Dans la Genèse 22,2, D.ieu dit à Abraham : " Va-t-en vers
la terre de Moriah ". Rachi explique que la terre de Moriah, c'est
Jérusalem, comme il ressort des Chroniques II, 3, 1 : " Salomon
commença à construire la maison de D.ieu à Jérusalem
sur le mont Moriah ".
" Ce mont Moriah ", continue Rachi, " est la montagne
où Israël a reçu un enseignement des Prophètes comme
il est dit dans le Psaume ".
LE LIEU
DE LA CRAINTE OU CELUI DE L'ENSEIGNEMENT ?
Rachi, suivi par les Tossafistes indique deux possibilités : soit qu'il s'agisse de Jérusalem, soit du Mont Sinaï.
La leçon de Rachi
sur ce verset est tirée du Talmud (Taanit 16a) . Nous voyons là-bas
que deux Amorayim (sages du Talmud), Rabbi Lévi bar 'Hama
et Rabbi 'Hanina, expliquent différemment le mot " Moriah ".
L'un dit qu'il s'agit d'un endroit où un enseignement a été
donné à Israël, l'autre d'un endroit où la Crainte
a été inspirée aux idolâtres (1).
Quant à l'identification de l'endroit, Rachi, suivi par les Tossafistes
(ses successeurs), dans le Talmud, indiquent deux possibilités: soit
qu'il s'agisse de Jérusalem, soit du Mont Sinaï. Comme le fait remarquer
le Maharcha (Rabbi Chemouel Eliézer Edels, né en Pologne en 1555,
mort à Ostroh, Russie, 1632), cette dernière interprétation,
le Mont Sinaï, est en contradiction avec le verset sus-cité des Chroniques.
En bref, nous nous trouvons devant trois difficultés :
1) Comment est-il possible que Moriah soit le mont Sinaï ?
2) Quelles sont les hypothèses de base des deux Amorayim sus-cités
?
3) Comment se peut-il que Rachi dans la Torah ne soit pas conforme à
Rachi dans le Talmud ?
Nous allons essayer de répondre
à ces questions.
Le début de la phrase
: " Va-t-en vers la terre de Moriah " va peut-être nous
fournir la solution. L'expression " Va-t-en ", " Le'h Le'ha
" se retrouve au début de l'apocope de Le'h Le'ha (Genèse)
et veut dire là-bas : " Accepte de partir pour subir une épreuve
". Le but de l'épreuve est indiqué dans la fin du verset
: c'est afin de prendre possession " du pays que Je te montrerai ".
Dans notre verset nous pouvons aussi dire : " Va-t-en, accepte de subir
une épreuve afin d'atteindre à Moriah, c'est-à-dire soit
dans le but de donner un enseignement à Israël, soit dans le but
de susciter la Crainte aux idolâtres ". Moriah n'est plus un
nom de lieu mais désigne une qualité, l'enseignement ou la Crainte
de D.ieu. Ces qualités peuvent aussi bien se rencontrer à Jérusalem
qu'au Mont Sinaï.
ETRE AMOUREUX
DES MITSVOT
Moriah c'est aussi l'enseignement de D. à Israël parce que la Torah est son premier devoir
On comprend aussi les hypothèses
de base des deux Amorayim. L'un pense à la mission interne d'Israël
: étudier les commandements divins, se pénétrer chaque
jour davantage de la Torah. L'autre pense à la mission externe d'Israël;
à sa mission parmi les gentils, à sa mission pour l'humanité.
Ces deux aspects d'Israël se retrouvent aussi bien à Jérusalem,
quand Israël est libre chez lui, qu'au Mont Sinaï, quand Israël
est exilé dans le désert de la galouth (l'exil).
Une dernière difficulté
subsiste : pourquoi Rachi dans la Torah n'est-il pas conforme à Rachi,
dans le Talmud ?
Dans le Talmud, Rachi s'adresse à l'élite du Judaïsme, à
nos maîtres qui cherchent à pénétrer le sens profond
des choses. Dans la Torah, Rachi s'adresse à tout le peuple et tout particulièrement
à " l'homme moyen ". Son langage ne sera donc pas le même.
C'est la raison pour laquelle dans la Torah, Rachi simplifie les problèmes
et ne les montre que sous un seul aspect. Moriah est à Jérusalem
parce que les buts de l'exil sont trop pénibles à envisager au
milieu des souffrances atroces de cet exil, si ce n'est par les âmes d'élite.
Moriah c'est aussi l'enseignement de D. à Israël parce que la Torah
est son premier devoir. La mission dans le monde, le grand apostolat parmi les
gentils est réservé à quelques individus. Elle n'échoit
en aucune façon à la masse qui n'y contribue que d'une façon
indirecte, en accomplissant toujours mieux les paroles des Sages.
Cette leçon de Rachi
reste entièrement valable de nos jours. C'est en étant nous-même,
amoureux de nos Mitsvot que nous servons l'humanité. C'est en cherchant
à nous perfectionner nous-même en accomplissant toujours mieux
les commandements, en restant toujours plus fermes dans les " quatres coudées
de la Hala'ha " (dans le cadre de la Loi Juive) que nous donnerons son
sens plein au mot " Moriah " et que nous le ferons passer du Mont
Sinaï à Jérusalem.
(1) Moriya peut vouloir
dire " crainte de D.ieu " ou " enseignement de D.ieu "