Il est difficile de situer la date exacte des événements
dont nous allons vous faire le récit. Selon certains, ils auraient été
contemporains de l'épopée hasmonéenne, et Judith, elle-même,
aurait appartenu à la célèbre famille des prêtres-princes.
Mais peu importe, car l’acte d’héroïsme
qu’elle accomplit aura laissé un souvenir impérissable dans
la mémoire du peuple juif.
Béthul, en Judée, était assiégée.
Le général syrien, Holopherne, avait investi la ville à
la tête d’une puissante armée. Lorsqu'il prenait une ville
et l'occupait, il avait coutume de n'épargner personne, sans considération
de sexe ni d’âge. Il n'y eut donc rien d'étonnant à
ce que les Juifs assiégés de Béthul aient lutté
avec le courage du désespoir.
L'ennemi finit par se résoudre à un siège
de longue durée. Les vivres et les réserves d'eau furent épuisées
trop vite et la force des assiégés déclina. Les habitants
se rendirent en foule sur la place du marché pour exiger du commandant
de la place, Ouzi, et des Anciens, qu’ils ouvrent des négociations
avec Holopherne, en vue de la capitulation.
Après bien des efforts, cependant, Ouzi et les magistrats
obtinrent de la population un délai de cinq jours, pendant lesquels,
disaient-ils, le secours de D.ieu pouvait encore intervenir.
UN COURAGE INÉBRANLABLE
Lorsque la foule se fût
dispersée, une femme demeura sur place, comme enracinée, plongée
quelle était dans de profondes réflexions. Finalement, elle bougea.
Mais au lieu de rentrer chez elle, elle s'approcha hardiment d'Ouzi et des Anciens
auxquels elle tint ce langage :
- De quel droit mettez-vous
D.ieu à l’épreuve en lui donnant une sorte d'ultimatum
! Si vous avez la Foi, de quel droit fixez-vous une date extrême à
Son intervention ? Et ne savez-vous donc pas que de se livrer au pouvoir d’Holopherne
est pire que la mort ?
Ouzi et les Anciens prêtèrent
une oreille attentive aux reproches que leur formulait ainsi Judith, fille du
Grand-Prêtre Johanan et veuve de Manassé que, depuis plusieurs
années déjà, elle pleurait, retranchée volontairement
de la vie publique et consacrant son existence à la piété
et à la ferveur, à la charité et à la réflexion.
" Tu as raison, ma
fille !, dirent-ils dans un profond soupir de détresse. Mais pour l’heure,
une pluie diluvienne, qui remplirait nos citernes, pourrait seule écarter
la fatalité. Le peuple meurt de soif. Prie, Judith ! Peut-être
le Tout-Puissant exaucera-t-Il tes supplications ?
- Prier ? Voilà
ce que nous devons faire tous ! répliqua Judith ; mais sans, pour autant,
abandonner l’espérance. J’ai conçu un plan de manœuvre
que je m’en vais vous soumettre. Peut-être est-ce par mon intermédiaire
que D.ieu fera notre salut à tous. Autorisez-moi et ma servante à
quitter la ville, et j'irai chez Holopherne !
- Comment, Judith ! se
récrièrent-ils. Sais-tu ce que tu dis et à quoi tu veux
t'exposer ? Ton honneur et ta vie sont en jeu ! Un
espoir si ténu vaut-il un tel sacrifice ?
- D.ieu a fait le salut
un jour par Yaël, la femme de ‘Hever, et a livré Sisséra
au pouvoir d'une faible femme ! " répliqua fièrement Judith.
Rien ne put ébranler
sa détermination. En vain, les Anciens et le haut commandement militaire
s’efforcèrent-ils de la dissuader. Vaincus
par la résistance opiniâtre qu’elle opposait à leurs
arguments, ils finirent par se résigner et lui accordèrent leur
bénédiction. Judith
quitta la cité, revêtue de ses plus beaux atours, qu’elle
n’avait plus portés depuis la mort de son époux.
Un voile épais couvrait son
beau visage. Sa servante l’accompagnait, portant sur la tête un
panier tout rempli de pains et de fromages, avec, en sus, quelques bouteilles
de vin fort et vieux.
