Comment cette antique cité, apparemment sans importance,
s'est-elle retrouvée au cœur de la discorde entre Israël et
les Palestiniens au sujet de l'avenir de la terre d'Israël ? Pourquoi devons-nous
nous préoccuper de ce qui se passe à Jérusalem ?
L'HOMME EST MEMOIRE
Il faut avant tout comprendre l'importance de la mémoire.
La mémoire, ce n'est ni de l'histoire, ni un certain aspect figé
du passé. En mettant en lumière le passé, la mémoire
construit le présent. Une mémoire refoulée entraîne
des troubles psychologiques. Retrouver la mémoire, c'est recouvrer la
santé. Les dictateurs consolident leur pouvoir en altérant la
mémoire. Staline avait éliminé Trotski et Boukharine de
certaines photographies. Les révisionnistes nient l'existence de la Choah.
En quoi est-ce important?
En hébreu, le mot "zakhar" signifie
l'homme et "zekher" signifie la mémoire. L'homme est
mémoire. Pour les personnes qui souffrent de pertes de mémoire
consécutives à une maladie ou à un accident, le problème
n'est pas uniquement de ne pas se rappeler où ils ont mis leurs clés.
Ils ne savent plus qui ils sont. Ils sont à la dérive et n'ont
plus de repères temporels, car sans mémoire, le moment présent
se trouve privé de contexte et de sens.
Lorsque les Juifs furent pour la première fois exilés
de Jérusalem, ils jurèrent :" Si je t'oublie Jérusalem,
que ma main droite m'oublie, que ma langue s'attache à mon palais si
je ne me souviens pas de toi, si je ne place pas Jérusalem au sommet
de ma joie". Le souvenir de Jérusalem est en quelque sorte
une force vivifiante qui nous parcourt en tant que peuple. Mais comment? Quelle
est la nature de ce souvenir que nous avons de Jérusalem, et en quoi
contribue-t-il à notre identité ?
Le Talmud nous dit que c'est Dieu qui a nommé Jérusalem.
C'est un nom en deux parties : "yira" qui signifie "voir",
et "chalem" qui signifie "la paix".
Jérusalem est le lieu où Isaac a été
ligoté par Abraham, et dont il a pu dire : "C'est l'endroit
où Dieu est visible".
Lorsqu' Aldous Huxley disait : "Chacun de nous a sa Jérusalem", il avait en tête bien plus qu'une cité temporelle. Il avait la vision de ce que la vie pourrait être.
Partout ailleurs, Dieu n'est qu'une théorie, mais à
Jérusalem, on le voit, on sent de manière tangible sa présence.
A Jérusalem, nous nous projetons au-delà de notre existence précaire
et vulnérable; nous ressentons la transcendance et y aspirons. Partout
ailleurs, on recherche un sens en tâtonnant, à Jérusalem,
tout s'éclaire. Paris est , dit-on, la ville des amoureux, mais Jérusalem
est faite pour les visionnaires.
Jérusalem est la métaphore d'un monde achevé
et elle donne à nos vies une ouverture sur l'avenir. Lorsqu' Aldous Huxley
(auteur du fameux ouvrage Le Meilleur des Mondes) disait : "Chacun de nous
a sa Jérusalem", il avait en tête bien plus qu'une cité
temporelle avec des taxis et des embouteillages. Il avait la vision de ce que
la vie pourrait être.
Renoncer à cette vision d'une vie porteuse d'une telle
promesse, c'est le faire à nos risques et périls, car elle nous
donne la volonté de vivre. Pendant 2000 ans, les Juifs ont répété
: "L'an prochain à Jérusalem", et, dans la
pauvreté et l'oppression, ils ont préservé le rêve
d'un monde dans lequel l'amour et la justice, et non la puissance et l’individualisme,
seraient les valeurs acceptées par tous.
JERUSALEM, L'EQUILIBRE DES FORCES
Les hommes ont compris depuis longtemps que quiconque contrôle Jérusalem contrôle la mémoire du monde. Il contrôle la manière dont Dieu est vu.
Une partie du nom de Jérusalem, c'est la "vision",
l'autre, c'est la "paix", mais la paix, pour Jérusalem, ce
n'est pas l'absence de conflit. Jérusalem n'a connu, en fait, que de
brèves périodes de répit. La paix, pour Jérusalem,
c'est celle qui règne au point de convergence des rayons d'une roue,
là où des forces contraires peuvent s'équilibrer en douceur
et même s'accorder.
