Le Temple n'était
plus. Jérusalem avait été vaincue. Rome avait affirmé
son pouvoir et écrasé la " grande révolte " des
Juifs. Aura-t-elle désormais la paix ?
Pas si sûr que cela…
Un antisémitisme
virulent continuait de souffler dans l'Empire Romain, entretenu par les admirateurs
de la culture grecque qui, non contents de jouir seuls de la tranquillité,
semblaient vouloir absolument jeter du sel sur les blessures des Juifs.
(Ce même acharnement
à massacrer à outrance sera manifesté plus tard par d'autres
ennemis des Juifs qui, après avoir exterminé des communautés
entières, et n'ayant plus de victimes à assassiner, se tourneront
vers la profanation de cimetières juifs et vers la mutilation de cadavres.)
Le niveau d'hostilité
et de haine envers les Juifs s'est intensifié à travers l'Empire
Romain jusqu'à devenir insoutenable.
En réponse, les Juifs
se sont à nouveau révoltés plusieurs fois. Chaque fois,
des milliers d'hommes et de femmes ont été tués. En conséquence,
le Romain moyen s'est mis à voir en chaque Juif un individu hostile à
Rome. Les Juifs ont été officiellement désignés
comme détenant un " statut d'ennemi " - dediticii en latin.
Les Juifs ont été officiellement désignés comme détenant un " statut d'ennemi ".
Bien entendu, les Juifs
en Erets Yisrael avaient été écrasés après
la " grande révolte ", et - au moins tout de suite après
la destruction du Temple - ils n'avaient plus la force de lutter. Mais il faut
nous rappeler qu'à cette époque, un nombre considérable
de Juifs vivaient en dehors d'Israël. En fait, les historiens estiment
que l'Empire Romain était peuplé de six à sept millions
de Juifs, dont 60 % au moins habitaient hors d'Erets Yisrael. Une ville comme
Alexandrie, en Egypte - une des villes les plus cosmopolites de cette époque
-avait à elle seule une population juive de près de 250 000 habitants,
et elle se vantait d'avoir la plus grande synagogue du monde.
Ces Juifs de Diaspora (suivis
plus tard par ceux qui se trouvaient en Judée) se lancèrent dans
une nouvelle révolte, encouragés par les défaites infligées
aux Romains en l'an 116 par les Parthes, sous le règne de Trajan.
La réaction romaine,
avec l'aide des antisémites de la région, fut de massacrer les
Juifs. On notera cependant que les Romains, même s'ils se montraient très
barbares et brutaux dans le feu de bataille, ne se sont jamais engagés
dans une politique ayant pour dessein d'exterminer le peuple juif. On n'assistera
à de tels projets qu'au XXème siècle avec Hitler et les
Nazis. (En fait, le mot " génocide " n'est entré dans
le vocabulaire qu'après 1945.)
A cette époque, les
Romains n'auraient eu aucun intérêt à s'engager dans un
massacre total des Juifs. Il aurait fait très mauvais effet auprès
des autres peuples vaincus, qui auraient pu redouter qu'ils seraient les prochains
de la liste et qui auraient pu se révolter. Les Romains, en gens très
pragmatiques, ne voulaient de cela à aucun prix.
HADRIEN
Quand Hadrien prit le pouvoir
en 117, il inaugura - au moins au commencement de son règne - une atmosphère
de tolérance. Il parla même de permettre aux Juifs de reconstruire
le Temple, projet qui se heurta à une opposition virulente de la part
des admirateurs de la culture grecque.
Les raisons pour lesquelles
Hadrien a changé d'attitude et a adopté une politique de totale
hostilité envers les Juifs restent inexpliquées. Cependant, l'historien
Paul Johnson, dans son History of the Jews, le soupçonne
d'être tombé sous l'influence de l'historien romain Tacite, qui
s'était activement employé à répandre les diffamations
grecques contre les Juifs.
L'historien romain Tacite s'était activement employé à répandre les diffamations grecques contre les Juifs.
Tacite et son cercle faisaient
partie d'un groupe d'intellectuels romains qui se considéraient comme
des héritiers de la culture grecque. (Certains nobles romains se prenaient
véritablement pour des descendants de Grecs, quoiqu'il n'ait existé
aucune base historique à ce mythe.) Il était de bon ton dans ce
milieu d'adopter tous les ornements de la culture grecque. La haine des Juifs,
en tant qu'ils représentaient l'antithèse de l'hellénisme,
faisait partie de cet état d'esprit. (On se reportera, pour plus détails
sur l'antagonisme du judaïsme et de l'hellénisme, aux chapitres
27 et suivants.)
Sous une telle influence,
Hadrien décida un virage à 180 degrés. Au lieu de permettre
aux Juifs de reconstruire leur Temple, il élabora un projet visant à
transformer Jérusalem en une ville-Etat païenne sur le modèle
de la polis grecque, avec un sanctuaire consacré à Jupiter sur
le site du Temple juif.
Rien ne pouvait être
pire aux yeux des Juifs qu'utiliser le lieu le plus sacré au monde pour
y installer un temple consacré à un dieu romain. C'était
l'ultime affront.
