REVIVRE LES EVENEMENTS
Reste à reprendre quelques thèmes et à montrer comment
ils trouvent leur expression dans les rites et coutumes de la fête de
Pourim.
Il y a des fêtes austères et des fêtes joyeuses, des fêtes à tendance intellectuelle et d’autres à tendance plutôt spontanée...
Les fêtes dans le
judaïsme - tout aussi bien que ses autres rites - ont comme but
de promouvoir la vie, d’actualiser des idées et des événements
essentiels à notre existence en tant que peuple, et en tant qu’individus.
Une interprétation purement folklorique de Pourim serait donc opposée
à l’esprit de la Tora qui n’a que faire de festivités
frivoles ou de cérémonies fastueuses.
Comme première considération,
il est intéressant de noter que tous les niveaux de notre personne sont
impliqués dans les festivités de Pourim. On peut diviser notre
être en quatre parties : l’esprit, le psychisme, le corps et les
biens matériels. Or, ce jour de l’année, chacun de ces éléments
trouve son expression.
- L’esprit : par
la lecture de la Meguila.
- Le psychisme : par
la joie.
- Le corps : par les
festins.
- Les biens matériels
: par les cadeaux faits aux amis et aux pauvres.
On observe le même
pluralisme dans l’éventail des fêtes de notre calendrier :
tous les penchants de l’homme y trouvent leur place. Il y a des fêtes
austères et des fêtes joyeuses, des fêtes à tendance
intellectuelle et d’autres à tendance plutôt spontanée...
Mais revenons à Pourim
où cette diversité a une raison d’être particulière.
Le danger qui hantait notre peuple à ce moment n’était pas
moins que sa totale extermination physique et l’anéantissement de
toute réminiscence de sa culture. Or, c’est le contraire qui se
produisit, car le peuple juif se remit à prospérer, tant dans
le domaine temporel que spirituel. Cela explique l’expression multiforme
de cette fête.
LA LECTURE
DE LA MEGUILA
Avant la lecture, on récite trois bénédictions. La première
est celle habituellement prononcée avant l’accomplissement d’un
acte religieux : "Baroukh... achèr qidechanou bemitsvotav vetsivanou
’al miqra Meguila"
La seconde : "Baroukh...
ché’assa nissim la-avothénou bayamim hahèm bazeman
hazè" (Béni... qui a opéré des miracles pour
nos ancêtres en ces jours-là, à cette époque).
Un commentateur explique
que l’expression "à cette époque" signifie qu’à
chaque époque, et donc aussi à la nôtre, ces événements
sont revécus et prennent une actualité nouvelle.
La troisième bénédiction
est celle de chèhè’hèyanou qui exprime notre gratitude
pour le temps que nous vivons maintenant. Ces berakhoth doivent nous rappeler
qu’il ne suffit pas de fêter, mais qu’il faut aussi revivre.
Il est intéressant
de noter que, contrairement aux autres fêtes, les réjouissances
ne commencent pas réellement la veille, mais plutôt dans l’après-midi.
Selon un exégète, cette particularité est due au fait qu’elles
n’ont de sens que si elles expriment un état d’âme spirituel.
Elles doivent donc être précédées par la lecture
- soir et matin - de la Meguila qui confère à cette
fête toute sa signification.
LE ROULEAU
DEPLOYE
Meguila veut dire "rouleau", ce mot venant du verbe galol : enrouler.
Mais Meguila peut aussi
venir de galoh : mettre à découvert. Il est vrai que, dans l’Antiquité,
tous nos livres étaient écrits sous forme de rouleaux ; pourtant,
celui d’Esther est le seul que nous désignons sous la simple appellation
"la Meguila". Peut-être est-ce dû au fait qu’il évoque
la mise à découvert de la main de la Providence cachée
derrière la scène de l’Histoire.
NE PLUS
DISTINGUER ENTRE MARDOCHEE ET AMAN
La même idée est exprimée, d’après certains
exégètes, dans la règle suivante : "Il faut boire
à Pourim jusqu’à ne plus distinguer entre "baroukh Mordekhaï"
et "arour Haman" (entre "béni soit Mardochée"
et "maudit soit Aman").
Vue ainsi, cette règle
ne doit pas être prise à la lettre : elle exprime que l’homme
doit tellement s’imprégner de l’idée de la finalité
de l’histoire et s’en émerveiller qu’il ne voit plus -
sous cet angle - de différence fondamentale entre les deux personnages.
En effet, les deux contribuent au déroulement d’une étape
historique importante.
LA JOIE
ET L'OPTIMISME
Le cachet principal de cette fête est la joie débordante qui en
marque toutes les manifestations. Cela contraste avec les autres festivités
où une certaine sérénité est toujours de rigueur.
Mais la vie juive, et plus
particulièrement son calendrier, exprime plusieurs aspects complémentaires.
Le sérieux et la
rationalité ne sont pas opposés à l’optimisme et à
la joie.
