Rabbi Abraham ibn Daoud était médecin. Il possédait ses vastes connaissances en astronomie, et dans les sciences mathématiques et physiques.
C'est durant " l'âge
d'or " de l'histoire juive en Espagne que vécut à Tolède
le grand historien juif, philosophe et défenseur de notre foi, Rabbi
Abraham ibn Daoud HaLévi.
Du côté maternel,
il descendait de la noble famille des Albalia de Cordoue. Le célèbre
talmudiste Rabbi Yitz'hak Albalia était son arrière-grand-père,
et Rabbi Baruch Albalia de Cordoue, disciple de l'illustre Rabbi Yitzhak Alfassi
(RIF), fut son oncle et son maître.
En ce temps-là, les
grands rabbins d'Espagne ne gagnaient pas leur vie dans l'exercice du rabbinat
même ; ils avaient une profession à part. Rabbi Abraham ibn Daoud
était médecin. Ce qui ne l'empêchait pas d'être fort
estimé pour ses vastes connaissances en astronomie, et dans les sciences
mathématiques et physiques.
En dépit de son immense
savoir, ce grand érudit ne manquait aucune occasion de souligner que
le saint devoir du Juif ne consistait pas à passer son temps à
approfondir les sciences ou d'autres disciplines du même ordre, mais plutôt
à se consacrer à l'étude de la Torah ainsi qu'à
la recherche de la vérité et du caractère éternel
de la religion et de la tradition juives. A cette tâche sainte il voua
effectivement sa vie.
A cette époque, deux
dangers menaçaient la foi juive : la propagation de la secte Karaïte
parmi les juifs d'Espagne, et l'influence de toutes sortes de philosophies néfastes,
en faveur parmi les classes évoluées avec lesquelles les juifs
frayaient constament.
Pour défendre la
religion juive à la fois contre les Karaïtes et contre les philosophes,
Rabbi Abraham ibn Daoud écrivit ses deux oeuvres capitales, l'une sur
l'histoire, l'autre sur la philosophie.
LES ÉGAREMENTS
D'UNE SECTE
Les Karaïtes étaient
une secte juive qui soutenait que seule la Torah écrite (le TenaCh) contenait
la vérité et avait été donnée par D.ieu.
Le reste, constitué par les explications et les interprétations
traditionnelles de la Torah, transmises oralement depuis Moïse, de génération
en génération, et consignées plus tard par écrit
dans la Michnah et la Guemara, en un mot toute la Torah Chéb'al-Peh (Loi
Orale), ils ne s'estimaient pas tenus de l'accepter.
Ils interprétaient
la Torah à leur manière, avaient élaboré une Loi
Orale spéciale et introduit des coutumes et des pratiques étranges
qui ne pouvaient être qu'odieuses aux juifs fidèles à la
vraie tradition.
Rabbi Abraham entreprit de prouver historiquement que la chaîne de la tradition n'avait jamais été rompue depuis le temps de Moïse.
Mais les Karaïtes déployaient
de grands efforts en vue de propager leurs enseignements. Rabbi Saadia Gaon,
qui vécut en Babylonie un siècle environ avant Rabbi Abraham ibn
Daoud, fut l'un des premiers à mener la lutte contre la secte dissidente.
Rabbi Abraham entreprit
de prouver historiquement que la chaîne de la tradition n'avait jamais
été rompue depuis le temps de Moïse, et qu'au contraire elle
avait été transmise de génération en génération
jusqu'à la sienne.
Quand Moïse reçut
la Torah, il reçut aussi, oralement, l'interprétation adéquate
qui s'y rattachait, et sans laquelle il serait impossible de la comprendre.
L'une et l'autre, la Torah et son interprétation, furent transmises par
Moïse à Josué et aux Anciens, lesquels à leur tour
la confièrent aux Prophètes et aux Sages de la Grande Assemblée,
les Tannaïm, les Amoraïm, les Rabbanane Sebourai, les Gheonime et
leurs successeurs, les Rabbins, chefs spirituels d'Israël.
Rabbi Abraham ibn Daoud
en dressa la liste, précisant, outre leurs noms, les époques auxquelles
ils vécurent, et y joignit une histoire de notre peuple dans son ouvrage
célèbre, Séfère Hakaballah, le Livre de la
Tradition.
