Rabbi Chabtaï Hacohen
naquit à Wilno en l'an 5382 (1622), c'est à dire il y a plus
de trois siècles et demi. Son père Rabbi Meïr était
Av Beth-Din (Président de la Cour de justice israélite) dans cette
ville, et fut le premier maître de Chabtaï.
A l'âge de douze
ans, le garçon est déjà versé dans le vaste Talmud
et la littérature talmudique. Son père l'envoie alors à
la Yéchivah du grand Gaon Rabbi Josué, auteur de Pnei Yéhochoua
à Tiktin. Plus tard, en 1639, il fait avec son maître le voyage
à Cracovie, en Pologne, où ce dernier dirige une importante Yéchivah.
A l'âge de vingt-quatre ans, il publie son oeuvre gigantesque: un commentaire très érudit sur une partie du Choul'han Arou'h.
Par la suite, le jeune
érudit étudie la Torah sous la direction du Gaon Rabbi Heschel
et le Gaon Rabbi Naftali Katz. Il revient ensuite à Wilno où il
est reçu comme l'un des plus éminents spécialistes du Talmud
de son temps.
A Wilno, Chabtaï épouse
la fille d'un érudit fort connu qui est en même temps un homme
d'affaires influent, Rabbi Benjamin Wolf Tauber, lui-même gendre du célèbre
Maharcha, et petit-fils du non moins célèbre RaMo (Rabbi Moché
Isserlès, auteur du Mappa Lachoul'han, notes sur Choul'han Arou'h de
Rabbi Yossef Caro).
Pour Rabbi Benjamin Wolf
c'était un honneur de subvenir aux besoins matériels de son illustre
gendre. En dépit de son jeune âge, ce dernier est bientôt
élu membre du Beth-Din de Wilno.
En dehors des obligations
que comporte cette haute charge, Rabbi Chabtaï consacre la plus grande
partie de son temps à l'étude de la Torah et au service du Tout-Puissant.
Nuit et jour il étudie, prie et rédige ses commentaires, résultat
de son étude.
Durant cette période,
il compile son oeuvre gigantesque, Siftei-Cohen. C'est un commentaire
très érudit sur le Choul'han-Arou'h, Yoreh Déah. Il le
publie à l'âge de vingt-quatre ans! Dix-huit grands érudits
en Torah de ce temps, non seulement donnent leur approbation à cette
grande oeuvre, mais aussi ils couvrent de louanges ce remarquable ouvrage
d'un génie en herbe.
" NEKOUDOTH HAKESSEF
"
Rabbi Chabtaï montre ainsi qu'il s'attribue spontanément la seconde place par rapport à son aîné.
La même année,
un autre géant toranique, âgé celui-là, publie un
brillant commentaire sur la même section du Choul'han-Arou'h: nous voulons
parler du célèbre Rabbi David ben Chmouel Halévi, qui intitula
son oeuvre Tourei Zahav (" TaZ ").
La grande réputation
de ce dernier, et son grand âge, furent cause du succès immédiat
de son livre, ce qui éclipsa partiellement celui du jeune auteur. Eclipse
de très courte durée toutefois, car il ne fallut pas longtemps
pour que le " Siftei Cohen " fût considéré comme
l'égal du TaZ.
Bien que beaucoup plus
jeune, Rabbi Chabtaï trouve dans l'oeuvre de son aîné beaucoup
de pensées qui ne correspondaient pas aux siennes. Il réunit ses
arguments (Hassagoth) dans le Nekoudoth HaKessef "points d'argent
".
Il faut noter qu'il choisit
ce titre, non seulement parce qu'il figure dans le même verset de Chir
Hachirime dont le vieil érudit a tiré le titre de sa propre rouvre
: de façon plus significative, Rabbi Chabtaï montre ainsi qu'il
s'attribue spontanément la seconde place par rapport à son aîné.
Car du fait que Tourei Zahav veut dire " rangées d'or ", et
Nekoudoth HaKestef " points d'argent " le jeune auteur, dans sa modestie,
précise que sa connaissance toranique comparée à celle
du vieux Gaon Rabbi David, est comme l'argent comparé à l'or.
NOUVELLES PERSÉCUTIONS
Ces années-là (1648-1649), les Cosaques, sous la conduite de Bogdan Chmelnicki, se révoltent contre la Pologne, et mettent à feu et à sang un grand nombre de collectivités juives.
Ensuite, Rabbi Chabtaï
commence à écrire un commentaire sur une autre section du Choul'han
Arou'h, le 'Hochen-Michpath.
Mais à ce moment,
la terrible calamité nationale, connue dans l'histoire juive sous le
nom de " Gzéroth Tah vTaT " (les Massacres des années
5408-5409), s'abat sur les communautés d'Europe Orientale. Ces années-là
(1648-1649), les Cosaques, sous la conduite de Bogdan Chmelnicki, se révoltent
contre la Pologne, et mettent à feu et à sang un grand nombre
de collectivités juives.
Innombrables furent les
Israélites (certains historiens les estiment à 300 000) que massacrèrent
les Cosaques au cours de leur marche sanglante à travers l'Ukraine, Volhynie,
Podolie, la Pologne proprement dite et la Lithuanie.
Bien que cette révolte
n'eût plus d'objet, du moins temporairement, des négociations de
paix ayant été entreprises, les Cosaques n'en continuèrent
pas moins leurs attaques plus de dix ans durant, et avec une égale sauvagerie.
La grande ville de Wilno tomba aussi entre leurs mains. Ils la ravagèrent
et se livrèrent à des massacres en masse des habitants juifs,
les mettant devant l'atroce alternative de l'abjuration religieuse ou la mort.
Un certain nombre d'entre
eux réussirent à fuir de la ville, et des villes et villages avoisinants.
Parmi eux se trouvait Rabbi Chabtaï. C'était un jeudi 24 Tammouz
de l'an 5415 (1655). Il va à Lublin ; mais là aussi les bandes
assoiffées de sang arrivent le premier jour de Souccoth et massacrent
beaucoup de Juifs. Rabbi Chabtaï réussit encore une fois à
fuir. Il erre longtemps jusqu'à ce qu'il arrive enfin à Dresnitz,
une ville de Moravie, où on le nomme Rabbin. Là lui parvient l'offre
de devenir Rabbin de la communauté juive de Helichoï..
Rabbi Chabtaï consigna
le récit de ces terribles événements dans un ouvrage intitulé
Meguilah Affah (" Rouleau volant "). C'est un document d'une
grande importance historique. II écrivit aussi " Tokfo-Cohen
", des Responsa, et d'autres ouvrages.
DEUX COMMENTAIRES ESSENTIELS
Ces deux commentaires figurent aujourd'hui en regard du texte du Choul'han-Arou'h.
Ce brillant talmudiste dont
les oeuvres révèlent une connaissance extraordinairement étendue
et profonde de tout le Talmud et de la littérature rabbinique, mourut
jeune, à l'âge de 41 ans, à Roche-'Hodèch Adar Richon,
en l'an 5423 (1663).
Ces deux commentaires figurent
aujourd'hui en regard du texte du Choul'han-Arou'h (de la même manière
que Rachi et Tossafoth paraissent en regard de la Guémara).
Dans l'une des périodes
les plus sombres et les plus tragiques de notre histoire, Rabbi Chabtaï
éclaira le monde juif avec sa Torah, et sa lumière brille, toujours
vive, encore de nos jours.