AU CAMP ENNEMI
Le soleil, déjà,
s'était caché derrière les montagnes, et les deux femmes
poursuivirent leur route en murmurant une prière. Bientôt une sentinelle
avancée de l'ennemi les interpella.
Mais d'une voix sans réplique,
Judith lui dit : « Nous apportons des informations au général
! Conduisez-nous immédiatement auprès de lui ! »
Holopherne fut impressionné
par le charme qui se dégageait de Judith. Cependant, il la questionna:
" Qui es-tu ?
Dans quel but viens-tu me voir ?"
- Je viens de Béthul,
je puis te dire comment prendre la ville ! répondit Judith.
Puis elle dit qu’elle connaissait
de réputation la valeur militaire d’Holopherne et qu’elle
était venue à lui dans l’espoir qu’elle aurait ainsi
la vie sauve.
" En ce qui concerne
la ville assiégée, conclut-elle, la vie y est devenue insupportable,
car les gens ont faim, et soif, surtout. Cependant, leur Foi est demeurée
ferme, et tant qu’ils la garderont intacte, vous ne pourrez pas prendre
la ville d'assaut. Mais les réserves d’aliments licites sont
épuisées. Bientôt, ils ne pourront plus s'abstenir de
se nourrir de bêtes impures.
A partir de ce moment,
la colère divine s'acharnera sur eux et livrera leur cité en
votre pouvoir. J'ai convenu avec les sentinelles de venir les voir chaque
soir en secret après la tombée de la nuit, pour prendre des
informations sur l'évolution de la situation. Serait-il possible de
leur garantir la vie sauve pour le jour où la ville tombera ?"
Intéressé
d'une part, charmé d’autre part par la beauté et le maintien
altier de cette inconnue, Holopherne acquiesça et donna l'ordre aussitôt
à ses hommes de laisser Judith et sa servante aller et venir hors du
camp chaque soir après la tombée de la nuit.
" Si tu dis la vérité
et m'aides à prendre la ville, je ferai de toi ma femme ! " dit-il
à Judith.
Mais Judith, chaque soir, quand elle
se rendait auprès des assiégés, les exhortait au courage
et à la persévérance, faisant informer Ouzi que le succès
de sa première démarche autorisait tous les espoirs.
LA VICTOIRE
Le troisième soir,
Holopherne convia la « transfuge » à un tête-à-tête
sous sa tente et interdit à ses hommes de le déranger sous n'importe
quel prétexte.
Une table était dressée
sous sa tente seigneuriale, chargée de mets les plus appétissants
et de vins les plus rares. Mais Judith les déclina, tenant essentiellement,
insista-t-elle, à se nourrir des aliments qu’elle avait elle-même
préparés et apportés. Or, les fromages de Judith avaient
certes bon goût, mais ils étaient fort salés ; quant aux
vins qui les accompagnaient, tentateurs pour la soif ravivée du conquérant,
ils étaient vieux et forts.
L'ivresse vint vite, puis
la torpeur, et Holopherne partit au royaume des rêves. « Donne-moi
la force ! juste cette fois-ci ! » pria Judith, usant de la formule même
que Samson avait rendue inoubliable.
Puis, faisant appel à
tout son courage, elle prit l’épée du général
et l’en frappa de toutes ses forces. Halopherne, ainsi, perdit définitivement...
sa tête. Cette
tête, Judith l'enveloppa dans son voile et, peu de temps plus tard, quitta
le campement en compagnie de sa servante et, mine de rien, alla vers la ville,
faisant semblant d'agir comme aux soirs précédents.
Mais, cette fois-ci, elle demanda
aux sentinelles de la faire entrer et elle se rendit sur-le-champ chez Ouzi,
lui montrant le cadeau qu’elle lui avait apporté.
Sans perdre de temps à
écouter de vains éloges, elle interrompit l’enthousiaste
et dit au commandant
« Nous n'avons pas de temps à perdre ! Donne immédiatement
l’ordre de partir à l'assaut. Les soldats d'Holopherne vont perdre
la tête lorsqu’ils courront avertir leur chef et le trouveront...
sans tête. Dans
leur désarroi, il est probable qu'ils prendront la fuite, et la victoire
sera nôtre. »
Il en fut fait ainsi et
les prévisions de Judith se réalisèrent. Béthul
put à nouveau respirer, grâce à la bravoure et à
la Foi d’une "faible" femme.