la grandeur de D.ieu, ses miracles et
le souhait que nous avons tous de voir l'Exil se terminer " l'an prochain
à Jérusalem".
Aucune persécution, aucun emprisonnement ne peut annuler ce qu'inaugure pour toujours la sortie d'Egypte : la naissance d'un peuple et l'avènement de sa liberté de conscience.
A travers le cérémonial du Seder et de la Haggadah, il nous faut
concrètement ressentir le goût de l'émancipation et de la
liberté. La parole et le questionnement qui scandent les différentes
étapes de la soirée doivent nous aider à y parvenir. Par
définition, un homme asservi est un homme qui ne pose pas de question,
qui se soumet sans discuter. Le soir de Pessah, plus on parle, plus on interroge,
et plus on touche à l'essence de la fête...
Il est fondamental que chaque
génération ressente avec la plus vive acuité que la sortie
d'Egypte a fait de nous un peuple à part entière, libre d'une
liberté fondamentale et inaliénable. Aucune persécution,
aucun emprisonnement ne peut annuler ce qu'inaugure pour toujours la sortie
d'Egypte : la naissance d'un peuple et l'avènement de sa liberté
de conscience.
La Haggadah plus qu'un simple
récit de libération nous confronte à l'expérience
de la sortie, du passage vers quelque chose d'autre...
Elle montre très
concrètement comment l'esclave inconscient de son aliénation se
métamorphose en homme libre de ses choix et de sa foi. Durant tout le
Seder, nous conjuguons et superposons les symboles contradictoires de libération
et d'aliénation, justement pour mieux percevoir cette métamorphose.
La liberté n'arrive pas comme un cadeau, elle se conquiert, elle se recherche...
A nous donc d'élucider
les oppositions antinomiques contenues dans la juxtaposition des quatre coupes
de vin avec les herbes amères, ou de la position accoudée avec
la 'Harosset...
La Matsa, symbole par excellence
de la soirée de Pessah, synthétise, à elle seule, tous
les contraires : elle est à la fois le pain de pauvreté que nos
ancêtres ont mangé en Egypte et le pain de liberté qui n'a
pas eu le temps de lever au moment où les Enfants d'Israël ont quitté
l'Egypte...
En condensant tous ces symboles,
le récit haggadique n'est pas un récit historique au sens traditionnel
du terme. Dans les livres d'Histoire, l'accent est souvent mis sur l'homme providentiel,
celui par qui les évènements arrivent, celui qui par sa force
charismatique se fait le catalyseur des aspirations de tout un peuple. Dans
la narration haggadique, Moïse, l'homme qui incarne au plus haut point
la sortie d'Egypte, ne tient pas, loin s'en faut, une place de premier plan.
A peine est-t-il mentionné une seule fois et encore de façon annexe
: "... le peuple révéra D.ieu et eut foi en D.ieu et en son
serviteur Moïse ".
La Haggadah pour raconter
la sortie d'Egypte laisse de côté le récit détaillé
de l'Exode où les événements, racontés de façon
extrêmement précise, font évidemment la part belle à
Moïse, notre maître, pour chercher ses sources dans de courts passages
du Deutéronome et du livre de Josué relativement concis et allusifs.
Plus encore, cette réticence à citer Moïse semble confiner
à la censure lorsque sur les six versets du chapitre 24 de Josué,
la Haggadah n'en mentionne que les trois premiers pour s'arrêter au moment
précis où le nom de Moïse doit apparaître.
Prendre ses sources dans le livre de l'Exode aurait fait de Moïse le héros incontournable de la soirée et du récit de la Haggadah.
Le Gaon de Vilna explique que cette "mise à l'écart"
de Moïse, notre maître, est volontaire. Prendre ses sources dans
le livre de l'Exode aurait fait de Moïse le héros incontournable
de la soirée et du récit de la Haggadah, un récit apologétique
centré autour de la personne de Moïse. Dès lors, la Haggadah
aurait manqué son but essentiel, faire comprendre que les juifs sont
sortis d'Egypte, par la seule volonté et le seul pouvoir de D.ieu.
Citer Moïse ne serait-ce
qu'une seule fois (dans le verset de Josué) c'était également
prendre le risque de faire croire que D.ieu avait agi en association avec lui.
C'est la raison pour laquelle la seule occurrence du nom de Moïse dans
la Haggadah est suivie de l'apposition : "son serviteur" ; le serviteur
de D.ieu par opposition à Son associé.
De plus, si l'enjeu du Seder consiste en cette perception d'une liberté
de conscience donnée par D.ieu - en nous émancipant du statut
d'esclave sans Thora - ce sentiment de liberté ne pourrait être
pleinement perçu dans un rapport de soumission et de glorification à
l'égard d'un homme, fût-il Moïse, notre maître.
Le soir de Pessah, c'est
à l'échelle individuelle, personnelle et familiale que nous devons
vivre l'expérience de liberté que nous proposent le Seder et la
Haggadah. Tout en étant capable de percevoir que les grands bouleversements
ne sont pas le fait d'un homme quel qu'il soit, mais que D.ieu reste par delà
les apparences le seul instigateur de l'Histoire.