Il n’existe même
pas de contradiction réelle entre la tristesse apparente de Tich’a
beAv et la gaieté de Pourim : on peut être amer en raison de la
déchéance spirituelle du monde et plein de confiance quant à
son avenir.
A Pourim, on s’élève
en quelque sorte au-dessus de son engagement journalier, on voit le monde dans
la perspective de sa finalité et là, tous les personnages, toutes
les époques ont leur rôle positif à jouer.
FESTOYER
A LA MANIERE D'ASSUERUS
Mais on ne peut s’empêcher de faire la comparaison entre les festins
d’Assuérus et les rites de Pourim. Pourtant, le texte de la Meguila
met clairement l’accent sur l’absurdité de telles festivités
: un roi qui répudie stupidement son épouse au cours d’un
banquet, qui retire ses décrets auxquels il avait apposé son sceau
et met à mort, sous l’effet de la boisson, son meilleur collaborateur.
Pourim présage un temps où l’on pourra se donner naturellement à la jouissance sans craindre de tomber dans le burlesque et le mesquin
La réponse, estiment
certains commentateurs, réside dans la question elle-même. Un des
thèmes principaux de la Meguila est de faire ressortir les dangers de
la jouissance effrénée. Ce n’est pas sans raison qu’Esther
choisit de se confronter au roi et au premier ministre au cours d’un festin.
Elle compte notamment sur le relâchement de ses convives pour leur imposer
sa volonté.
Nous ne réprouvons
pas la jouissance en tant que telle, mais nous stigmatisons plutôt ses
périls pour ceux qui n’ont pas intériorisé suffisamment
les règles de moralité et de droiture ; et pour ceux-là
le plaisir peut être un piège.
Plus l’homme aura réellement
progressé spirituellement, moins certaines contraintes seront nécessaires.
Pourim présage donc un temps où l’on pourra se donner naturellement
à la jouissance sans craindre de tomber dans le burlesque et le mesquin.
Une fois dans l’année,
une licence quasi totale est donnée au Juif, et à lui de juger
s’il peut ou non se permettre d’accomplir à la lettre le fameux
précepte selon lequel on devrait perdre tout contrôle de soi.
Chose curieuse : le peuple
juif, d’ordinaire si attentif à la lettre de la loi, a compris ici
qu’il est possible de l’accomplir d’une manière plus symbolique
(voir Choul’hane ’Aroukh). Nous avons des réticences, semble-t-il,
à festoyer à l’Assuérus.
PARTAGER
SA JOIE AVEC AUTRUI
Les cadeaux que nous offrons aux pauvres et aux amis, il est facile désormais
de les interpréter. Il faut donc apprendre à jouir dignement.
Cela signifie, entre autres, que notre jouissance doit être partagée
par les autres.
C’est d’ailleurs
une coutume juive que d’avoir toujours à sa table - et surtout
aux jours de fête - un nécessiteux.
Une deuxième idée
exprimée par cette règle est celle de l’unité du peuple
juif développée au chapitre précédent.
LA DERNIERE FÊTE
DU CYCLE
Le but final de la Tora n’est pas de former un intellectuel sophistiqué, mais un être sain, simple et droit.
Pessa’h est la première
fête de l’année et Pourim la dernière. Un contraste
frappant les oppose. A Pessa’h, on insiste énormément sur
le côté intellectuel de la vie juive, et Pourim semble mettre le
poids plutôt sur le côté spontané. A Pessa’h,
il importe qu’une discussion s’engage entre le père et le fils,
le maître et l’élève, et à Pourim, il importe
d’être joyeux, naturel et sans problèmes.
On peut expliquer ce contraste
de la manière suivante. Chaque année, l’homme doit acquérir
une conscience plus élevée des vérités fondamentales
de l’existence : cela se passe à Pessa’h. Ensuite, tout au
long de l’année, il doit essayer de donner une expression existentielle
aux réflexions qu’il a conçues. Jusqu’à ce qu’à
Pourim, avec peu d’explications et de discours, il se sente heureux d’être
juif et donne libre cours à son enthousiasme.
Le but final de la Tora
n’est pas de former un intellectuel sophistiqué, mais un être
sain, simple et droit.
Au temps d’Aman, le
judaïsme et les Juifs furent remis en question en bloc : tout devait disparaître.
Pourim, par réaction,
représente cette prise de conscience totale du fait juif. C’est
l’exaltation de cette sainteté incarnée dans notre peuple
et que personne n’effacera jamais.
LA FÊTE
ETERNELLE
Nos Sages enseignent que toutes les fêtes seront abolies après
la venue du Messie, excepté Pourim.
Toutes les fêtes,
en effet, ont trait à la sortie d’Egypte, insistant sur le chemin
qu’il reste à parcourir vers le progrès. Ce sont des étapes
qui seront un jour dépassées par les temps messianiques.
Pourim, en revanche, exprime
la richesse spirituelle et existentielle déjà acquise. Cette fête
ne sera jamais déphasée, car elle aura toujours un sens nouveau.
"Ces jours de Pourim
ne disparaîtront pas du sein des Juifs et leur souvenir ne quittera pas
leurs descendants".