Ma première lutte avec la dépression post-partum se produisit quand je vivais aux Etats-Unis avec mon mari et mes trois enfants. J’avais alors 33 ans et venais de passer les six dernières années à préparer mon doctorat. Deux semaines à peine après avoir rendu le manuscrit final de ma thèse, je donnais naissance à une petite fille de 4 kilos en parfaite santé. Elle naquit à la maison, comme je l’avais choisi, où j’étais entourée d’amis et de personnes à mes soins.
La période qui suivit la naissance, fut débordante de joie. La nouvelle de l’obtention de mon doctorat arriva pendant Soukkot, ce qui ne fit qu’ajouter à l’atmosphère déjà joyeuse de la fête. La vie était normale et heureuse. J’étais occupée avec mes enfants, les besoins de ma famille et les tâches ménagères, je repris mes séances d’aérobic, ainsi que toutes les activités ordinaires de la vie quotidienne.
Je n’étais toutefois pas préparée à affronter le tourbillon qui devait s’abattre sur moi quatre mois plus tard. Je n’avais jamais souffert d’aucune réaction dépressive après la naissance de mes trois premiers enfants, son arrivée me prit donc totalement au dépourvu.
Au début, je me suis tout simplement sentie déprimée. Le sentiment d’exaltation qui avait suivi la naissance, s’était dissipé et m’avait laissée suspendue quelque part entre la naissance et la vie. Puis, j’ai commencé à perdre mon enthousiasme et mon intérêt habituels et je me suis mise à tourner en rond dans la maison, comme si je n’avais rien à faire.
Les semaines passaient et ma dépression s’intensifiait. Elle se transforma en un sentiment profond et terrifiant qui me faisait croire que je n’avais rien pour remplir mes journées et que je n’avais rien pour remplir ma vie. Un voile d’inutilité semblait s’être élevé des profondeurs de la terre et emparé de moi. Un trou noir béant s’était formé dans ma gorge et s’était élargi jusqu’à atteindre mon estomac. Il me donnait des nausées. Pourtant, malgré ma perte d’appétit et mon peu de goût pour la nourriture, je dévorais, m’efforçant de combler ce vide grandissant en moi.
Mon intellect restait très détaché de tout ce phénomène. Il était conscient que ma situation empirait graduellement, mais pour une fois, il ne pouvait rien faire pour m’aider. Quelque soit ce qui m’arrivait, ce n’était pas de son ressort.
Ma capacité de prendre soin des enfants et de la maison se détériorait, ce qui n’éveillait en moi que panique et désespoir. Je craignais de souffrir d’une certaine forme d’insanité.
Nous pensons généralement que notre faculté d’être à la hauteur des choses est naturelle. Nous ne réalisons pas quelle force intérieure nous devons développer pour que tout fonctionne normalement. Ce n’est que lorsque la dépression post-natale s’abat sur nous comme un nuage noir, que nous découvrons que nous sommes dépassés. Le mot « faire face » disparaît alors totalement de notre vocabulaire, comme s’il n’avait jamais existé.
La simple pensée de faire les courses m’angoissait. L’idée de devoir affronter les demandes de mes enfants provoquait en moi des palpitations cardiaques aiguës. Je n’avais encore pas la moindre idée de ce qui m’arrivait. Si je n’avais pas eu de nounou à plein temps, je pense que j’aurais perdu la tête, tellement j’étais terrifiée.
Les détails tangibles de ma vie à cette période demeurent confus. Je ne peux que me rappeler des sentiments, des sensations et des frayeurs que j’ai ressentie alors. Quand je me réveillais le matin, ce trou noir dévorant, à l’intérieur de moi, m’engloutissait presque entièrement. Je pouvais à peine me tirer hors du lit. Le simple fait de me préparer une tasse de café était impensable. S’habiller présentait une telle possibilité de choix que j’en étais tout à fait paniquée. Il était bien mieux de ne pas s’habiller du tout. Jamais.
J’étais incapable d’accomplir les tâches les plus élémentaires. Préparer un simple repas,comme des toasts beurrés, était un énorme fardeau. Je ne pouvais absolument rien entreprendre. Une heure environ avant que les enfants ne rentrent de l’école, la panique me prenait à la gorge, rendant ma respiration difficile. Quelque chose à l’intérieur de moi ne cessait de crier : « Tu ne peux pas y arriver ! Tu ne t’en sortiras pas ! » Et je n’y parvenais pas. Chaque fois que l’un de mes enfants me demandait quelque chose d’aussi simple qu’une pomme, j’avais l’impression qu’il me demandais la lune.
Mes luttes quotidiennes pour habiller mon bambin me donnait l’impression d’être au beau milieu d’un champ de bataille, sur le point d’être terrassée par une bombe. J’étais d’ailleurs bien plus terrifiée que je ne le suis aujourd’hui face à la situation en Israël. La terreur intérieure s’est révélée pour moi bien pire que la terreur extérieure, car je ne pouvais y échapper, elle m’étouffait constamment. J’étais son esclave impuissante. Et ces sensations menaçait de me détruire complètement.
