Dans la Haggadah nous lisons: " Répands ta colère sur
les peuples qui ne te connaissent point, sur les empires qui n'invoquent pas
ton nom! Car ils ont dévoré Jacob et fait une ruine de sa demeure
" (Psaume LXXIX, 6 et 7) " Déverse sur eux ton courroux, que
ton ardente colère les accable!" Psaumes LXIX, 25). "
Poursuis-les de ton courroux et anéantis-les de dessous la voûte
de tes cieux " (Lamentation 111, 66). Il semble, à première
vue, particulièrement surprenant de trouver ces passages dans le récit
de Pessa'h.
VENGEANCE OU DEFENSE
DE D.IEU ?
Anéantis-les afin que l'ère messianique apparaisse au- dessous de Tes yeux
Pourquoi subitement dans le rituel
du Sédère qui ne parle qu'avec modération et objectivité
des Egyptiens, cette explosion d'idées de châtiment? Le rabbin
Joseph Bloch dans sa Hagadah, explique " Souvenirs des persécutions
que nos pères ont subies au Moyen-Age, les versets sont le cri de douleur
d'un peuple qui souffre atrocement. On ouvre la porte pour faire voir qu'on
n'a rien à cacher, et que l'on se sent à l'abri de toute atteinte
hostile ".
Pourquoi ne serait-ce, en réalité,
pas un simple appel à l'aide et à la protection divine ? Ce serait
plus conforme à l'enseignement de la Torah qui, non seulement enseigne
l'amour du prochain (" Aime ton prochain comme toi-même ".
(Lév. XIX, 18), mais défend même la haine de l'Egyptien
(" N'aie pas en horreur l'Egyptien, car tu as séjourné
dans son pays" (Dent. XXIII, 34).
Et puis, comme l'a fait remarquer,
il y a plus de 300 ans, Rabbi Eliezer Ashkenazi dans son commentaire de Haggadah,
ces versets qui parlent des peuples qui ne connaissent pas D.ieu, ne peuvent
s'appliquer à la population du Moyen Age, chrétienne ou musulmane,
parmi laquelle vivaient les Juifs.
Avec S. R. Hirsch, il faut traduire ce passage de la façon suivante:
" Répands ta colère sur les peuples qui ne veulent pas te
connaître. Que disparaissent les empires qui n'invoquent pas ton nom!
Sur ces peuples qui ne veulent Te connaître, ces empires qui ont détruit
Ton Temple, déverse Ton courroux. Que Ton ardente colère les accable.
Anéantis-les afin que l'ère messianique apparaisse au- dessous
de Tes yeux ".
Notre passage est donc loin de répondre
à une idée de vengeance personnelle, mais une défense de
la gloire de D.ieu. Aussi, comme le fait remarquer Rabbi Eliezer Ashkenazi disons-nous
ces versets juste avant le psaume CXV, dont le début montre bien le vrai
sens du texte. Ce psaume commence en effet par ces mots " Ce n'est pas
pour nous, Eternel, ce n'est pas pour nous, mais pour faire honneur à
Ton nom..."
DEMANDER LA FIN DE L'INJUSTICE
Si certaines puissances ou nations détruisent la paix entre les peuples pour satisfaire leur désir de puissance et de domination, s'ils veulent exterminer Jacob, une fausse philanthropie est mal placée et rien ne doit nous retenir de prier D.ieu que le pécheur disparaisse de la terre
Quand à la raison pour laquelle
nous lisons ces quatre versets le soir du Sédère, c'est encore
Rabbi Eliezer Ashkenazi qui répond à notre question : on a trouvé
étonnant la place de ces phrases au milieu des Psaumes qui célèbrent
la sortie d'Egypte. Leur rapport parait être celui-ci: après que
l'auteur de la Haggadah ait fait le récit, de l'Exode, après avoir
montré comment l'installation en Egypte, puis l'Exode avaient le but
évident de révéler l'existence de la Providence divine
et après avoir énuméré tous les miracles et signes
accomplis par D.ieu, il vient nous dire par ce passage :
" Si malgré la manifestation
de tels miracles, il devait exister encore des peuples et des royaumes qui n'auraient
pas compris la Révélation divine si bien que tout le but de la
vie d'un Abraham - à savoir apporter à toute l'humanité
la connaissance de D.ieu - n'aurait même pas été réalisée
par la sortie d'Egypte, s'il devait toujours exister des peuples qui ne veulent
reconnaître D.ieu, alors Il serait nécessaire qu'ils fussent éclairés
par la colère divine se répandant sur eux ".
Une très bonne explication
de ce passage de la Haggadah a été donnée par Japhet (
Haggadah 1884, p. 64): ces quatre versets sont récités la porte
ouverte pour témoigner notre confiance en D.ieu en cette nuit de Pessa'h.
On a souvent considéré la prière demandant un châtiment
divin, telle qu'elle trouve son expression dans quelques Psaumes, comme contraire
à l'humanité, oubliant que l'idée d'une juste punition
repose sur une base éthique pure.
Cette prière peut d'autant
moins blesser notre sentiment moral qu'il ne s'agit nullement d'une vengeance
personnelle. David qui demande avec véhémence au ciel que "
les pécheurs disparaissent de la terre " (Ps. CIV), quand
il pense aux ennemis de D.ieu et de l'humanité, ce même David parlant
de ses ennemis personnels, dit " Tandis que moi, quand ils étaient
malades je portais un cilice ". Ps. XXXV, 13).
L'homme aux sentiments les plus délicats
ne voit-il pas avec calme, avec satisfaction même, l'épée
de la justice dans la main du juge terrestre? Quand ce dernier punit un forfait,
le déclare t-on inhumain ? Si donc l'Etat, qui protège par ses
sanctions la vie, la propriété, la famille contre la force et
la brutalité, n'agit pas amoralement, alors notre prière en faveur
de l'expiation de l'injustice le fera d'autant moins qu'elle reste souvent le
seul refuge et la seule consolation quand nous entendons les vains soupirs des
persécutés innocents.
Aussi, si certaines puissances ou
nations détruisent le bonheur, la paix entre les peuples pour satisfaire
leur désir de puissance et de domination, s'ils veulent exterminer Jacob,
s'ils dévastent sa demeure - temple de la paix familiale ou lieu saint
du service divin - alors, une fausse philanthropie est mal placée et
rien ne doit nous retenir de prier D.ieu que disparaissent de la terre, avec
le péché, aussi le pécheur comme nous le faisons trois
fois par jour : " Que les calomniateurs et les méchants n'aient
plus d'espoir de salut ! Puisse-t-il ne plus y avoir de méchants ! Daigne
faire disparaître bientôt la haine et l'arrogance ! ".
Mais n'oublions pas que, à
côté de la vengeance de D.ieu, il y a place pour sa miséricorde
qui, par des chemins insondables, amène lentement l'humanité vers
sa destinée supérieure et finale.