Quand D.ieu dit à Moïse d’effectuer le premier recensement du peuple d’Israël, il lui ordonne de demander à chaque membre du Peuple d’Israël une pièce d’un demi-sicle afin d’en faire le décompte pour connaitre le nombre des enfants d’Israël.
Un texte du Midrash relate un fait plutôt surprenant. Lorsque D.ieu donna cet ordre à Moïse celui-ci ne « comprit pas » ce qu’il lui demandait, et D.ieu dut lui montrer une pièce d’un demi-sicle en feu afin qu’il comprenne de quoi il s’agissait.
Il est surprenant d’imaginer que Moïse n’aie pas compris ce qu’était une pièce…
Afin d’élucider cette question, il est nécessaire de se rappeler que ces pièces allaient constituer la « trésorerie » du temple afin de pouvoir le faire fonctionner.
Moïse, disent nos maitres, ne comprit pas comment ce qui était le symbole du commerce, du désir de la possession pouvait être ce qui allait servir au culte dans le Temple. Comment peut-on introduire ce qui est le symbole de la matérialité la plus forte, dans un lieu où le spirituel est l’essentiel ?
Que des matériaux précieux soient utilisés cela semble normal ; mais que fait dans le temple une pièce, de l’argent ?
La réponse de D.ieu fuse.
Une pièce en feu !
Le feu à la particularité de pouvoir aussi bien construire que détruire ; il réchauffe l’individu, ou le brûle.
Il rend les aliments comestibles ou alors les réduits en cendres. Il peut aveugler ou alors il permet d’éclairer. Une seule condition : être à la bonne distance. A mesure que l’on s’en approche, sa douce chaleur se transforme imperceptiblement en brûlures.
Il en est de même dans le monde de la matérialité: celle-ci est support d’existence mais peut la détruire si on ne la vit pas à la bonne distance, si on ne prend pas de la distance par rapport à la matière afin qu’elle ne finisse pas par nous absorber.
Oui, répond D.ieu à Moïse. Le symbole de ce qui incarne la matérialité peut être présent si l’on réalise au même moment le danger que celle-ci peut représenter si elle devient finalité, dans une relation de proximité dangereuse avec l’homme.
Mais cette pièce à aussi une particularité. Elle est demi, moitié d’un Shekel.
Pourquoi ne pas demander une pièce d’un Shekel, tout rond ? Cela serait plus simple !
Nos maîtres nous expliquent que l’identité unique que constitue chaque être humain ne peut exister que dans la conscience que sans un autre il n’est rien.
Cette pièce est là pour dire que je suis une personne à part entière que l’on est en train de compter, mais au même moment elle me rappelle la nécessité absolue que l’Autre sois présent dans ma vie. L’être humain n’atteint sa plénitude que dans un mouvement d’altérité qui n’est pas juste un don mais avant tout un état de conscience de l’importance de l’autrui dans son existence.
Le véritable challenge serait donc d’être capable d’être dans une forme de conscience de la dimension unique de nous même, ce qui nous permet de comprendre que nous avons une fonction unique à remplir dans l’univers, à l’image de chacune des pièces d’un immense puzzle qui même si elles sont minuscules, sont néanmoins nécessaires afin d’assurer la réalisation de celui-ci.
En même temps, savoir que cet autre que nous allons rencontrer au quotidien nous est absolument nécessaire de part ce qu’il va nous apporter, de part ce que nous allons lui apporter et qu’il participe donc de la réalisation de notre projet.
Il est intéressant de constater que la fête de Pourim est très proche de la date à laquelle nous lisons ce texte. Rappelons-nous qu’à Pourim, l’importance du bien-être de l’autre du partage, de la joie avec lui, est fondamentale, et que cela constitue la grande majorité des Mitsvot du jour.
Ce texte nous aide à nous repositionner par rapport à la matérialité en nous montrant en quoi elle va être vecteur de la réalisation de nous même, non point tant dans l’utilisation que nous en feront, de manière totalement égoïste mais de par le fait qu’elle nous permet de développer le lien avec cet autre élément incontournable de la réalisation de soi.
Nous vivons dans une époque où souvent, nous ne voyons dans l’autre qu’un gêneur, celui qui pourrait nous empêcher de profiter du monde comme nous le désirons, et nous n’acceptons sa place à nos côtés, que dans la mesure où il peut nous être utile ou tout au moins, ne pas nous déranger. Pour la Torah, c’est dans l’exigence de la présence de l’autre créé par rapport à moi, dans la nécessité de lui donner ne serait ce que la conscience qu’il existe, que se trouve le fondement même d’une société idéale.
Comme après toute fête, il est important non pas juste d’en garder des souvenirs, d’images et vidéos en tous genres, mais bien plus, de ce qu’elle à transformé chez nous, de ce qu’elle nous a appris et de ce qu’elle a été capable de faire exister dans nos comportements au quotidien.