Tous les matins, à
son réveil, le juif récite une prière de remerciements
à D.ieu qui lui a rendu son âme après le sommeil nocturne:
"J
e te remercie, Roi vivant et éternel, de m'avoir restitué
mon âme avec miséricorde; grande est ta fidélité."
Cette prière, nous la récitons avant même de prononcer une
autre parole ou d'accomplir un acte quelconque. Ainsi, chaque matin, s'élève,
en priorité, notre hommage quotidien à la vie.
Dans notre prière
journalière également, le thème de la vie revient souvent:
"Que jusqu'au bout cette année connaisse la vie, l'abondance
et la paix"
"Louanges à ton grand Nom de nous avoir accordé la vie!
Continue, ô Eternel, à nous maintenir en vie!"
"Vous qui êtes attachés à !'Eternel votre D.ieu,
vous êtes bien vivants".
Il s'agit bien de notre vie, mais aussi de celle de nos semblables à laquelle nous devons, pour le moins, le respect.
Plus particulièrement,
ce thème de la vie revient dans les prières de Roch Hachana et
de Yom Kippour où "les registres de la vie et de la mort"
sont ouverts devant D.ieu, appelé à décider "qui
vivra et qui mourra". Certes, nous aimons la vie!
"Oui, je respecte la
vie" pourrait s'intituler tout aussi bien "Oui, j'aime la vie"
s'il n'était question que de notre seule vie. Il s'agit bien de notre
vie, mais aussi de celle de nos semblables à laquelle nous devons, pour
le moins, le respect. Ce principe découle de la mitsvah fondamentale,
celle qui, de l'avis de Hillel, contient toutes les autres: "Tu aimeras
ton prochain comme toi-même" .(Lévitique 19, 18).
Et pourtant, combien d'hommes
et de femmes meurent tous les jours: dans des guerres, par des meurtres, dans
des accidents de la circulation, par erreur médicale (heureusement rare)
ou encore par exécution après condamnation par une justice normale
ou expéditive, selon le cas.
Dans les pages qui vont
suivre nous allons essayer de comprendre pourquoi, oui pourquoi, nous, juifs,
respectons la vie. Quel est pour nous le contenu de cette affirmation. Quel
est le sens de ce bien inestimable qu'est la vie. II ne s'agit d'ailleurs pas
d'un problème purement philosophique, spéculatif, mais bien aussi
d'un problème auquel le médecin tout comme le rabbin, le juge,
etc.... est confronté tous les jours: est-il licite de sauver ou de protéger
une vie au détriment d'une autre vie?
Que faire aussi quand, pour maintenir la vie, la nôtre par exemple l'on
doit transgresser les lois religieuses ou morales?
Autant d'interrogations
qui reviennent fréquemment et auxquelles nous nous efforcerons de donner
une réponse claire. Volontairement, toutes les situations ne seront pas
envisagées, mais seulement les plus fréquentes. Le lecteur voudra
bien cependant ne pas tirer hâtivement de cet essai une solution à
un problème personnel précis. Chaque cas est un cas d'espèce
et devra être soumis, si besoin, aux autorités compétentes.
QU'EST-CE QUE LA
VIE?
La vie est une épreuve plus qu'un objet de connaissance ou, comme l'ont souligné les romantiques, une totalité que seul le sentiment nous permet d'appréhender.
A première vue une
définition de la vie ne s'impose pas. II suffit de savoir son importance
dans le judaïsme - notre vie et celle de nos semblables - pour en déduire
le devoir de la respecter. D'ailleurs, dans le judaïsme, on ne peut comprendre
la vie si l'on se reporte uniquement à nos textes sacrés tels
que nous les lisons communément. Il faut aller plus loin et puiser, en
particulier dans la Kabbalah et dans la Tradition orale de maître à
élève, cette chaîne du savoir qui n'a jamais été
rompue depuis notre maître Moïse.
Avant d'apporter les éléments
de définition de la vie d'après le judaïsme, nous allons
rappeler brièvement ce qui en a été dit par ailleurs.
La définition de
la vie a, en effet, beaucoup préoccupé les philosophes et les
penseurs de tous les siècles, encore plus en dehors du judaïsme
que dans le judaïsme. Ainsi, on a pu dire que la vie est simplement le
temps qui s'écoule de la naissance à la mort. Ou encore, que la
vie est l'ensemble des phénomènes (reproduction, nutrition, mort...)
qui caractérisent les organismes. Le problème vient de ce que
nous ne connaissons pas d'organisme vivant qui ne soit pas matériel.