Le Talmud nous dit que Jérusalem était à
l'origine de la création et que le monde rayonnait à partir de
ce centre. Au Moyen Age, les cartes géographiques font figurer Jérusalem
à l'épicentre de l'Asie, de l'Europe et de l'Afrique. Le monde
entier converge vers ce point; toutes les forces vitales y résonnent
et c'est à partir de lui que le monde entier est mis en perspective.
Jérusalem, c'est le centre qui donne de la profondeur
au reste du monde. Jérusalem où Dieu peut être vu. Jérusalem,
le monde parachevé. Les hommes ont compris depuis longtemps que quiconque
contrôle Jérusalem contrôle la mémoire du monde. Il
contrôle la manière dont Dieu est vu. Il contrôle la manière
dont les forces vitales s'ordonnent et la manière dont nous voyons collectivement
notre avenir.
Les Romains ont chassé les Juifs de Jérusalem
et les ont empêchés d'y revenir sous peine de mort. La vie juive
était arrivée à son terme, déclarèrent-ils.
Les Croisés redonnèrent son importance à
Jérusalem, qui n'était plus le centre du drame national juif,
mais celui de la Passion et de la mort de Jésus.
Puis vinrent les Musulmans qui, comme leurs prédécesseurs,
réécrivirent la mémoire de Jérusalem et en chassèrent
Juifs et Chrétiens. Ils construisirent systématiquement des mosquées
sur chaque lieu de prière juif. Ils escamotèrent le passé.
En réécrivant l'histoire de Jérusalem,
chacune de ces cultures a dénaturé l'importance de la présence
juive dans l'histoire. Ils nous ont, croyaient-ils, relégués aux
poubelles de l'histoire: un grand peuple jadis, maintenant abandonné
par Dieu, dépassé par le temps.
Lorsque Jérusalem fut libérée, des soldats pleuraient parce qu'un tout jeune pays méditerranéen retrouvait soudainement une mémoire perdue depuis 2000 ans.
Mais les Juifs gardèrent le souvenir de Jérusalem.
Lorsque nous construisons une maison, nous laissons sur un mur une petite partie
inachevée, et le nouveau marié brise un verre en souvenir de Jérusalem.
De tous les points du monde, nous nous sommes tournés vers Jérusalem
pour prier, et c'est parce que la mémoire est restée vive que
le peuple juif a survécu.
Lorsque Jérusalem fut libérée, le temps
se contracta. Le présent coïncida avec le passé. Nous pûmes
reprendre possession de ce que nous avions tant désiré. Ce dont
nous avions tant rêvé devint réalité, et des soldats
pleuraient parce qu'un tout jeune pays méditerranéen retrouvait
soudainement une mémoire perdue depuis 2000 ans. Le passé s'incarna
instantanément dans le présent, d'une manière incroyable,
transcendante, nous transformant en ce que nous nous savions être.
JERUSALEM, MEMOIRE VIVANTE ET GARANTE DE L'IDENTITE JUIVE
Qui sommes-nous ? Nous ne sommes pas des nomades méprisés
et misérables, ne survivant que grâce au bon vouloir capricieux
des autres nations. Nous ne sommes pas un peuple de fermiers asséchant
des marais, ni un peuple de guerriers, encore que, quand il le faut, nous pouvons
être tout cela à la fois.
Nous sommes une nation de prêtres et de prophètes,
une lumière pour les nations. Nous avons enseigné au monde à
"marteler leurs épées pour en faire des socs de charrue",
à "aimer ton prochain comme toi-même", à faire
passer l'égalité avant la justice et à ne pas admirer le
riche et le puissant, mais plutôt celui qui est bon, sage et bienveillant.
Hitler disait que "les Juifs ont infligé deux plaies à l'humanité:
une sur le corps, la circoncision, et une sur l'âme, la conscience".
Comme il avait raison, et quel chemin il nous reste encore à parcourir!
Et quel malheur lorsque nous manquons à nos devoirs envers nous-mêmes!
Notre peuple est divisé par le langage, par la géographie
et même par la religion; il n'est uni que par les liens de la mémoire
et de l'espoir. Ces liens sont excessivement fragiles. S'ils se rompent, nous
nous fragmenterons et perpétuerons le long et amer exil qui n'est pas
terminé et
qui résulte, dit le Talmud, de nos dissensions et de nos divisions.
Jérusalem fournit un contrepoint à cette menace,
car elle incarne nos souvenirs et nos espoirs. Jérusalem est une mémoire
vivante, une vision de Dieu dans nos vies, l'image d'un monde achevé.
Jérusalem nous donne la force d'accomplir le rôle qui nous incombe
en tant que peuple: nous unir et sanctifier ce monde-ci. C'est en cela que réside
l'importance de Jérusalem.
Traduction et Adaptation
de Monique SIAC