C'est en ce même jour que, à 656 ans d'intervalle, que le premier et le second Temple furent détruits.
A travers l'épouvante
du Moyen-Age, le judaïsme a fidèlement conservé le souvenir
de cette année terrible - 70 de l'ère vulgaire - qui marque le
début de son exil et de ses pérégrinations.
Le 9 Av, en particulier,
semble avoir été de tous temps prédestiné au malheur.
La tradition nous rapporte nombre de catastrophes qui se sont toutes déroulées
le 9 du mois d'Av, et c'est en ce même jour que, à 656 ans d'intervalle,
que le premier et le second Temple furent détruits. "Ce ne furent
pas, dit le Midrash, les soldats romains qui incendièrent le sanctuaire,
mais quatre êtres célestes qui, tenant en main chacun une torche
enflammée, mirent le feu aux quatre coins de la maison. "
Le Talmud raconte : "
Pendant l'incendie du premier Temple, les jeunes prêtres se formèrent
en groupes et, tenant les clés du parvis entre leurs mains, ils montèrent
sur le toit du sanctuaire et ils dirent: " Maître du monde, puisque
nous avons trahi les valeurs dont tu nous avais confié la garde, nous
t'en rendons les clés ! " Puis ils les lancèrent vers
le ciel. Une main descendit à travers la fumée et se saisit des
clés. Les jeunes prêtres sautèrent alors du toit et périrent
dans les flammes".
La tradition juive se préoccupe
des raisons de la destruction du Temple. Quels furent les péchés
qui amenèrent une telle punition ? Le Talmud en énumère
plusieurs: " Jérusalem fut anéantie parce que les parents
n'envoyaient plus leurs enfants à l'école, parce que l'on n'observait
plus le Chabbat, parce que l'immoralité dominait la vie publique, parce
que l'on ne respectait plus les chefs, parce que chacun ne s'occupait que de
son propre salut, parce que l'on méprisait les hommes de science".
Un autre passage du Talmud précise: " Jérusalem a été
détruite la première fois à cause de l'idolâtrie
qui y régnait, la seconde fois parce que ses habitants se haïssaient
sans motif ".
UN DEUIL PERMANENT
C'est pour rappeler au souvenir la destruction du Temple que l'on brise un verre sous le dais nuptial.
Dès le lendemain
de la catastrophe nationale, les Sages prescrivirent aux Juifs de laisser à
nu une partie du mur faisant face à l'entrée de leur maison et
de ne pas le recouvrir pour avoir toujours sous les yeux le souvenir des ruines
de Jérusalem. Comment pouvons-nous terminer la construction de notre
maison lorsque celle du Seigneur est détruite ?
C'est pour rappeler au souvenir
la destruction du Temple que, dans certaines communautés, le fiancé
se met de la cendre sur la tête pendant la cérémonie du
mariage. C'est pour cette même raison que l'on brise un verre sous le
dais nuptial. Les femmes avaient autrefois l'habitude de faire graver sur leurs
bijoux l'image de Jérusalem et de ne jamais les mettre tous à
la fois.
La Tossephta rend compte
d'un colloque qui eut lieu entre Rabbi Josuah et un groupe de Pharisiens au
lendemain de la destruction de Jérusalem: " Les Pharisiens s'étaient
multipliés en Israël et ils s'abstenaient de manger de la viande
et de boire du vin.
Rabbi Josuah leur dit:
Mes fils pourquoi ne mangez-vous pas de viande ?
Ils répondirent:
Comment pourrions nous manger de la viande, alors que l'on offrait tous les
jours des sacrifices sur l'autel et qu'ils ont maintenant cessé?
- Mes fils, pourquoi vous
abstenez-vous de boire du vin?
- Pouvons nous boire de
ce vin qui servait aux libations ? "
Durant tout le Moyen-Age,
on rencontrait dans de nombreuses communautés des confréries connues
sous le nom " Les Endeuillés de Sion ".
Suivant le témoignage du voyageur Benjamin de Tudèle, les membres
des confréries qu'il avait rencontrés dans les pays arabes, en
1175, ne consommaient ni viande ni vin, s'habillaient de noir, habitaient des
grottes ou des masures et ne prenaient qu'un seul repas léger le soir.
" Toute la création,
dit la Tossephta, a pris le deuil à partir du jour où le Sanctuaire
fut détruit,-, depuis ce moment, chaque jour a apporté une nouvelle
malédiction, la rosée est devenue moins bienfaisante, les fruits
ont perdu leur parfum".
Les codificateurs ont décrété que celui qui monte à Jérusalem doit, lorsque de loin il aperçoit la ville pour la première fois, faire une déchirure à son vêtement.
Le Temple avait servi d'intermédiaire
entre les hommes et le ciel. Suivant les uns l'incendie de la maison de D.ieu
avait " fermé les portes de la prière ". D'autres, plus
optimistes, constatent que le Mont Moria a conservé sa sainteté:
" Après, comme avant la construction, l'esprit de D.ieu ne s'est
jamais écarté de cet endroit ".
Ces mêmes rabbins
(Midrache Tehilim) décidèrent que la ruine de Jérusalem
n'avait pas aboli les fêtes de pèlerinage et que comme autrefois,
les Juifs sont tenus à se rendre trois fois par an sur la montagne sacrée.
