Il est une tradition religieuse scrupuleusement observée
par les Juifs traditionalistes, qui veut que la veille de Pessa'h, l'on vende
le 'Hamets, tout levain et toute pâte levée qui se trouveraient
encore à ce moment être dans notre propriété.
C'est là un usage
très fidèlement conservé, mais dont on ne parle pourtant
que bien peu. Le plus conservateur de nos Juifs a l'air de se sentir gêné
lorsqu'on cite cette tradition. Il a l'impression de se sentir en faute et d'observer
par routine un usage qu'il ne comprend pas ou, mieux, qu'il trouve peut-être
contraire, non seulement à la raison, mais encore à la Torah.
N'y a t-il pas là véritablement transgression de la parole de D.ieu, dont aucune procédure ne peut nous absoudre?
Quoi ? La Torah n'a t elle
pas dit clairement " qu'aucun 'Hamets ne devra se trouver dans nos propriétés
pendant Pessa'h " ?
Et voilà que par une " vente " que nous savons pourtant être
tout au moins limitée dans le temps, nous nous autorisons à conserver
par devers nous ce que la Torah interdit ?
N'y a t-il pas là véritablement transgression de la parole de
D.ieu, dont aucune procédure ne peut nous absoudre? N'est ce pas tourner
la Loi que d'agir de la sorte ?
Voyons ce qu'il en est exactement.
Il nous faut établir
d'abord qu'en réalité, effectivement, pendant longtemps, on ne
connaissait pas notre moyen de procéder. On ne possédait pas de
stocks de produits alimentaires. On faisait donc réellement place nette
; l'on se défaisait de tout 'Hamets.
Nous parlons, bien entendu,
du cas des particuliers. Si vente il y avait, elle se faisait effectivement
et était suivie par l'enlèvement de la " marchandise ".
Plus tard, l'on se borna
pour éviter ce transport - de céder à l'acheteur un local
dont il devenait le locataire réel. Enfin, ultérieurement encore,
on se contenta d'une vente collective à laquelle procédait le
rabbin et ceci est le cas le plus général encore actuellement
pour éviter que les particuliers ne procèdent à cette cession
à une heure tardive ou ne rédigent un contrat sous une forme illicite.
Comment une telle manière
d'agir peut-elle permettre aujourd'hui à un juif traditionaliste, foncièrement
fidèle à la Parole divine, de conserver dans son appartement sous
clef, bien entendu, mais néanmoins sous son toit ce 'Hamets interdit
pendant Pessa'h?
Pour répondre, il
nous faut faire intervenir ici un point de droit fort intéressant et
fort original.
Depuis la Création,
l'homme se trouve être en droit de disposer à sa guise des bien
terrestres dont l'Eternel lui a cédé la jouissance : " Remplissez
la terre. Exploitez la. Régnez sur la gent animal ! ". " La
terre, dit le Psalmiste, D.ieu l'a remise aux humains. ". Si
l'ensemble appartient à toute l'humanité, donc à tout un
chacun, un partage est cependant intervenu et le droit stipule suivant quelle
forme la propriété peut passer de l'un à l'autre.
" Le " droit divin " limite aussi bien notre droit de propriété que notre droit de mutation, même si par ailleurs toute la forme légale est absolument observée. "
Le Judaïsme a un respect
absolu de la propriété, acquise légalement par son possesseur
et permet donc les mutations. Mais nous connaissons, de plus, une notion toute
particulière, inconnue par ailleurs : la notion de " droit divin
". Celui-ci limite aussi bien notre droit de propriété que
notre droit de mutation, même si par ailleurs toute la forme légale
est absolument observée.
Nous allons nous expliquer
sur ce point par quelques exemples.
Il est normal et légal
que le produit de nos efforts soit notre propriété et que nous
en ayons l'usufruit. Il est naturel donc que, par exemple, nous puissions bénéficier
librement de la récolte de nos champs et de nos vergers. Et pourtant,
d'après le droit de la Torah, ces biens ne deviennent vraiment notre
propriété que le jour où nous nous sommes acquittés
de certains devoirs qui, pour ainsi dire, hypothèquent cette récolte.
Ces devoirs sont les différents
prélèvements (pour le Cohen, le lévite, le pauvre, etc.)
qui, en réalité, constituent la part de D.ieu dans la réussite
de nos efforts et dont il nous faut effectuer le règlement avant de pouvoir
jouir librement de nos biens, avant que ceux ci deviennent réellement
et complètement notre propriété. Aucune loi ne pourra nous
déclarer propriétaire de ces biens tant que le droit divin ne
l'aura pas fait.