LA MAIN INFAILLIBLE DE
DIEU
Cet ouvrage devint l'une des sources les plus importantes pour l'étude de l'histoire juive, particulièrement le temps des Gueonime de Babylonie et des grands centres juifs en Egypte.
Nous ignorons l'effet qu'eut
ce livre sur les Karaïtes, et dans quelle mesure il contrecarra leur néfaste
influence.
Ce que nous savons, c'est
que cet ouvrage devint l'une des sources les plus importantes pour l'étude
de l'histoire juive, particulièrement le temps des Gueonime de Babylonie
et des grands centres juifs en Egypte (Kairouan et d'autres villes), y compris
la période espagnole, de ses débuts jusqu'à l'époque
où vivait l'auteur.
Ce dernier montre comment
la Divine Providence veilla à ce que la direction spirituelle du peuple
juif ne fût jamais interrompue, et comment les centres spirituels suivirent
les Israélites dans leurs migrations d'un pays à l'autre de leur
exil.
Que la main de D.ieu les
guidât constamment, cela était démontré avec une
particulière évidence dans le cas des Quatre Captifs, les quatre
grands Rabbins qui, partis de Babylonie, furent capturés par des pirates,
puis libérés contre rançon, chacun dans un pays différent,
où ils fondèrent de nouveaux centres d'études judaïques.
L'un d'eux, Rabbi Moché ben 'Hanokh, s'établit à Cordoue
au temps de 'Hasdaï ibn Chaprouth et fonda la première des grandes
académies talmudiques en Europe Occidentale.
Source inépuisable
d'information, cette uvre nous apprend bien des choses sur le peuple des
Khazars dont le roi Boulan rejeta l'idolâtrie et embrassa la foi juive,
entraînant à sa suite toute sa cour et tous ses sujets.
Rabbi Abraham ibn Daoud
nous y parle de la correspondance que le Ministre d'Etat juif 'Hasdaï ibn
Chaprouth échangea avec le roi qui régnait alors sur les Khazars.
Il déclare même avoir vu des descendants de ces derniers à
Tolède.
UNE TERRIBLE CATASTROPHE
Témoin oculaire de
la catastrophe qui s'abattit sur les juifs d'Andalousie, Rabbi Abraham ibn Daoud
nous a laissé un compte rendu fort précis de l'expédition
entreprise contre ceux-ci par la fanatique tribu musulmane, les Almohades, disciples
de Mohammed ibn Toumart du Maroc.
Rabbi Abraham décrit le terrible exode : des réfugiés pieds nus, presque sans vêtements, sans nourriture ni eau.
Résolus à
convertir par l'épée tous les " infidèles", ces
derniers traversèrent le détroit de Gibraltar et détruisirent
les grands centres judaïques de Séville, Cordoue, Lucca et Malaga.
Les juifs fuirent vers le nord de la péninsule dans la partie occupée
par les Chrétiens.
Rabbi Abraham décrit
le terrible exode : des réfugiés pieds nus, presque sans vêtements,
sans nourriture ni eau, et parmi eux, certains qui dans l'affolement et la panique
avaient égaré leurs propres enfants. Heureusement, comme l'auteur
nous le dit, D.ieu, avant que ne se déclarât la maladie, avait
préparé le remède en la personne de Rabbi Yéhoudah
ibn Ezra, un ami intime du roi Alfonso VII qui le nomma au poste de commandant
de la forteresse de Calatrava. De nombreux réfugiés y purent ainsi
trouver un abri. Rabbi Yéhoudah les pourvut de nourriture, d'eau, de
vêtements, afin qu'ils pussent poursuivre leur route jusqu'à Tolède.
L'auteur nous fait également
le récit de la courageuse résistance opposée aux fanatiques
envahisseurs par les juifs de Grenade et d'autres villes.
Ainsi, encore une fois,
avec l'aide de la Providence, le centre de la vie juive se déplaçait-il
de l'Espagne mahométane vers l'Espagne chrétienne.
En vérité,
celle-ci ne nourrissait pas à cette époque des sentiments particulièrement
amicaux à l'égard des Israélites. Néanmoins, elle
les accueillit, estimant à sa juste valeur leur apport futur.