Je laissais donc tout aux soins de la gouvernante. (Nous vivions alors aux Etats-Unis et avions heureusement les moyens d’en avoir une.) Elle donnait à manger aux enfants, leur faisait prendre un bain et les mettait au lit, quand mon mari n’était pas à la maison. Je ne me rappelle plus qui faisait les courses, mais une chose est sûre, ce n’était pas moi.
Je ne comprenais toujours pas ce qui m’arrivait. Je savais simplement que la pire chose à mes yeux serait d’être consciente, et je désirais plus que tout conserver ce bonheur que me procurait mon manque de conscience. Je ne voulais pas savoir que j’étais en vie, parce que je me trouvais en enfer et que l’enfer était mon compagnon permanent, et nous étions aussi mal assortis que deux jumeaux siamois.
Le seul être dont je désirais la présence dans cette géhenne, était mon bébé, et je ne souhaitais qu’une chose, me pelotonner avec elle dans mon lit, pour dormir et ne jamais me réveiller.
LE TOURNANT
Le tournant de cette existence infernale se manifesta un matin. J’étais assise dans mon lit, me balançant d’avant en arrière, serrant un coussin tout contre ma poitrine, comme si c’était un élément vital à mon existence. Mon mari entra dans la chambre et je me suis tout à coup exclamée :
« Qu’est-ce qui ne va pas avec moi ? »
« Tu as besoin de voir un médecin. »
La réponse de mon mari fut pour moi une bénédiction. De nombreux maris sont tout à fait désorientés face un tel changement dans le comportement de leurs femmes, et l’idée qu’elles aient besoin de voir un psychiatre ou de prendre des médicaments ne fait que renforcer leurs craintes.
Ma doctoresse était une femme avec beaucoup d’intuition, qui se spécialisait dans les problèmes féminins. Elle diagnostiqua immédiatement que je souffrais de dépression post-natale, ce qui me donna une lueur d’espoir. S’il existait un nom à mon mal, peut-être existait-il aussi un remède.
Cette lueur d’espoir aida mon mari à reprendre les choses en main. Jusqu’à ce qu’un diagnostic ne soit formulé, mon mari s’était senti complètement désemparé, incapable de comprendre ce qui m’arrivait. Mais dès qu’il sut que mon problème était d’ordre clinique et médical, il put endosser mon rôle pleinement, cuisinant et prenant en charge les besoins des enfants.
Ce fut une grande bénédiction pour moi. Que serait-il arrivé, s’il avait été amer et plein de rancœur ? S’il avait éprouvé de la colère, en découvrant soudainement qu’il était le capitaine d’un navire sur le point de sombrer ?
Ma doctoresse me conseilla de voir un psychiatre pour qu’il me prescrive des anti-dépresseurs. Ce dernier m’expliqua que les médicaments prendraient quelques semaines avant d’agir. J’avais une peur mortelle de ces drogues, ne sachant quel serait leur effet sur moi. J’étais terrifiée à l’idée de perdre totalement le contrôle. Mais comme j’avais déjà, de toute façon, très peu de contrôle sur ma personne, je n’avais pas le choix.
Ces médicaments furent pour moi une bouée de sauvetage. Je me redevins une nouvelle personne.
ALYIAH ET ENCORE PLUS D’ENFANTS
Quand mon cinquième enfant naquit, cinq ans plus tard, je n’eus pas le moindre symptôme de dépression post-natale. Je crus donc fermement être délivrée à jamais de ce qui pour moi n’avait été qu’un épisode isolé.
Deux ans après notre alyiah, je donnais naissance à un bébé en parfaite santé, mais qui pesait à peine plus d’un kilo et demi. A la différence de la première grossesse suite à laquelle je souffris de dépression post-partum, cette grossesse fut parsemée d’angoisses. Des soucis au sujet de la santé du bébé s’étaient manifestés dès le départ et personne ne savait si elle vivrait.
Après un accouchement difficile, on la sépara de moi. J’étais à peine autorisée à la tenir et je n’avais certainement pas le droit de l’allaiter. Elle fut placée en couveuse pendant deux semaines, dans un hôpital de la banlieue de Tel-Aviv, et les trajets quotidiens pour aller la voir duraient trois heures.
Pendant plusieurs semaines, j’ai tiré mon lait toutes les deux heures non-stop, dans l’espoir de maintenir mon allaitement et de pouvoir lui donner le sein. Quand nous avons enfin pu ramener ce tout petit bébé à la maison, j’étais totalement épuisée et désorientée.
A ma plus grande horreur, je m’aperçus que ces horribles sensations revenaient à nouveau. Les mêmes nausées, les mêmes sentiments de vide intérieur et de panique, le trou noir béant et ces peurs irraisonnées de ne pouvoir faire face à la situation.