BAR -
KOCHBA
La réaction des Juifs
à l'injure qui leur était faite a conduit à l'une des seules
grandes révoltes de l'ère romaine. Chim'on Bar Kosiba anima le
soulèvement, qui atteignit son paroxysme en 132.
Pendant longtemps, les historiens
n'ont pas beaucoup écrit sur Chim'on Bar Kosiba. Mais des archéologues
ont récemment découvert certaines de ses lettres dans le Na'hal
Hévèr, près de la Mer Morte. On peut voir ces documents,
particulièrement intéressants, au Musée d'Israël.
Certains d'entre eux portent sur des sujets touchant à l'observance religieuse,
son armée étant composée exclusivement de gens pratiquants.
Mais ils contiennent aussi une somme considérable de faits historiques.
Nous apprenons que les Juifs qui ont participé à la révolte
se cachaient dans des grottes. On a également trouvé de ces grottes,
remplies d'objets ayant appartenu aux soldats de Bar Kosiba. Ces objets - poteries,
chaussures, etc. - sont exposés au Musée d'Israël, et les
grottes, quoique vidées de leur contenu, sont ouvertes aux visiteurs.
Il résulte des lettres
et d'autres données historiques que Bar Kosiba, en 132, a organisé
une puissante guérilla armée et qu'il a réussi à
chasser les Romains de Jérusalem et d'Israël. Il a ainsi établi,
pendant une période très brève il est vrai, un Etat juif
indépendant.
Les succès de Bar
Kosiba ont encouragé beaucoup de gens - et parmi eux Rabbi Akiva, un
des plus sages et des plus saints rabbins en Israël - à croire qu'il
était le Messie. On l'a surnommé " Bar-Kokhba ", ou
" fils de l'étoile ", allusion à un verset dans le livre
des Nombres (24, 17) : " Une étoile viendra de Jacob ", cette
étoile étant censée désigner le Messie.
Finalement, Bar-Kokhba n'a pas été le Messie, et les rabbins ont
écrit plus tard que son vrai nom était Bar-Kosiva, c'est-à-dire
" Fils d'un Mensonge " - soulignant ainsi qu'il était un faux
Messie.
Bar-Kokhba a réussi à unir tout le peuple juif autour de lui.
Pendant quelque temps, cependant,
Bar-Kokhba - qui possédait d'immenses aptitudes comme meneur d'hommes
- a réussi à unir tout le peuple juif derrière lui. On
l'a décrit comme possédant une formidable force physique, au point
qu'il pouvait déraciner un arbre tout en chevauchant sa monture. C'est
là probablement une exagération, mais il était un dirigeant
très charismatique et il possédait indiscutablement un potentiel
messianique, celui que Rabbi Akiva a cru reconnaître en lui.
Les sources juives évaluent les troupes de Bar-Kochba à 100 000
hommes. Même s'il y a eu là surestimation de ses forces, et même
s'il n'en a commandé que la moitié, c'était encore une
armée très nombreuse (égale à quatre légions
romaines).
Les Juifs, quand ils sont
unis, représentent une force redoutable. Ils ont repoussé les
Romains, les ont jetés hors d'Erets Yisrael, ont proclamé leur
indépendance et ont même battu monnaie. Un événement
peu banal dans l'histoire de l'Empire Romain !
LA REPONSE
ROMAINE
Rome ne pouvait pas subir
sans réagir un tel affront. Une telle hardiesse devait être écrasée
et ceux qui en portaient la responsabilité punis - brutalement et sans
la moindre pitié.
Mais les Juifs n'ont pas
été si faciles à vaincre. Hadrien envoya de plus en plus
de troupes en Israël pour combattre les forces de Bar-Kokhba, au point
de consacrer douze légions à cette guerre, presque la moitié
de son armée. Cela représentait trois fois ce que les Romains
avaient mobilisé pour écraser la " grande révolte
", 65 ans plus tôt.
C'est le meilleur général
romain, Julius Severus, qui commandait cette armée énorme. Mais
malgré la puissance dont il disposait, il avait peur d'affronter les
Juifs dans une bataille rangée. Ce fait est à lui seul très
révélateur, parce que les Romains étaient passés
maîtres dans ce genre de combat. Mais ils craignaient les Juifs parce
qu'ils voyaient qu'ils étaient prêts à mourir pour leur
foi - une mentalité que les Romains tenaient pour un suicide pur et simple.
Qu'est-il alors arrivé ?
L'historien romain Dion
Cassius raconte :
"Severus ne
s'aventura pas à attaquer ses adversaires en rase campagne, étant
donné leur nombre et leur désespoir, mais en interceptant
de petits groupes. Grâce au nombre de leurs soldats et de leurs officiers,
et en les privant de nourriture et en les encerclant, il parvint - lentement
mais sûrement, en tout cas sans courir de grands dangers - à
les écraser, à les épuiser et à les exterminer.
Très peu d'entre eux ont survécu. Cinquante de leurs plus
importants avant-postes et 985 de leurs plus célèbres villages
furent rasés de fond en comble, et 580 000 hommes moururent dans
divers raids et batailles, le nombre de ceux qui sont morts de faim, de
maladie et au feu ne pouvant être chiffré."
