Quel est le rapport entre les épreuves et le miraculeux ? Quel élément précis de l'épreuve est-il miraculeux ?
Quel est le but des épreuves
et quels sont les traits de caractère nécessaires pour pouvoir
les affronter avec succès ? Le Messilat Yecharim écrit
que le but de la vie est "d'accomplir les mitsvot [commandements
divins], de servir, et de supporter des épreuves".
A ce propos, une question
revient souvent : pourquoi sommes-nous éprouvés ? Pourquoi D.ieu
devrait-il nous tester, puisqu'il sait à l'avance ce qu'il en adviendra
? Si les épreuves sont des "tests", ainsi que le mot nissayon
est souvent traduit, le but de ces tests ne peut évidemment pas être
d'enseigner à D.ieu quelque chose à notre sujet. Alors, qui en
tire bénéfice ? Et comment ?
A cette question peut s'en
ajouter une autre. Le mot nissayon est forgé à partir de
la racine ness signifiant "miracle". (Ness signifie
aussi une bannière, un étendard haut dressé : un miracle
est en fait un drapeau signalant clairement la présence de D.ieu dans
le monde). Le problème est le suivant : quel est le rapport entre les
épreuves et le miraculeux ? Quel élément précis
de l'épreuve est-il miraculeux ? Nous pouvons exprimer cette question
de façon plus incisive ainsi : quand quelqu'un est confronté à
une épreuve, peut-il réussir ? En principe, est-il possible de
réussir une épreuve ou pas ? Si c'est possible, où est
le miracle ? Et sinon, pourquoi D.ieu nous demanderait-Il l'impossible ?
DU POTENTIEL A L'EFFECTIF
Avant l'épreuve, une partie des capacités de la personne n'était qu'une possibilité; après l'épreuve, cette capacité est devenue réelle.
Avant d'aborder ce point
selon la méthode que nous avons déjà utilisée, essayons
de comprendre l'une des réponses les plus fréquemment apportées.
On pense souvent qu'une
épreuve pousse l'individu à découvrir en lui une capacité
personnelle restée latente jusque là. La difficulté de
l'épreuve fait émerger ce qui serait resté en sommeil sans
elle. Ce n'est pas D.ieu qui découvre ce dont vous êtes capable
en surmontant l'épreuve, c'est vous ! Sur le plan spirituel, le concept
correspondant est d'élever le potentiel au niveau effectif. Avant l'épreuve,
une partie des capacités de la personne n'était qu'une possibilité;
après l'épreuve, cette capacité est devenue réelle,
elle s'est réalisée tant dans l'individu que dans le monde.
Pour Abraham, être
capable de sacrifier son fils n'est pas assez - il doit traduire cette possibilité
en acte, il doit la réaliser dans le monde. Ce qui compte, en d'autres
termes, ce n'est pas ce dont quelqu'un est capable, mais c'est ce qu'il accomplit
réellement dans la vie.
Cette idée a des
conséquences profondes : la nechama (l'âme) elle-même,
dans un certain sens, ne se situe qu'au niveau du potentiel, et selon l'interprétation
spirituelle, une nechama sans corps ne peut rien accomplir, elle doit
être incarnée, introduite dans une dimension finie, dans le monde
concret afin de se réaliser : l'énergie potentielle est insuffisante,
l'action est indispensable.
Plus profondément
encore, nous voyons que D.ieu Lui-même a trouvé nécessaire
de créer un monde : pouvoir le faire n'était pas suffisant pour
Lui ; Il nous démontre ainsi d'une façon flagrante que le potentiel
doit être concrétisé, cristallisé dans le monde physique.
Quoique cette approche soit
juste, sans aucun doute, elle ne répond pas pour autant à la question
particulière par laquelle nous avons débuté : où
est le miracle ? Si le potentiel était présent, et qu'il ait simplement
été révélé par l'épreuve, cela n'a
rien de miraculeux.
