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Les Rendez-vous de l'Année Juive / Pourim back  Retour
L'impérialisme d'AssuérusTrès souvent, lorsqu’une civilisation veut supplanter et absorber toutes les autres, elle voit dans l’existence de l’esprit juif une pierre d’achoppement à la réalisation de son hégémonie 

ASSUERUS, UN SIMPLE PANTIN ?

Assuérus semble être faible et maléable; pour la tradition juive, c'est loin d'être le cas.

Pour celui qui lit superficiellement le texte, Assuérus apparaît comme le personnage le moins important dans la trame. Il semble être le roi fainéant, manipulé tantôt par Aman, tantôt par Esther : il est prêt à laisser exterminer un peuple qu'il ne connaît point, puis, changeant d'attitude, il ordonne de punir sévèrement celui qui oserait le toucher.

Notre tradition orale semble avoir une autre opinion à ce sujet : elle considère Assuérus comme un personnage parfaitement conscient du rôle qu'il joue. Qu'il ait changé d'attitude envers les Juifs relève presque du miracle, comme nous allons le voir plus loin.

En effet, ne savait-il pas réellement qui étaient les Israélites ? D'après les précisions historiques du livre d'Ezra, cela semble impossible. C'est sous son règne que fut ordonné l'arrêt de la construction du Temple et le texte indique bien que ce décret fut promulgué dès le début de son édification. Or Aman ne devint grand vizir qu'après la septième année de règne d’Assuérus. Il apparaît donc que cette décision émanait bien du roi lui-même.

Chose curieuse encore : même après l'exécution d'Aman et la venue au pouvoir de Mardochée et d'Esther, le roi ne changea pas d'attitude sur cette question. Tout porte donc à croire qu'il s'agit là d'une décision tenace. Nos Sages trouvent d'ailleurs des allusions dans le texte dénotant la détermination d'Assuérus à ne jamais céder sur ce point.

Assuérus savait donc - ou croyait savoir - qui était le peuple juif, et sans doute parce qu'il pensait le connaître, il ne voulait d'aucune façon le laisser recouvrer son indépendance spirituelle.

LE FESTIN D'ASSUERUS

Ce qui frappe le lecteur, en ouvrant la Meguila, c'est le thème du premier chapitre. Il y trouve une minutieuse description du festin d'Assuérus, de la splendeur et de la richesse qui y étaient étalées, des normes qui y étaient de rigueur. Il se demande quelle importance ce festin détient pour la compréhension de la suite du texte.

Le Talmud (Meguila 11b) donne l'explication suivante : la date du festin d'Assuérus correspondait à celle où, d’après ses calculs, devaient se terminer les soixante-dix ans de captivité prévus par Jérémie. Or le Temple n'était toujours pas achevé ; cela prouvait donc que cette prédiction n'allait jamais se réaliser.

C'est lorsqu'il se sentit sûr de son pouvoir qu'il fit ce banquet afin de montrer à toutes les provinces du royaume la beauté de la civilisation perse : il voulait par là consolider l'unité de son empire et affermir son autorité comme monarque.

Nos Sages expliquent d'ailleurs (et ils trouvent des allusions dans le texte) qu'au cours de ce festin, Assuérus fit servir ses convives dans les ustensiles pris du Temple de Jérusalem. Ce sont les mêmes ustensiles que Balthasar avait employés, avec les suites fâcheuses que nous connaissons (Daniel chap. 5). Cela confirme l'idée qu'Assuérus voulait symboliser par ce festin la fin de toute civilisation particulière - spécialement la civilisation juive - et la fusion de toutes dans l'empire universel perse.

Dernier détail significatif : les sept derniers jours, le roi donna un festin "à toute la population de Suze, la capitale, aux grands comme aux petits". En d'autres termes, les Juifs y ont aussi participé. Nos Sages voient dans ce détail un effort de la part d'Assuérus d'assimiler ce peuple qui représentait pour lui le dernier obstacle à l'unité du royaume.

ISRAËL FACE AUX AUTRES PEUPLES

Chaque grande puissance se sent concernée par son existence et son mode de vie bien plus que l'on ne s'y serait attendu, s'agissant d'un si petit peuple.

Ce commentaire peut sembler tendancieux. Cela paraît sans doute exagéré d'attribuer comme souci majeur au grand monarque qu'était Assuérus l'assimilation du petit peuple hébreu. Un rapide coup d'œil sur l'histoire juive démontrera pourtant qu'il est faux de mesurer celle-ci selon des critères habituels.

Pour ce qui est de l'histoire biblique, limitons-nous aux remarques suivantes : c'est le récit d'un peuple monothéiste, que l'on pourrait à peu près qualifier de démocratique, au milieu d'un monde païen et d'un régime totalitaire.

Ajoutons que c'est bien le petit peuple juif et non l'empire égyptien, assyrien ou babylonien, qui a imprégné par son enseignement la civilisation du monde entier.

C'est du reste la seule nation qui n'abandonne pas sa culture dans la captivité et la dispersion. Souvenons-nous de l'histoire de Daniel, ’Hanania, Michaël et Azaria, contemporains de Mardochée et d'Esther, qui, tout en occupant de hautes positions dans l'empire babylonien et perse, refusent de se plier à toute pression assimilatrice. Leur inflexibilité, face aux décrets royaux, devait certainement être connue d'Assuérus.

Passons à l'ère post-biblique et nous voyons que les Juifs, au temps des Maccabées, sont les seuls à secouer le joug de leurs dominateurs helléniques. Et cela surtout par souci de sauvegarder leur culture.