"C'est ainsi
que presque toute la Judée devint dévastée, un résultat
dont le peuple avait été averti avant la guerre. Car le tombeau
de Salomon, tenu en grande vénération par les Juifs, tomba
de lui-même en morceaux et s'effondra. Et beaucoup de loups et d'hyènes
se mirent à parcourir les villes en hurlant. Beaucoup de Romains,
cependant, ont péri dans cette guerre. C'est pourquoi Hadrien, lorsqu'il
rendit compte au Sénat, n'employa pas l'expression par laquelle commençaient
d'habitude les Empereurs : " Si vous et vos enfants êtes en bonne
santé, c'est bien. Quant à moi et mes légions, nous
sommes en bonne santé ! "
Ce compte-rendu de Dion
Cassius, même si ses évaluations chiffrées sont excessives,
est très intéressant. Il nous indique que la révolte a
été très sanglante et très coûteuse.
De fait, les Romains ont
perdu une légion entière dans une bataille, la 22ème légion
romaine étant tombée dans une embuscade et ayant été
massacrée. A la fin de la révolte, les Romains avaient dû
amener en Israël presque la moitié de leur armée pour écraser
les Juifs.
POURQUOI
LES JUIFS ONT-ILS PERDUS ?
Apparemment, les Juifs n'avaient
pas été loin de gagner la guerre. De fait, ils l'ont gagnée
pendant un certain temps. Pourquoi l'ont-ils perdue en fin de compte ? Les Sages
nous enseignent qu'ils l'ont perdue parce qu'ils étaient trop sûrs
d'eux-mêmes. Après avoir goûté à la victoire,
ils ont adopté une attitude de ko'hi ve'otsem yadi astha eth ha'hayal
hazé : " C'est ma force et la puissance de ma main qui m'ont procuré
ce succès-là " (Deutéronome 8, 17).
Bar-Kokhba est devenu arrogant. Il se voyait triomphant. Il entendait les gens l'appeler le Messie.
Bar-Kokhba aussi est devenu
arrogant. Il se voyait triomphant. Il entendait les gens l'appeler le Messie.
Il est certain, si Rabbi Akiva le prenait pour tel, qu'il avait les potentialités
pour devenir le dirigeant ultime d'Israël. Mais toute cette adulation lui
est montée à la tête, et il commença à perdre des
batailles.
Le judaïsme nous apprend
qu'il appartient à l'homme de faire des efforts, mais que c'est Dieu
qui gagne les guerres. Ce n'est pas la force ni la puissance humaines qui font
obtenir la victoire.
LA CHUTE
DE BETAR
Bar-Kokhba avait établi
sa dernière position dans la ville de Bétar, au sud-ouest de Jérusalem.
On peut la visiter aujourd'hui, bien que l'ancien Bétar n'ait pas fait
l'objet de fouilles archéologiques. Le Talmud (dans Guitine 57a) raconte
ce qu'il est advenu de cette localité :
"Les gens de
Bétar avaient la coutume, lors de la naissance d'un garçon,
de planter un cèdre, et pour une fille un pin. Lorsqu'ils se mariaient
on abattait les deux arbres et on utilisait leurs branches pour confectionner
leur dais nuptial. Un jour, la fille de César vint à passer
et un bras de sa litière cassa. Des Romains abattirent un cèdre
et le lui apportèrent. Les Juifs de Bétar tombèrent
sur eux et les battirent. On rapporta à César que les Juifs
s'étaient révoltés et qu'ils défiaient son autorité…
Ils tuèrent hommes, femmes et enfants juifs jusqu'à faire
couler leur sang dans la Mer Méditerranée… On a enseigné
que, sept ans durant, les païens ont cultivé leurs vignobles
avec le sang d'Israël sans avoir besoin d'aucun autre engrais."
La ville est tombée
le jour le plus triste du calendrier juif - le 9 av de l'année 135 -
date anniversaire de la destruction du premier et du deuxième Temples.
Les Romains, dans leur fureur,
n'ont pas permis que l'on enterre les corps juifs. Ils voulaient qu'ils restent
abandonnés et qu'ils pourrissent sur place. Selon la tradition, les corps
sont restés à découvert pendant des mois, mais ils ne se
sont pas décomposés. Aujourd'hui, dans la bénédiction
après les repas, le Birkath HaMazon, on ajoute une bénédiction
spéciale (ha tov ou-mètiv) afin de remercier Dieu pour
cet acte de pitié à Bétar.
Epuisés, les Romains
en ont eu assez de ces Juifs qui leur avaient causé plus de pertes en
hommes et en ressources qu'aucun autre peuple au cours de l'histoire. Après
avoir écrasé la révolte de Bar-Kokhba, Hadrien décida
que le seul moyen de ne pas s'exposer à un autre soulèvement était
de couper les Juifs de tout lien avec leur terre bien-aimée.
Notre prochain chapitre
: L'exil.
Traduction et adaptation de Jacques KOHN