Le Juif apprécie certes
la liberté physique, mais il sait aussi fêter d’autres événements
d’une manière exaltante.
Les victoires physiques de l’Antiquité ont perdu leur actualité,
mais les acquisitions morales persistent jusqu’à nos jours ; c’est la
raison pour laquelle ces commémorations ont une si grande place dans
notre calendrier (Roch Hachana 18b).
Pourim et ’Hanouka, les deux fêtes post-bibliques, furent notamment instituées
à une époque de semi-diaspora.
Elles lèvent un moment le voile épais de la captivité et
montrent le sens profond de la liberté de notre peuple.
A Pourim, on raille l’arrogance et les complots d’Aman.
A ’Hanouka, chacun allume la Menora du Sanctuaire dans son foyer : le Temple
qui est en nous n’a jamais été réellement détruit.
Notons le rôle prépondérant de la Femme dans ces événements.
Esther, créature douce mais opiniâtre,
est celle qui a su arracher l’accord du roi pour tous les décrets favorisants
les Juifs.
’Hanna, à l’époque de ’Hanouka , est le symbole du martyre juif,
refusant, au prix d’ultimes sacrifices, d’abandonner sa foi : elle encourage
ses sept fils à choisir la mort plutôt que de plier le genou devant
le dieu grec.
Judith choisit le combat : elle décapite le général qui
s’était cru en droit de disposer du corps de ses vaincus.
La coutume veut d’ailleurs que les femmes, particulièrement, s’arrêtent
de travailler pendant que brûlent les lumières de ’Hanouka.
Déjà en Egypte, c’est, selon les Sages, “grâce aux femmes
justes que nos pères furent libérés”.
Du sein de l’oppression et du labeur harassant, elles avaient su maîtriser
un esprit de gaieté et une vie familiale. Feignant une coquetterie juvénile,
elles maintenaient chez leur mari une certaine joie de vivre.
Leurs miroirs nommés “Miroirs des soldates” furent acceptés au
Sanctuaire édifié après la sortie de l’esclavage.
Chifra et Poua, les deux sages-femmes à qui Pharaon avait donné
l’ordre de tuer les mâles juifs à leur naissance, s’excusèrent
poliment : chaque fois qu’elles arrivaient, c’était trop tard, les femmes
avaient accouché d’elles-mêmes... (Exode chap. 1, vers. 18-19)
Tous ces faits semblent énoncer une constante. Le Pharaon, ou quel que
soit l’oppresseur, croit mater le peuple juif en luttant contre les hommes,
et espère la collaboration des femmes. Or, ce sont elles qui montrent
une résolution et une fierté particulières, restant fermes
devant les injonctions et les humiliations de l’ennemi. L’acte de résistance
ne se limite pourtant pas à certains gestes. S’agissant de s’opposer
à une domination perpétuelle et souvent invisible, l’oppressé
devra lui aussi adopter une attitude constante qui lui permette de tenir tête.
Le mot “victoire”, en français, signifie une situation précise
où l’on a eu raison de l’adversaire. Dans la Bible, netsa’h est un attribut
: cela désigne un rayonnement de puissance qui émane en permanence
de la personnalité.
Selon la Qabala, ce rayonnement a d’ailleurs deux aspects - Netsa’h et Hod :
l’un étant une puissance qui impose, l’autre une magnificence qui capte,
qui convainc.
Ainsi, sans qu’il y ait conflit, même dans la frater-nité, les
relations se font donc par des affrontements, des entrelacements et des symbioses
de ces émanations.
Dans une situation de vainqueurs et de vaincus, cet affrontement permanent est
l’arme essentielle de la domination et décide définitivement l’issue
de la situation.
Il n’est pas impossible que le peuple dominé ait une influence importante
sur la puissance qui l’envahit. Mais le plus souvent, c’est l’inverse qui se
produit : le vaincu est tellement marqué par les manifestations de grandeur
du conquérant qu’il en intériorise l’image de marque et la fait
sienne.
L’auréole dont le vainqueur s’entoure, son omniprésence glorieuse
fera que dans son inconscient, le vaincu voudra s’identifier à lui, mériter
au moins sa bienveillante condescendance.
Ainsi, même après avoir éventuellement secoué le
joug physique de l’oppresseur, il restera imperceptiblement sous son influence.
Un exemple simple est celui des peuples anciennement colonisés : tout
en fulminant contre l’impéria-lisme européen, ils continuent à
abandonner leurs traditions ancestrales pour ressembler le plus possible à
cette merveilleuse civilisation qu’est la nôtre.
Un exemple plus pénible est celui de beaucoup d’entre nous qui, tout
en proclamant leur “fierté d’être juifs”, le sont exclusivement
sous des aspects non-juifs.
C’est Marx ou Freud que l’on admire, et non Rachi. On est fier du doctorat de
son fils ; on est plutôt mal à l’aise s’il se couvre la tête
ou refuse de travailler chabbath. C’est que, humilié profondément
dans son judaïsme, on voudrait être à son tour le grand seigneur
qu’est celui qui nous a rabaissé.
Tout cela en vertu du schéma que nous avons donné, car l’épithète
de “glorieux”, le vainqueur ne le reçoit que de celui qu’il a vaincu.
Détenant la suprématie des armes et pouvant s’offrir des parades
coûteuses, il parvient à se faire admettre même par ceux
qui le jalousent et le haïssent par incarnation de Netsa’h et de Hod.
A première vue, cette relation est irréversible : c’est en effet
le dominateur seul qui a la possibilité d’exprimer sa puissance et son
faste. C’est à cette contradiction que le peuple juif a trouvé
une solution unique. Approfondissant le sens de Netsa’h et de Hod, il a découvert
qu’ils ne sont pas liés à une suprématie physique. Il a
vu que non seulement l’esprit est une réalité imposante, mais
qu’il donne lieu à un déploiement de puissance et de magnificence.
Puissance non pas à rabaisser l’autre, mais à dominer tous les
problèmes avec un enseignement donnant sens et profondeur à la
vie. Beauté exaltante d’une existence en harmonie avec D’eu et les hommes.
Pourim et ’Hanouka, les deux fêtes non chômées dont l’essentiel
des manifestations est d’ordre spirituel, correspondent selon les cabalistes
aux attitudes de Netsa’h et de Hod.
’Hanouka, qui rappelle la victoire contre l’empire grec, représente une
nouvelle conception de la magnificence. L’art grec, cette culture si envahissante
par sa beauté et sa majesté, ce Hod qui avait conquis le monde
entier, n’a pas pu avoir raison du sens profond d’harmonie qu’avait acquis le
peuple juif.
Lorsque nous allumons nos menoroth, que nous récitons les psaumes et
chantons les louanges qui accompagnent cet acte, nous montrons que l’on peut
être émerveillé, puissamment heureux et fier de cet esprit
qu’évoquent les petites lumières de ’Hanouka.
Nous fêtons certes la victoire militaire contre l’ennemi, mais surtout
cette gloire intérieure que le Juif a apprise et qui le rend imperméable
à toute domination.
Les femmes, plus habituées à vivre les grands événements
d’une manière intime, ont peut-être mieux intériorisé
le sens de la phrase que symbolisait la Menora de Zacharie (chap. 4, vers. 6)
: “Ni par la puissance, ni par la force mais bien par Mon esprit, dit l’Eternel
Tsevaqoth...”