Venons à l'époque romaine et nous remarquons le même phénomène : c'est encore cette même nation qui se révolte par deux fois contre ce puissant empire et les plus grands généraux doivent être envoyés pour mater son insurrection acharnée.

Nous voyons aussi que sa soumission finale fut un événement capital aux yeux des Romains, comme le démontrent les pièces historiques de l'époque. Une monnaie est frappée avec l'inscription Juadaea Capta. Un arc de triomphe - l'arc de Titus - que l'on peut toujours voir à Rome, est érigé. Un bas-relief y dépeint la procession triomphale des troupes victorieuses et les montre emportant les dépouilles du Temple de Jérusalem.

On voit que la soumission de la Judée, pour les Romains, signifie davantage qu'un peuple de plus à annexer. Il semble bien que c'est l'indépendance du peuple juif qui est visée.

Venons aux sombres années du Moyen-Age. Cette époque est caractérisée par une constante : où qu'ils se trouvent et à chaque génération, les Juifs doivent endurer les pressions les plus douloureuses de la part de leurs voisins qui tentent de les convertir à leur foi. Ils entretiennent même une croyance mystique selon laquelle le salut du monde entier dépendrait de la conversion du peuple juif.

Les temps modernes et contemporains ne font que confirmer cette règle. Prenez par exemple l'histoire dramatique des dernières décennies. Passez en revue les événements les plus récents, ceux que nous vivons en ce moment, et vous verrez les mêmes éléments revenir comme une loi infaillible. Nous pouvons les résumer comme suit :

- le peuple juif se trouve constamment - de gré ou de force - au premier plan de l'histoire ;

- sa particularité est l'élément qui régit ses relations avec les autres peuples : relations qui peuvent, malgré lui, devenir tendues ;

- chaque grande puissance se sent concernée par son existence et son mode de vie bien plus que l'on ne s'y serait attendu, s'agissant d'un si petit peuple ;

- très souvent, lorsqu'une civilisation veut supplanter et absorber toutes les autres, elle voit dans l'existence de l'esprit juif une pierre d'achoppement à la réalisation de son hégémonie ;

- l'autre enseignement qui se dégage surtout de l'histoire contemporaine : le peuple juif ne semble pas avoir le choix d'abandonner son rôle historique. Là où il commence à se lasser de sauvegarder sa particularité, ce sont ses ennemis qui l'y forcent. Nous reviendrons sur cette notion.

A la lumière de ce rappel, il devient plus facile de suivre nos Sages lorsqu'ils prétendent qu'Assuérus se préoccupait sérieusement d'intégrer les Juifs.

LE MONOTHEISME FACE A L'IDOLÂTRIE

Peut-être qu’à notre époque, son plus grand défi est de montrer que le "religieux" n'est pas fondamentalement un domaine à part, que le culturel n'est pas secondaire au matériel.

Reste à voir si le rôle que nous jouons est une condition que nous subissons ou s'il a une raison d'être rationnelle.

En considérant les temps bibliques, il semble clair qu'il s'agit bien d'un affrontement idéologique : celui du monothéisme et de l'idolâtrie. Que dire pourtant de notre siècle où la question religieuse n'est plus, semble-t-il, au centre des conflits ; avons-nous des options si fondamentalement différentes sur les problèmes actuels pour justifier notre solitude historique ?

Ne pouvant nous attarder sur la question dans le cadre limité de cet exposé, nous avancerons néanmoins brièvement un point de vue : à notre sens, la confrontation se situe toujours sur le même plan, à condition d’étendre la signification des concepts monothéisme et idolâtrie.

Etre monothéiste ne veut pas dire uniquement croire en un seul D.ieu : c'est considérer le monde entier et toutes ses valeurs comme une création consciente dans laquelle peut et doit régner un ordre rationnel et harmonieux. Refuser l'idolâtrie, c'est aussi refuser le culte de tout ce qui est passionnant ou facile à imaginer. Les païens de tous temps ont choisi une idée ou une valeur, à leur guise, pour l'adorer et la servir. Le monothéisme, en revanche, exige de la réflexion et la maîtrise de soi ; il n’admet le "culte" proprement dit que de l'Etre Supérieur et immatériel qui est D'eu. Il n’exclut aucune valeur, mais exige un discernement dans la hiérarchie de celles-ci.

Le monothéisme veut que chaque tendance de l'homme vienne à son expression : que rien ne soit refoulé ou ne soit exagérément exalté.

Il n'accepte pas plus les fausses contradictions comme celles de l'amour et de la rigueur, du spirituel et du matériel. Une vie doit pouvoir harmoniser toutes ces notions.

Peut-être qu'à notre époque, son plus grand défi est de montrer que le "religieux" n’est pas fondamentalement un domaine à part, que le culturel n’est pas secondaire au matériel. Cela doit se manifester tant dans la vie privée que dans la vie économique et sociale.

Nous savons ce que ces assertions doivent suggérer comme questions : le destin du peuple juif est-il effectivement lié au monothéisme ? Sa vie rituelle en exprime-t-elle les valeurs ? Joue-t-il le rôle que nous lui attribuons ? Nous ne pouvons dans ces pages qu'ouvrir le débat.



A PROPOS DE L'AUTEUR
le Rabbin Benjamin RINGER
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COMMENTAIRE(S) DE VISITEUR(S)  1
Monotheisme et D - 14 Mars 2003 - par Moreno Jorge
Excellent;je suis completement d"accord.
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