LA QUESTION DU ROI DAVID
Le Talmud nous apporte un
regard pénétrant et fascinant sur ce problème. En expliquant
le cadre de la relation entre le roi David et Bethsabée, et du péché
que le roi a commis, le Talmud rapporte l'échange suivant entre David
et le Créateur. David demande : " D.ieu, pourquoi dit-on Elokei
Avraham (le Dieu d'Abraham), Elokei Yits'hak (le Dieu d'Isaac)
et Elokei Yaakov (le Dieu de Jacob), et non pas Elokei David (le
Dieu de David) ? "
Que signifie cette question
? David ne la posait certainement pas par orgueil : il était un fidèle
serviteur de D.ieu, et s'était pratiquement débarrassé
de toute vanité personnelle ; en fait, David représente sur le
plan spirituel la puissance de mal'hout, la royauté, qui signifie
la dimension révélée de la souveraineté de D.ieu
dans le monde - le roi juif n'est qu'un simple agent qui rend l'empire de D.ieu
visible.
David posait la question en toute humilité. David, qui était la personnification même de cette vertu, voulait savoir en quoi son propre service de D.ieu avait été insuffisant.
Le Messie doit descendre
de David, il est un prolongement de sa personne et de sa nechama, et
son rôle est de conduire à la reconnaissance de la royauté
divine, certainement pas à celle d'un quelconque pouvoir humain. La sagesse
profonde décrit la caractéristique du Messie et de la royauté
juive ainsi : " Leit lei mi garmei kloum - il ne possède
rien en propre ".
David posait la question
en toute humilité. David, qui était la personnification même
de cette vertu, voulait savoir en quoi son propre service de D.ieu avait été
insuffisant : Abraham, Isaac et Jacob avaient mérité de voir leur
nom annexé au nom divin, ce qui veut dire en d'autres termes qu'ils avaient
révélé la Présence divine par leur vie même;
et non pas David, le quatrième angle spirituel du Chariot divin. S'ils
devaient tous quatre œuvrer de concert, ainsi qu'il le fallait en fin de
compte, David voulait connaître ce qui dans sa vie n'avait pas encore
été correctement mis en valeur.
D.ieu répond : "
Eux, Je les ai éprouvés, et pas toi. " David rétorque
immédiatement : " D.ieu, éprouve-moi! " L'épreuve
se présente, et David succombe.
INTERVENTION DIVINE
Si nous analysons ces lignes
du Talmud nous sommes amenés à cette conclusion surprenante :
être éprouvé et réussir, cela veut dire, semble-t-il,
que le nom de D.ieu peut être attaché au nom de celui qui a subi
l'épreuve. Que cela veut-t-il dire?
Le nom révèle
l'essence de l'être. Si le nom de quelqu'un, qui exprime son essence,
est prononcé en même temps que le nom de D.ieu, cela veut dire
qu'un aspect de la présence de D.ieu est révélé
dans cette personne ; pour ainsi dire, elle est devenue un véhicule de
la manifestation de D.ieu dans le monde. Quand Abraham est éprouvé
par les flammes de la 'akéda (la " ligature " et le
sacrifice d'Isaac), c'est une révélation de D.ieu. Comment cela
se passe-t-il ?
Quand quelqu'un agit au-delà de ce qui est normal et attendu d'une action humaine, D.ieu Se révèle.
En réalité,
l'épreuve est impossible à surmonter. Elle ébranle la personne
au-delà des limites du possible. On éprouve une perception aigüe
du caractère excessif d'une telle épreuve : c'est au dessus de
mes forces ! Quand quelqu'un est au bord d'un gouffre béant, et s'y jette
pourtant parce que D.ieu le lui demande, et qu'il arrive miraculeusement de
l'autre côté sain et sauf, c'est D.ieu qui Se révèle,
parce que Lui seul peut accomplir l'impossible - c'est cela le miracle ! La
bannière du miracle, de l'immanence divine, a été dressée.
Deux éléments sont nécessaires : s'attacher au divin, puis
sauter.
Les Sages nous apprennent
que le mauvais penchant (yétser hara) nous assaille quotidiennement
avec une méchanceté meurtrière, (c'est l'essence de toute
épreuve), et "sans l'aide de D.ieu, personne ne pourrait le dominer
! " Il n'y a aucune imprécision dans les paroles de nos Sages :
s'ils nous disent que sans l'assistance divine, la bataille est sans espoir,
c'est qu'il en est ainsi. De ce fait, lorsqu'on comprend ce qui se produit lorsqu'on
triomphe d'une épreuve, on perçoit l'intervention divine !
Quand quelqu'un agit au-delà
de ce qui est normal et attendu d'une action humaine, D.ieu Se révèle.