A d'autres moments, le droit
divin annule totalement nos droits sur nos biens. Il en est ainsi le jour du
Chabbath . Pendant six jours nous avons le droit de posséder et d'exploiter,
mais le septième jour nous sommes expropriés par le droit divin.
C'est la raison d'ailleurs pour laquelle celui qui transgresse Chabbath est considéré
comme exploitant des biens qui ne lui appartiennent pas, comme tirant un profit
malhonnête de biens dont il lèse le vrai et réel propriétaire.
En règle générale
d'ailleurs, disent nos Sages, même pendant les six jours, où les
biens de ce monde nous appartiennent, leur utilisation ou leur consommation
ne devient licite que lorsque nous nous sommes acquittés vis à
vis du droit divin sur ces biens : lorsque nous avons prononcé une Bera'ha,
une bénédiction. Alors seulement ces biens sont libres de toute
attache et de tout droit et nous appartiennent pleinement.
Il n'est pas besoin de dire que cette Bera'ha ne nous permet pas de nous libérer
vis à vis de D.ieu le jour du Chabbath .
Cette notion de droit divin
nous permettra de voir la vente du 'Hamets sous un autre angle, d'en saisir
la véritable portée et d'en comprendre le sens réel.
Le 'Hamets étant
interdit à Pessa'h de par la volonté de D.ieu, tout droit de propriété
de notre part sur cette pâte levée disparaît automatiquement.
Puisque l'Eternel nous interdit ce 'Hamets pendant huit jours, il se réserve
tous les droits sur ce produit et annule donc tous les nôtres.
Mais alors, il nous ne serait
absolument pas possible de transgresser la Parole divine ? En droit nous ne
possédons pas de 'Hamets à Pessa'h de par la volonté de
D.ieu. Où est alors notre liberté ? Et si nous voulons transgresser
la parole de D.ieu et conserver du 'Hamets contre son gré, ne le pouvons
nous pas? Où est, d'autre part, notre responsabilité dans nos
actions, si D.ieu nous enlève tout droit sur ce 'Hamets ?
" Par un lien tout à fait faible ce 'Hamets est remis à notre disposition pour permettre à notre libre-arbitre de se manifester. "
La question est justifiée.
Aussi le droit divin nous a-t-il fait une infime concession, tout juste ce qu'il
faut pour nous permettre de manifester notre propre volonté, à
savoir si nous voulons être fidèles à la Parole de D.ieu
ou la transgresser. Par un lien tout à fait faible ce 'Hamets est remis
à notre disposition pour permettre à notre libre-arbitre de se
manifester.
C'est ce faible lien et
lui seul qu'il nous faut rompre avant Pessa'h pour être en règle
avec nos devoirs religieux.
A cet effet, une simple
manifestation de notre volonté (Bitoul) suffit en réalité.
Le seul fait de dire, ou même de penser, que nous voulons que cette parcelle
de droit que nous avons encore sur ce 'Hamets disparaisse serait suffisant.
Mais, afin que notre manifestation
soit plus apparente et plus clairement exprimée, nous procédons
à la " vente " du 'Hamets, en réalité à
la cession de ce droit infime que nous possédons sur ces produits, dont
l'Eternel nous a déjà, en grande partie, dépossédés.
Cette vente donc même
s'il existe dans notre esprit l'espoir ou même la certitude d'un rachat
ultérieur garde toute sa valeur, celle-ci étant uniquement d'ordre
religieux. Elle n'a d'autre but que la rupture d'un droit religieux strictement
limité.
On raconte d'ailleurs à
ce propos qu'un jour un délateur a rapporté à l'Empereur
d'Autriche que les Juifs rédigeaient des actes de vente de 'Hamets et
ne payaient pas les droits d'enregistrement afférents à de tels
actes. Après enquête, l'Empereur lui répliqua qu'il ne s'agissait
là que d'actes ayant une valeur purement religieuse.
Point n'est donc besoin
d'avoir mauvaise conscience en accomplissant la Mitsvah de la vente du 'Hamets.
Point n'est besoin non plus d'en sourire. Une fois de plus, il nous a été
donné, par cet exemple, de saisir la valeur profonde de la Tradition
et de répondre à la question de l'enfant sage de la Haggada :
" Quelle est la signification de ces lois, préceptes et décrets
que l'Eternel, notre D.ieu, nous a ordonné ? ".