Aristote a régné en
maître sur tout le moyen âge, pendant sept longs siècles,
il a cédé le sceptre à Bacon durant deux autres siècles
; depuis le XIXème, l'élite humaine s'incline devant Darwin. Pendant
combien d'années l'illustre Anglais dictera-t-il son " lisse dixit
" à la philosophie et à la science? Nul ne saurait le dire.
Le Judaïsme ne pouvait pas échapper
à l'emprise. De même que le grand Maimonide avait tente d'appliquer
à la Loi et aux Prophètes les catégories d'Aristote, ses
prétendus successeurs germains et américains se sont évertués
à coucher nos Ecritures sur le lit de Procuste évolutionniste.
Je n'ai nulle envie de m'aligner avec ces aiglons, de lancer mes raisonnements
à l'assaut de leurs sophismes. Je me contenterai, à l'exemple
d'un vieux philosophe grec, de prouver le mouvement en marchant.
LA LEPRE, UNE PLAIE
SYMBOLIQUE
La Torah parle le langage des hommes. " (Talmud, Zra'im 31 b), le langage des hommes de son temps et aussi celui des hommes de tous les temps.
Ouvrons, si vous le voulez, le Lévitique,
le " Priester Kodex " de ces messieurs, à la page de
Metsora. Metsora ! Le lépreux ! ... Peut-on rêver quelque chose
de plus désuet, de plus périmé, de plus éloigné
que cela, des préoccupations de la conscience moderne ?
Cependant - ou plutôt : c'est pourquoi - je choisis l'archaïque "
Metsora " comme présentant pour notre génération,
qui n'a jamais vu un lépreux, un enseignement moral singulièrement
élevé. Si je réussis à cette démonstration,
l'utilité de lire " Metsora " dans nos synagogues et
de la commenter dans nos écoles sautera à tous les yeux. Et une
fois de plus aura été vérifiée la parole de nos
Sages : " La Torah parle le langage des hommes. " (Talmud,
Zra'im 31 b), le langage des hommes de son temps et aussi celui des hommes
de tous les temps.
La Torah est la parole de D.ieu. La Torah n'évolue pas.
Le Pentateuque, que Moise remit à nos pères il y a trente siècles,
ne pouvait pas négliger une maladie, fréquente alors, grave et
symbolique, telle que la lèpre ; il ne le pouvait, ni du point de vue
physique, ni du point de vue moral.
De nos jours, la lèpre a disparu
de tous les pays habités par les israélites, et la maladie assez
sporadique, qu'on appelle encore de nom en Asie, n'est plus du tout la lèpre
antique visée par Moïse.
Il n'est donc aujourd'hui aucun besoin,
ni du minutieux diagnostic, ni des longues cérémonies de purification
que prescrivit la Torah. Seulement ce chapitre de la Doctrine juive, si largement
développé par la Michnah Negaim, contient, nous allons
le voir, des enseignements moraux de la plus haute valeur pour tous les temps,
et en particulier deux leçons immortelles de justice et de fraternité.
UNE MALADIE-CHÂTIMENT
A l'Eternel, dans sa toute-puissance et dans sa toute-justice, le soin de sonder les cœurs, et de châtier le crime caché, à l'heure qu'il aura fixée dans son infinie sagesse.
La Torah considère d'une façon
générale les fléaux naturels ainsi que certaines maladies
graves comme des instruments de châtiment dans la main de D.ieu.
II suffira de mentionner ici les
plaies d'Egypte (Exode, VII à XI), les malédictions prononcées
au mont Ebal (Deutéronome XXVIII, 21, 22, 27, 28, 35), et plus spécialement
la lèpre qui frappa la prophétesse Miriam (Nombres, XII, 1-15)
.
La lèpre est, dans l'Ecriture,
une maladie-châtiment; et de cette idée procède tout le
cérémonial de purification décrit dans " Metsora"
(Lévitique XIV, 1-32). Cérémonial extraordinairement
compliqué, qui débute par le symbole des sept aspersions et du
lâcher d'un oiseau, et qui comprend ensuite un bain, sept jours d'isolement,
un nouveau bain et trois sacrifices (de péché, d'expiation, holocauste
) .
Par certains points de détail,
ce cérémonial ressemble beaucoup à celui de la consécration
des prêtres (Exode XXIX, 20, 21), ce qui en souligne encore la portée
morale.
On ne saurait y voir des mesures
d'hygiène ou de prophylaxie, puisque la complète guérison
du lépreux a déjà été officiellement constatée
avant toute cérémonie de purification (Lévitique, XIV,
3).
Mais le lépreux a besoin de
se purifier au moral, parce que sa maladie était la punition d'une de
ces fautes graves, contre lesquelles la législation humaine se trouve
désarmée. Il lui faut, maintenant qu'il est guéri, une
solennelle et publique réconciliation avec le D.ieu d'Israël, dont
son cur s'était éloigné.
Or c'est la grandeur, unique au monde
du Code mosaïque d'avoir assigné l'homme, dès cette vie,
devant le tribunal infaillible du juge suprême. Seule parmi les législations
anciennes ou modernes, la Torah a eu le pouvoir d'interdire la convoitise (Exode
XX, 14), cet avilissement du Moi, avant-coureur du crime, la vengeance, qui
ravale l'homme au-dessous du niveau de la bête féroce, la rancune,
qui nous endurcit et nous abaisse (Lévitique XIX, 18). Seule la Torah
a pu ordonner l'amour, la charité, protectrice du faible, ennoblissement
des puissants du jour (Lévitique XIX, 18, 34 ; Deutéronnone. X,
1819).