Le Talmud nous conte qu'une fois, le grand Sage et savant Chim'on ben Chéta'h
acheta un âne à un non-juif, et qu'il découvrit qu'un précieux
bijou y était attaché. Il retourna le bijou à son propriétaire,
expliquant qu'il avait payé pour un âne, pas pour un joyau. Le
gentil s'exclama : " Barou'h Elokei Chim'on ben Chéta'h - Béni
soit le D.ieu de Chim'on ben Chéta'h ! "
Cette réponse illustre
exactement ce que nous avons appris : non pas " Béni soit Chim'on
ben Cheta'h ", mais " Béni soit le D.ieu de Chim'on
ben Chéta'h " - Le nom de D.ieu est associé au sien !
Le non-juif perçut immédiatement que lorsqu'un être humain
agit à l'encontre de la nature humaine, c'est qu'il exprime un lien avec
une réalité supérieure - une sorte de petit miracle s'est
produit !
LA LIGATURE D'ISAAC OU
COMMENT ELEVER LE MATERIEL VERS LE SPIRITUEL
Cette même idée
apparaît de multiples façons. Quand le Messilat Yecharim
traite des niveaux les plus élevés auxquels une personne peut
prétendre, il dit : " Te'hilato avoda, ve sofo guemoul -
le début est ardu, mais la fin vous est offerte ". Le début
du cheminement qui conduit à la transcendance est un effort pénible,
très pénible, mais la fin est un don, elle vient d'ailleurs, d'au-delà
du travail lui-même, d'au-delà de soi.
Les Sages disent que si
quelqu'un assure "qu'il a travaillé et qu'il a trouvé ",
on doit le croire. Le travail mènera au résultat, mais les mots
sont d'une clarté rigoureuse : le mot "trouvé" renvoie
à une découverte inattendue ; il n'est pas écrit "
il a travaillé et réussi ", mais " travaillé
et trouvé " - la découverte était inattendue, c'était
une surprise en dépit du travail, du fait qu'elle appartenait à
une tout autre dimension.
La prière de celui
qui vit une épreuve, par voie de conséquence, est ainsi conçue
: " D.ieu, cette épreuve dont Tu me gratifies me semble impossible
à surmonter. Elle est au-delà de mes simples moyens humains. Mais
si Tu m'as jugé digne d'être éprouvé, je ferai l'impossible
pour Toi. Je sauterai dans le vide, je Te ferai le don de ma personne. Je reconnais
que je ne suis rien, que Tu es tout. Aide-moi à réussir. "
Essayons d'appliquer cette
idée. A propos de la akéda (la "ligature" d'Isaac),
les commentaires expliquent à quel point l'épreuve d'Abraham sortait
du domaine du possible - sacrifier un fils pour lequel il avait attendu jusqu'à
l'extrême vieillesse, dont il avait été prédit que
descendrait le peuple juif ; après avoir enseigné au monde entier
que les sacrifices humains constituaient une terrible erreur ; un homme dont
tout l'être personnifiait la bonté et l'amour. Et il ne s'agissait
pas de causer à son fils une douleur sans gravité, mais bien de
le tuer de ses propres mains.
Outre le niveau émotionnel,
la dimension intellectuelle n'était pas moins difficile à saisir
: cela n'avait aucun sens. D.ieu lui avait promis que c'était par Isaac
qu'il aurait une descendance ; comment pouvait-il y avoir une contradiction
dans la volonté divine ?
Au niveau spirituel, le
problème apparaît encore plus profond : Abraham savait que D.ieu
ne voulait pas de ce sacrifice (ainsi que le dit le verset : "Velo 'alta
al libi - Dont je n'ai jamais eu l'intention "), de même que l'on
connaît la pensée du bien-aimé, - et il ne se trompait pas
; en fin de compte, D.ieu l'empêcha d'accomplir cette action !
C'est leur héritage
: nous devons vivre ainsi, forcés, épreuve après épreuve,
d'élever le matériel vers le spirituel et de survivre, miraculeusement.
Ainsi, tous les niveaux
de sa conscience " hurlaient " que cet acte ne pouvait être
perpétré, et D.ieu lui dit, en effet : " Oui, tout ce
que tu ressens et sais est vrai, mais pourtant, tue-le ! " Voilà
l'épreuve ! C'est faire face à l'impossible ! Et Abraham se mit
à réaliser l'impossible.