Car elle avait des projets
d'expansion fort ambitieux, dont l'objet était l'annexion des territoires
de la péninsule qui échappaient à sa domination. Ces Juifs
allaient même être utiles dans la lutte que l'Espagne chrétienne
menait contre les Mahométans.
AUTRES UVRES
Il publia aussi un important traité sur l'astronomie qui fut accueilli comme une oeuvre capitale.
Rabbi Abraham ibn Daoud
rédigea encore un autre pamphlet contre les Karaïtes, dans lequel
il réfutait les affirmations fallacieuses de leur chef Abou Alfarag,
"afin de convaincre de leur fausseté tous ceux qui se consacraient
à ces études".
Il écrivit également
deux autres traités d'histoire de moindre importance. L'un intitulé
" Divré Malkhé Yisraël Babayith Cheni "
(Histoire des Rois juifs au Temps du Second Temple) ; l'autre " Zikhron
Divré Rom " (Histoire de la Communauté juive de Rome).
Il publia aussi un important
traité sur l'astronomie qui fut accueilli comme une oeuvre capitale et
loué par nombre d'érudits éminents, parmi lesquels Rabbi
Yitz'hak Israéli, un disciple de Rabbénou Achère ben Yé'hiel.
Un autre front sur lequel
Rabbi Abraham ibn Daoud défendit les vrais principes de la foi juive
fut celui de la philosophie. Comme le fit après lui Rambam (Maïmonide),
il montra qu'il n'est rien dans la religion juive qui soit contraire à
la raison.
Rabbi Abraham écrivit
sa grande oeuvre philosophique en arabe. Ce fut Rabbi Salomon ben Lavi qui en
fit plus tard une traduction en hébreu sous le titre de " Emounah
Ramah " (La Foi Exaltée). L'ouvrage fut traduit une seconde
fois par Rabbi Samuel Matoth. Cette traduction était supérieure
à la précédente; néanmoins elle ne vit jamais le
jour.
SEULEMENT POUR "
CEUX QUI DOUTENT "
Il n'était pas dans
l'intention de Rabbi Daoud d'encourager l'étude de la philosophie.
Au contraire, car il écrit
dans l'introduction de son livre "Ceux que les problèmes philosophiques
ne troublent point, de même que ceux qui sont versés en philosophie
ne devraient pas lire ce livre".
Son but était d'aider
ceux qu'assaillaient des doutes issus de l'apparent conflit entre la foi et
la raison. Ce fut aussi le propos du célèbre " Guide des
Egarés ", de Maimonide, qui parut peu de temps après "Emounah
Ramah", le surclassant aussitôt.
De lecture assez malaisée,
ce dernier ouvrage ne put résister au "Guide" plus substantiel
et qui, dès sa parution, connut une très grande popularité.
Néanmoins, Emounah
Ramah a sa place parmi les ouvrages classiques de la philosophie juive du
Moyen Age, au même titre que Emounoth ve-Déoth de Rabbi
Saadia Gaon, 'Hoboth ha-Levavoth de Rabbi Bahya ibn Pakouda, le Kouzari
de Rabbi Yéhoudah Halévi, Moreh Névoukhim de Maïmonide,
Mil'hamoth ha-Chem de Rabbi Lévi ben Gerchon (Guersonide), Or
ha-Chem de Rabbi 'Hasdaï Crescas, et Séfère ha-Ikkarime
de Rabbi joseph Albo.
VIVRE ET MOURIR POUR
UNE GRANDE CAUSE
Rabbi Abraham ibn Daoud,
qui consacra sa vie à la défense de la foi juive, devait mourir
aussi pour la sanctification du Nom de D.ieu.
Le roi Alfonso VII fut très
favorable aux juifs, recrutant parmi eux ses conseillers les plus proches, et
même ses amis intimes. Cette attitude ne pouvait manquer d'exciter la
jalousie des non-Juifs. On fit courir des rumeurs, on excita la populace. Celle-ci
attaqua les Israélites.
Le sang coula, beaucoup
de ceux-ci y laissèrent la vie et, parmi eux, Rabbi Abraham ibn Daoud,
alors âgé de soixante-dix ans. On rapporte qu'il aurait pu avoir
la vie sauve s'il avait consenti à embrasser la foi chrétienne.
Il préféra mourir. Ainsi, dans sa vie comme dans sa mort, cet
homme éminent fut un grand et fidèle fils d'Israël.