Mais cette fois, il n’y avait plus de nounou. Personne n’était là pour s’occuper de mes enfants, pour préparer les repas ou tenir le bébé - PERSONNE. Mon mari avait des obligations professionnelles. Il ne pouvait pas si facilement s’absenter pour rester à la maison et prendre soin de moi, ce qui était exactement ce dont j’avais besoin. Cette fois, connaître le nom et la maladie dont je souffrait ne nous était d’aucune aide, car il n’y avait pas de secours à portée de la main.
La réaction de mon mari fut aussi totalement différente de lors de ma première dépression post-partum aux Etats-Unis. Rongé d’angoisse, il me dit qu’il ne voulait plus avoir d’enfants, parce qu’il se sentait incapable de faire face à ce que je devais traverser après chaque naissance, et ceci venant d’un homme qui avait toujours dit que dix enfants n’était rien pour lui. Le sentiment d’isolement et de solitude qui s’empara de mon mari, lui donna l’impression que maintenant tout reposait sur ses épaules. Il se sentait complètement dépassé, incapable d’affronter ce qui se présentait à lui.
Mais cette fois, NITZA était là, une organisation bénévole de soutien pour les femmes en proie à la dépression post-partum. J’en avais déjà entendu parler par une amie, ayant bénéficiée de son aide. Je ne pourrait jamais souligner assez l’importance d’une aide de qualité après la naissance. Les hormones sont alors en plein bouleversement, causant parfois des éclats de colère soudains ou des crises de larmes. Du fait qu’un nouveau bébé amène tellement de joie et d’excitation, le phénomène d’une possible vulnérabilité de la femme à cette période demeure souvent mal compris. Dès que j’entendis la voix de ‘Hanna au téléphone, je sus que je n’étais plus seule. J’étais presque ivre de soulagement, en découvrant qu’elle m’avait comprise et qu’un réseau d’entraide, composé de plusieurs personnes, était à ma disposition pour satisfaire tous mes besoins. (…)
Parce que j’avais déjà connu une dépression post-natale auparavant, j’étais particulièrement consciente de mes besoins. La directrice chargée des relations avec la clientèle me téléphonait deux fois par jour. Je ne sais plus de quoi nous avons parlé, mais le simple fait qu’elle se soucie suffisamment de moi pour téléphoner, me permit d’intégrer le soutien émotionnel dont j’avais tellement besoin. Une conseillère bénévole était en contact permanent avec moi, prête à m’écouter et à partager mes souffrances, me faisant comprendre que ma peine était tout à fait normale et humaine. Je savais que des professionnels oeuvraient dans les coulisses, pour créer un contact, réfléchir, conseiller et amortir les chocs.
A ma demande, NITZA organisa une thérapie de médecine naturelle chez un homéopathe, ce qui aida énormément à calmer mon angoisse. Des repas nous étaient envoyés de manière régulière pour alléger le fardeau que représentait la charge de ma famille. Des jeunes filles venaient chez nous pour s’occuper des enfants, quand j’avais besoin de me reposer, et d’autres venaient prendre soin du bébé, quand je devais de m’occuper des enfants. NITZA finit même par me trouver une aide permanente à domicile. Ils avaient pris en charge mes besoins, m’empêchant ainsi de sombrer à nouveau dans le puits sans fond de la dépression post-partum.
Si les femmes font l’expérience d’un traumatisme particulièrement intense, comme moi lors de ma première confrontation avec ce syndrome, un traitement conventionnel peut réellement présenter un problème de vie ou de mort. L’action en douceur de remèdes homéopathiques peut ne pas s’avérer suffisamment efficace pour traiter une condition qui place un mariage, une famille et une vie en péril. Dans Sa grande bonté, le Tout-Puissant a donc conduit NITZA jusqu’à moi, mon mari et mes enfants. J’ai été émerveillée par le simple dévouement dont ces femmes ont fait preuve pour me prodiguer leur aide. Avec le soutien émotionnel personnalisé et l’aide matérielle qu’elles m’ont apportés, mon moral s’est redressé presque instantanément, parce que je savais que je n’étais plus seule et que j’avais quelqu’un sur qui compter. Ensemble, nous avons pu vaincre un orage menaçant.
NITZA, l’Organisation de Soutien au Post-partum de Jérusalem fut fondée en 1997 pour fournir un soutien aux femmes et à leur famille, affectées par les troubles liées au post-partum, ce qui inclut la dépression post-natale, la psychose et la folie. NITZA est actuellement la seule organisation en Israël à offrir une palette complète de services pour combler les besoins de celles qui souffrent de troubles liés au post-partum. Il s’agit d’une organisation privée qui vient en aide à des femmes qui seraient autrement livrées à elles-même et ne chercheraient pas d’aide extérieure, par peur, par honte, par ignorance ou pour des raisons financières. NITZA travaille en partenariat avec des professionnels de la santé, afin d’offrir les meilleurs services et le plus haut niveau de sécurité possibles.
Traduction et Adaptation de Tsiporah Trom