Le résultat ? L'impossible
s'est produit, la dimension miraculeuse s'est manifestée. On nous raconte
dans la Genèse qu'Isaac a été épargné, qu'il
est descendu de l'autel, qu'un bélier a été sacrifié
à sa place. Mais, dans le Midrach, on nous dit : " Afro chel
Yits'hak mouna'h lefanaï - les cendres d'Isaac sont déposées
devant Moi " : dans une dimension plus élevée, il a été
effectivement sacrifié ! Ce ne sont pas " les cendres du bélier
", mais " les cendres de Isaac". Il est devenu une "'ola
temima", un pur sacrifice.
C'est l'impossible paradoxe
: qu'un homme qui vit physiquement dans ce monde, soit présent aussi
dans le monde futur, simultanément ! Et les qualités de ce père
et de ce fils se perpétuent dans le peuple juif, - la capacité
de vouer les émotions, l'intellect, la personnalité tout entière
à D.ieu, en émouna (foi), et le don de pouvoir vivre dans
un monde physique et de le transcender en même temps. C'est leur héritage
: nous devons vivre ainsi, forcés, épreuve après épreuve,
d'élever le matériel vers le spirituel et de survivre, miraculeusement.
LA VERITABLE ERREUR DU
ROI DAVID
Si quelqu'un recherche
l'épreuve, c'est qu'il est persuadé de pouvoir la surmonter; cette dimension
d'orgueil est justement ce que le nissayon (épreuve) vient neutraliser.
Qu'en est-il de David et
de Bethsabée? Le Talmud essaye de comprendre ce en quoi précisément
David a fauté. Le sens apparent des mots peut être trompeur - le
Talmud explique qu'il n'y avait ni péché d'adultère ni
faute aussi grossière, ainsi qu'on pourrait être tenté de
le croire par une lecture superficielle. En fait Bethsabée lui était
destinée, et c'est d'eux que naîtra Salomon, l'ancêtre direct
du Messie.
La conclusion du Talmud
est que l'erreur de David, c'est qu'il ait demandé à être
éprouvé ! Cela nécessite explication. En quoi se proposer
à une épreuve est-il une erreur? Si le but de la vie est d'être
éprouvé, pourquoi ne devrions-nous pas rechercher toute épreuve
?
Mais la réponse est
dans la question même : si quelqu'un recherche l'épreuve, c'est
qu'il est persuadé de pouvoir la surmonter : "Éprouve-moi,
et je te montrerai !" Personne ne demande une épreuve à
laquelle il est sûr de succomber !
Et cette confiance en soi,
cette force de l'ego, cette dimension d'orgueil est justement ce que le nissayon
(épreuve) vient neutraliser, éliminer. Quand David demande à
être éprouvé, il manifeste un degré infinitésimal
d'orgueil, incompatible avec son extraordinaire niveau. Son rôle dans
ce monde est de montrer qu'il n'est rien, que D.ieu est tout, "leit
lei mi garmei kloum".
D.ieu nous fait passer au-delà
de l'abîme. Nous agissons, mais c'est Lui qui accomplit. Pour l'homme
dont la tâche est d'enseigner ceci au peuple juif et au monde entier de
la façon la plus éclatante, la moindre allusion au fait qu'il
pourrait faire quelque chose indépendamment de D.ieu, pour ainsi dire,
est inacceptable.
Quoiqu'il se soit départi
de quasiment tout intérêt personnel, de tout ego, une ombre de
fierté était encore de trop. Et le seul résultat possible,
la seule solution en fait, était l'échec ; l'échec, c'est
la correction du moi. Le temps de la réussite de David n'était
pas encore venu ; le quatrième élément du Char divin ne
se manifestera à travers lui qu'à la fin des temps.
Les épreuves mènent à la transcendance.
Nous tirons de là
une pensée réconfortante : les épreuves mènent à
la transcendance. Bien que cela paraisse paradoxal, c'est en affrontant les
crises avec la force du lion, tout en étant intimement persuadés
que seul D.ieu se manifeste ici, que nous participons à Sa révélation
sur terre.
Ce qui est possible ou impossible
ne nous concerne pas. L'"Ancien" de Kelm avait coutume de dire : "
Ne demande pas si quelque chose est possible, mais seulement si elle est nécessaire.
" Notre propos à nous, c'est de nous élever dans l'approche
du divin de telle manière, si l'on peut s'exprimer ainsi, que nous L'invitions
à descendre jusqu'à nous.