Et cependant aucune place n'est faite,
dans ce Code immortel, aux procès de tendances. Seuls les actes criminels
ou délictueux sont punis par lui, après de minutieuses enquêtes
judiciaires. A l'Eternel, dans sa toute-puissance et dans sa toute-justice,
le soin de sonder les curs, et de châtier le crime caché,
à l'heure qu'il aura fixée dans son infinie sagesse.
Voici quelques-unes de ces prescriptions
légales mosaiques, dont la sanction est réservée à
D.ieu ; nous pouvons, avec une légitime fierté, les présenter
à l'examen de tous les Salon comme de tous les Saint Matthieu :
" Fuis
la parole de mensonge et ne frappe point de mort (comme juge) l'homme innocent
et juste ; car je n'absoudrai point le prévaricateur (Exode XXIII,
7.) "
" N'humiliez
jamais la veuve et orphelin. Si tu osais l'humilier, sache que, quand sa
plainte s'élèvera vers moi, j'entendrai sa plainte ; et mon
courroux s'enflammera, et je vous ferai périr par le glaive, et alors
vos femmes deviendront veuves et vos enfants orphelins. " (Exode XXI1,
22-24.)
" N'insulte
pas un sourd et ne mets pas de pierres sur le chemin d'un aveugle ; redoute
ton D.ieu ! Je suis l'Eternel." (Lévitique XIX, 14,)
" Maudit
soit celui qui fausse le droit de l'étranger, de l'orphelin ou de
la veuve !... Maudit soif celui qui frappe son prochain dans l'ombre! "
(Deutéronome XXVI1, 18, 24.)
UNE LEÇON
DE FRATERNITE
Grâce à toutes ces lois d'amour qui s'appellent : droit de glanage, dîme des pauvres, prêt sans intérêt, etc., le plus pauvre Israélite a des revenus suffisants pour vivre.
Après la leçon de justice,
la leçon de fraternité. Nous avons vu que trois sacrifices étaient
exigés du lépreux, après guérison : deux agneaux
et une brebis, avec les oblations correspondantes de farine et d'huile. Israël
(
) fut un peuple de paysans, dont les troupeaux constituaient le fonds
de roulement et le numéraire.
Mais le lépreux pouvait être
un pauvre ; comment alors aurait-il suffi à des offrandes aussi importantes?
La Torah remplace dans ce cas l'un des agneaux et la brebis par deux tourterelles
(Lévitique XIV, 21?32). Le même souci de justice sociale se retrouve
encore dans la sidrah "Vayiqra" (Lévitique V, 7-13), où
le sacrifice (expiatoire) d'une brebis ou d'une chèvre est réduit,
pour le pauvre, à celui de deux tourterelles, ou même à
l'offrande d'un simple omer, environ 4 litres, de fleur de farine.
Le cas de " l'indigent "
de nos sociétés modernes, de ce pauvre famélique inscrit
aux registres de l'Assistance publique, et qui ne serait pas en mesure de fournir
l'omer de fleur de farine, exigé par la Loi comme un minimum,
ce cas-là, la Torah ne le prévoit pas.
C'est qu'un tel indigent ne pouvait
pas se rencontrer en Israël. Grâce à toutes ces lois d'amour
qui s'appellent : droit de glanage, dîme des pauvres, prêt sans
intérêt, etc., le plus pauvre Israélite a des revenus suffisants
pour vivre. Ce sont bien des revenus; car il ne les doit qu'à la Torah,
il n'a à remercier personne. D'ailleurs sa fortune ne pourra-t-elle pas
se rétablir un jour ? " D.ieu relève le pauvre du milieu
de la poussière; il fait remonter l'indigent des bas-fonds pour le faire
asseoir à côté des grands de son peuple." (Psaumes
CXIII, 5?6.)
Et l'ancien pauvre alors remettra à son tour à ses frères
malheureux les saintes redevances, dont il jouissait lui-même au temps
de l'épreuve !
" La manière dont
les Hébreux expriment l'aumône ", a dit de Pastoret, est
" d'une simplicité sublime. Leur langue n'offre aucun mot auquel
soit précisément attachée cette idée ; ils la rendent
par le mot justice." (Moïse considéré comme législateur
et comme moraliste, 1758, page 473.)
Voilà des enseignements impérissables,
qui ne nous permettent de nous tourner, la Torah à la main, vers les
nations du XXème siècle et de leur dire :
" Oh peuples! Venez avec confiance demander à l'antique et éternellement
jeune Loi de Moïse la guérison de tant de lèpre sociales,
qui vous souillent encore, inévitables châtiments de l'injustice
et de l'égoïsme : misère affreuse, débauche dégradante,
luxe insolent, fratricide lutte des classes !... Venez tous vous éclairer
et vous réchauffer à l'éclat du grand " soleil
d'Equité", dont la voix prophétique de Malachie exalte
la merveilleuse puissance de rayonnement !
" Pour vous, qui révérez
mon Nom, resplendira le soleil d'équité, et la guérison
est dans ses rayons ! Souvenez vous de la Torah de Moïse mon serviteur
! " ( Malakhie III, 20,22.)
(Foi et Réveil) (1923)