Aussi, les savants se sont-ils efforcés de déterminer quels sont
les signes qui permettent de distinguer la vie de la matière:
1) On a d'abord cru que
c'était le mouvement (où fallait-il alors classer les éponges
ou le corail?)
2) On a pensé que
le vivant "assimile et désassimile", c'est-à-dire qu'il
se nourrit (or les végétaux absorbent de l'oxygène,
des sels minéraux et rejettent du gaz carbonique).
3) Le vivant se caractériserait
alors par la fonction de "reproduction". (Or, en 1930, on a
découvert les virus, protéines qui se reproduisent et cristallisent
comme des minéraux).
II n'y a pas, d'après
les savants, de caractère vraiment spécifique de la vie. II reste
une certaine spontanéité, ou "élan vital" (Bergson)
que certains philosophes ont rattaché à I'énergie générale
qui se trouve au fond de tous les mouvements de l'univers. Claude Bernard a
tenté d'isoler le vital du physico-chimique en suspendant une à
une toutes les fonctions mécaniques et physico-chimiques d'un organisme
(par vivisection pratiquée sur des chiens). II en a tiré que la
vie ne peut se caractériser que par une "idée directrice"
qui semble présider au développement et à la conservation
des êtres.
La vie paraît absolument
irréductible à la matière. Aucun savant n'a jamais pu reconstruire
de la vie à partir de la matière. Mais la matière lui sert
de support indispensable. C'est la raison pour laquelle notre intelligence,
"adaptée à la matière", ne parvient pas à
acquérir une "connaissance de la vie". La vie est une épreuve
plus qu'un objet de connaissance ou, comme l'ont souligné les romantiques,
une totalité que seul le sentiment nous permet d'appréhender.
D'un point de vue psychologique,
l'homme ne peut avoir le sentiment de vivre qu'à l'occasion d'une activité
créatrice (art, science, travail, action politique, etc.) et plus particulièrement
encore, lorsqu'il éprouve, dans le travail, sa solidarité avec
les autres hommes. A ce niveau, la notion de vie s'identifie à la conscience
de vivre, c'est-à-dire à la notion philosophique de l'existence,
au fait d'apparaître, de se manifester au dehors. Cette dernière
notion est le propre de l'homme.
Jusqu'ici, ce chapitre pourrait
être le résumé éclectique d'une dissertation philosophique
sur la vie, d'un point de vue laïc. Qu'en est-il d'après le judaïsme?
II suffirait .... d'y ajouter la notion de D.ieu-Créateur, source de
toute Vie.
LE SOUFFLEUR DE VERRE
OU LES DIFFERENTS NIVEAUX DE L'AME
Une métaphore, empruntée
au Midrach, nous permet de mieux percevoir le phénomène de la
vie: nos Sages ont comparé l'insufflation de la vie dans Adam, le premier
homme (Genèse 2, 7), à l'action du souffleur de verre. L'air que
l'ouvrier introduit dans le verre se divise en trois parties, liées l'une
à l'autre, sans solution de continuité: une première partie
est entièrement dans le récipient, une deuxième se trouve
dans le tube intermédiaire, la troisième partie demeure dans la
bouche de l'ouvrier. Et il s'agit, de bout en bout, de l'air qui appartient
en propre et entièrement au souffleur (Sanhédrine 91a).
Ainsi en fut-il d'Adam à
qui D.ieu lui-même a insufflé une âme vivante (contrairement
aux autres formes de vie, produites, elles, par la terre ou par les eaux). L'âme
humaine a plusieurs composantes qui sont autant d'échelons entre D.ieu
et l'homme. C'est cette notion que Jacob saisira dans un rêve sous la
forme d'une échelle suspendue du ciel vers la terre (Genèse 28).
Ces échelons sont:
1. Néfèche
C'est le premier degré
de la vie, au sens le plus élémentaire. Nos Sages lui reconnaissent
pour substrat la masse sanguine qui contient tous les éléments
nutritifs nécessaires à l'organisme vivant. "Seulement,
évite avec soin de manger le sang, car le sang c'est la vie (néfèche)
et tu ne mangeras pas la vie (néfèche) avec la chair"
(Deutéronome 12, 23).
De la même manière
que cette force vitale se trouve dans les animaux, elle se trouve aussi dans
le règne végétal, organique ou minéral, "de
l'infiniment grand à l'infiniment petit". II s'agit de la force
statique qui maintient ensemble les différentes parties du corps ou les
atomes d'une molécule. Cela découle du sens étymologique
du mot néfèche qui veut dire "repos" .