Les codificateurs ont décrété que celui qui monte à
Jérusalem doit, lorsque de loin il aperçoit la ville pour la première
fois, faire une déchirure à son vêtement, en prononçant
ce verset du prophète Isaïe : " Tes villes saintes sont devenues
un désert, Sion un désert, Jérusalem une solitude, Notre
maison sainte et splendide, où nos pères t'ont célébré,
est devenue la proie des flammes, tout ce que nous avions de précieux
est en ruine ! " La déchirure, spécifie le Choul'han-Aroukh,
doit mettre la poitrine à nu et il est interdit de jamais la recoudre.
ESPOIR ET REDEMPTION
Conscients de la promesse, les Juifs savaient que leur exil n'était qu'un intermède dans leur longue histoire et qu'un jour, les portes de Sion s'ouvriraient à nouveau.
Durant bientôt vingt
siècles, les Juifs ont exprimé, trois fois par jour, dans leurs
prières, leur desir de revoir un jour l'ancienne splendeur : "Puissent
nos yeux assister à ton retour à Sion... "
Dans l'hymne du vendredi
soir, ils chantent : " O, reconstruis le Sanctuaire et que la Ville de
Sion se remplisse à nouveau. Là, nous chanterons un nouveau cantique
et nous monterons dans la joie! "
Autrefois, Av était
un des plus joyeux mois de l'année : le peuple en liesse y célébrait
la fête des vendanges. Après la destruction du Temple, il est devenu
le mois du deuil national. La Michna décrète: " Lorsque Av
commence, on restreint la joie" et Rabbi Akiba, talmudiste contemporain
de la catastrophe et membre actif du soulèvement contre les Romains spécifie
: "Quiconque s'adonne à une activité le jour de Ticha Be'Av
ne deviendra jamais prospère". Les Sages ajoutent: " Celui
qui mange et boit le jour de Ticha Be'Av ne verra pas la joie de Jérusalem
".
Un vaste espoir traverse
cet immense deuil. Conscients de la promesse, les Juifs savaient que leur exil
n'était qu'un intermède dans leur longue histoire et qu'un jour,
les portes de Sion s'ouvriraient à nouveau. Il ne s'agissait que de tenir,
de ne pas disparaître et de transmettre d'une génération
à l'autre la certitude du retour.
Il fallait, pour cela, ne
pas oublier le jour du triste départ. Il fallait obstinément en
conserver le souvenir, malgré les horribles catastrophes qui ne cessèrent
de s'abattre sur eux durant deux millénaires et qui menaçaient
d'estomper le malheur de Jérusalem. C'est à cette condition qu'un
jour le pays ressuscité verra ses enfants accourir à son appel.
Toutes les joies sont puisées à la source de Ticha Be'Av. C'est maintenant un jour de deuil, mais D.ieu le transformera à l'avenir en jour de fête.
Rabbi Akiba disait devant
les ruines encore fumantes de la capitale: " C'est en prenant le deuil
de Jérusalem que nous nous rendrons dignes d'assister à son renouveau".
Et les Sages du Talmud babylonien voulaient que les mariages fussent nombreux
et joyeux : "Celui qui prend part à l'allégresse des noces
et qui contribue à la joie des fiancés est à considérer
comme un homme qui a relevé une des ruines de Jérusalem "
.
Aussi ne faut-il pas s'étonner
de voir la tradition assigner un surprenant avenir à l'anniversaire de
la destruction : " Toutes les joies sont puisées à la source
de Ticha Be'Av. C'est maintenant un jour de deuil, mais D.ieu le transformera
à l'avenir en jour de fête, comme l'a prédit le prophète
Jérémie : " Je changerai le deuil en allégresse et
je les consolerai, je leur donnerai de la joie après leurs chagrins ".
Une légende veut
que, après la destruction du Temple, " des êtres célestes
descendirent du ciel, prirent sur leurs ailes les pierres de l'édifice
et les éparpillèrent dans le monde entier. Partout où tombait
une pierre, une synagogue s'élevait". C'est pourquoi nos lieux de
prières s'appellent Mikdach Meat (temple miniature).
Selon le Talmud, les synagogues
construites dans l'exil ne doivent être considérées que
comme "temporaires" puisqu'elles sont appelées à être
un jour réédifiées dans le pays d'Israël. C'est pourquoi
les synagogues babyloniennes étaient expressément construites
Al Tenaï, c'est-à-dire " sous condition " (Talm. bab.
Meguila 21, 2).
Une des plus vieilles synagogue
du monde, celle de Prague, s'appelle encore aujourd'hui "Synagogue Al-Tenaï
". Dans la bouche du peuple, ce nom s'est transformé en Alt - Neu
- Schul (Synagogue Ancienne - Nouvelle), propablement à la suite d'une
restauration. C'est en partant de cette appellation que Théodore Herzl
choisit le titre de son célèbre livre Altneuland (Pays ancien,
pays nouveau).
Ainsi, par un curieux détour,
les pierres de la légende millénaire ont contribué à
relever les ruines sur lesquelles le vainqueur romain avait fait passer la charrue
en proclamant : " Jamais cette ville ne sera reconstruite ! "