RETOURS, REMBOURSEMENTS ET MORALE
La conséquence en est que beaucoup de clients, lorsqu'ils procèdent à des achats, tirent avantage de cette pratique et " vérifient " les marchandises qu'ils ont acquises pour ensuite les restituer au magasin.
Est-il permis à un Juif de manquer à sa parole dans les affaires ? Si, par exemple, on est entré dans un magasin de chaussures et l'on s'en est acheté une paire, puis on a décidé qu'on n'en avait pas vraiment besoin, est-il permis de les rendre ? A supposer que le commerçant accepte de reprendre les chaussures et d'en rembourser le prix d'achat, la Torah permet-elle à l'acheteur de revenir sur sa parole simplement parce qu'il n'a plus envie de cette marchandise ?
Quelqu'un s'est commandé une nouvelle penderie dans un magasin de meubles. Il a payé la moitié à la commande en promettant de régler le solde à la livraison. Un peu plus tard, il a trouvé au même prix une penderie de meilleure qualité. Peut-il demander à être remboursé et annuler la transaction précédente ?
Les commerçants ont aujourd'hui tendance à favoriser une manière souple de traiter les affaires, et donc permettent à l'acheteur de manquer à son engagement même après qu'il a payé ce qu'il a acheté. Presque tous les magasins acceptent de reprendre les articles qu'ils ont vendus, soit qu'ils les remboursent soit qu'ils ouvrent à leurs clients un crédit du montant correspondant à leur valeur. Cette politique procède de l'affirmation d'un droit pour les gens de changer d'avis après avoir acheté un objet, et même de vouloir rendre ce qu'ils ont acquis.
La conséquence en est que beaucoup de clients, lorsqu'ils procèdent à des achats, tirent avantage de cette pratique et " vérifient " les marchandises qu'ils ont acquises pour ensuite les restituer au magasin. Si le commerçant refuse de les reprendre, ils peuvent menacer de rendre publique son attitude ou de favoriser l'un de ses concurrents.
Bien qu'une telle attitude ne soit pas légalement répréhensible, on peut se poser la question de savoir si elle est conforme à la morale. L'intention du prétendu " acheteur " peut avoir été de tirer profit du magasin et d'utiliser sa marchandise pendant un temps limité, ce qui pourrait équivaloir à un vol.
Quel est le dénominateur commun des cas ci-dessus évoqués ? Dans chaque cas, l'acheteur manifeste de la mauvaise foi en annulant sa transaction, alors que le marché avait été conclu sans réserves. En payant le prix de l'article et en prenant possession de celui-ci, l'acheteur donne sa parole qu'il n'a pas seulement l'intention de l'essayer. Et, en rendant l'objet et en exigeant qu'il soit remboursé, il rompt effectivement cet accord.
LA GéNéRATION DU DELUGE ET LES éCHAPPATOIRES LéGALES
Le Roch considère la corruption et la fourberie de ces nations comme la source de leur effondrement.
A la lumière de ce qui précède, nous pouvons comprendre l'approche rigoureuse de nos Sages en matière de contrat de vente. Si un acheteur revient sur sa parole après avoir payé la marchandise qu'il a achetée, il a droit au remboursement de son argent, mais il s'expose aussi à faire l'objet d'une vigoureuse malédiction :
" Celui qui a puni la génération du Déluge, les gens de Sodome et de Gomorrhe, et les Egyptiens à la Mer Rouge, Celui-là punira ceux qui ne tiennent pas parole " (Baba Metsi'a 44a ; 47a).
Que veut dire cette comparaison avec la génération du Déluge ?
Selon la Torah, la génération du Déluge était corrompue au plan moral et totalement dépravée dans sa conduite. Quant aux Egyptiens, ils ont été punis pour avoir opprimé le peuple juif, et non pour leur manque d'intégrité ! Pourquoi alors citons-nous ces nations-là à propos de l'avertissement adressé à celui qui ne tient pas parole ?
Rabbènou Achèr (le Roch), le grand commentateur du XIIIème siècle, s'est penché sur cette question et il explique que " la génération du Déluge baignait dans la corruption et ne tenait pas parole… et les Egyptiens non plus ne tenaient pas parole, puisqu'ils ont constamment promis de libérer les Juifs et sont ensuite revenus sur leurs engagements " (Tossafoth Haroch, Baba Metsi'a 47). Le Roch considère la corruption et la fourberie de ces nations comme la source de leur effondrement.
De fait, malgré l'affligeante description de la génération du Déluge - " car toute chair avait corrompu sa voie sur la terre " - le décret final qui a scellé son destin a été promulgué à cause de sa tendance insatiable au vol (Genèse 6, 13 ; Rachi).
Le Midrach (Berèchith Rabba 34) nous apprend que les gens dérobaient des montants minuscules afin d'échapper aux rigueurs de la loi, puisque de tels montants échappent aux règles normales prévues pour leur restitution en justice. Aussi ont-ils été punis, en fait, pour avoir utilisé des échappatoires légales échafaudées pour leur permettre de tromper autrui, et non pour avoir commis des vols au sens strict du terme.
Nous comprenons mieux, dès lors, l'interprétation du Roch expliquant qu'ils ne " tenaient pas parole ". Ces hommes rusés faisaient beaucoup de promesses verbales, mais ils reprenaient leur parole dès lors qu'ils croyaient pouvoir tirer profit de leur reniement.
Lorsqu'une personne commet un vol, elle bloque la sensibilité au crime qui est innée dans tout cœur humain, et elle ouvre ainsi la voie à la commission d'autres transgressions.
Nous constatons, à la lumière de ce qui précède, qu'il ne faut pas prendre à la légère les manquements à la parole donnée dans les transactions commerciales. Une telle attitude a pour effet d'installer de la méfiance entre les gens et occasionne des pertes financières aux vendeurs, en même temps qu'elle établit une atmosphère d'exploitation opportuniste de la loi. Elle peut, à la longue, conduire à la corruption fiscale, laquelle peut entraîner une rupture de l'ordre social.
Le Chem Michmouel - de Rabbi Chemouel de Sochatchov - explique que lorsqu'une personne commet un vol, elle bloque la sensibilité au crime qui est innée dans tout cœur humain, et elle ouvre ainsi la voie à la commission d'autres transgressions. Aussi doit-on éviter scrupuleusement le vol, même pour des montants dérisoires.
Ce qui caractérise le Juif, c'est sa loyauté et son honnêteté. Comme l'a écrit le prophète Sophonie, " le reste d'Israël ne commettra pas d'injustice, ni ne dira de mensonges " (3, 13).
Un Juif doit affirmer à la fois les mots qu'il emploie et l'honnêteté dans ses transactions commerciales, sachant que l'intégrité est le tissu d'une société juste. S'il tient parole dans ses relations avec autrui, D.ieu tiendra la Sienne avec lui et le protégera dans toutes ses actions, comme il est écrit dans les Psaumes (84, 13 et 14) : " Il ne retient aucune bonne chose chez ceux qui marchent dans la droiture. D.ieu des Armées, heureux l'homme qui a confiance en Toi ! "
(Traduit de l'anglais par Jacques KOHN)