C'est pourquoi nos Sages
ont situé, pour fixer les idées, le néfèche
dans le foie, en hébreu kaved (l'étymologie de kaved
évoque la pesanteur, l'immobilisme). Sur le plan spirituel, pour l'homme,
néfèche correspond à l'action, étant
bien entendu que le point culminant de cette action consiste en l'accomplissement
de la mitsvah: l'action est en retrait par rapport à la pensée,
comme le monde matériel par rapport au spirituel. Souvent, nous avons
une pensée pure, généreuse, transcendante mais quand arrive
le stade de la réaliser, il s'y mêle bien des considérations
d'honneur, de compétition, de jalousie qui en diminuent la valeur morale.
Entre la mitsvah que nous voulions accomplir et celle que nous avons faite,
il y a une marge.
2. Roua'h
Littéralement: "vent"
mais habituellement on le traduit par "esprit".
Sur le plan matériel,
c'est l'énergie qui provoquera le mouvement, notamment celle qui fait
circuler le sang dans notre organisme. Nos Sages l'ont localisé dans
le cœur qui (comme on le sait depuis seulement trois siècles!)
est le seul organe qui se contracte régulièrement toute la vie
durant indépendamment de notre volonté.
Ainsi est-il du mouvement
aussi petit soit-il qui caractérise tous les vivants (cf. le commentaire
de Nahmanide sur Genèse 1, 20). Sur le plan spirituel, il s'agit de la
vie sentimentale, passionnelle, restrictive, sensitive dont l'expression humaine
est la parole et la prière.
3. Nechama
L'homme n'a pas d'emprise sur sa nechama; elle est comme l'air qui reste dans la bouche du souffleur; il a la possibilité de la recouvrer ou de l'éloigner de lui.
Du même sens que
nechima : respiration. Nous respirons un air pur et rejetons de l'air
impur.
C'est ce pouvoir de discernement
qui existe dans les organismes vivants. Sur le plan spirituel, la nechama
c'est la pensée au degré le plus élevé et nos Sages
l'ont localisée dans le cerveau. II s'agit de la pensée
humaine et surtout la pensée de la Torah avec laquelle nous devons
accorder notre propre pensée.
La nechama était
le propre d'Adam avant la faute. Après la faute, elle n'était
plus à proprement parler en lui. Par contre, Israël l'avait au Mont
Sinaï avant la faute du veau d'or et Moïse la possédait d'une
façon permanente. En effet, l'homme n'a pas d'emprise sur sa nechama;
elle est comme l'air qui reste dans la bouche du souffleur; il a la possibilité
de la recouvrer ou de l'éloigner de lui. Quoi que nous fassions, notre
nechama reste pure: "Eternel, mon D.ieu, l'âme que tu as
mise en moi, elle est pure" (prière du matin).
Par la techouva (
le retour à D.ieu, le repentir), l'homme peut réparer et refaire
le lien solide entre les trois niveaux de son âme que nous venons d'énumérer.
Son rôle est d'assujettir son cœur à sa raison.
C'est pour lui permettre
la techouva que D.ieu dit: "Et maintenant (après la
faute), il (Adam) pourrait étendre sa main et cueillir aussi
du fruit de l'arbre de la vie; il en mangerait et vivrait à jamais."
D.ieu le chassa donc du jardin d'Eden (Genèse 3, 22).
Si après la faute,
Adam avait mangé du fruit de l'arbre de la vie, il n'aurait plus pensé
à la réparation de sa faute, à la techouva. II serait
resté vivant et souillé à jamais par le péché.
Tandis que mortel et loin du jardin, il pensera à la mort, ce qui l'amènera
inévitablement à réfléchir sur sa faute et sur sa
réparation. Ainsi, il pourra, selon le vœu et I'''espoir" de
D.ieu, recouvrer son état initial paradisiaque.
4. 'Haïa
S'il arrive à l'homme
de franchir les trois premiers niveaux ci-dessus, son action devient positive
sur le plan métaphysique. II obtient '' l'esprit saint"(rouah
hakodech)
5. Ye'hida
Littéralement: "unification".
C'est le degré de la vie humaine le plus élevé. L'on obtient
alors l'inspiration divine, c'est-à-dire la prophétie.
Le prophète "unifie" toute la création à son
Créateur. II est important de noter que, dans la Tradition juive, même
la prophétie est le fruit d'un apprentissage. II y avait, à l'époque
biblique d'Israël, à l'époque du Temple, des, "Ecoles
de Prophètes".
Publié par le département
de l'Education et de la Culture par la Torah dans la diaspora de l'Organisation
Sioniste Mondiale, Jérusalem, B.P. 92, 1982