Pour faire le contrepoids à
Aman, deux grandes personnalités vont surgir : Mardochée et Esther.
Il est clair qu’il y en avait d’autres à cette époque.
Pourtant, ce sont eux deux qui, dans le récit de la Meguila, représentent
la force morale du peuple juif face au danger. Par leur comportement, ils sont
une réplique vivante à toutes les critiques infamantes d’Amalec.
Par leur opposition tenace, ils vont tenir tête aux ruses et aux rages
d’Aman.
MARDOCHEE LE JUIF
Son attachement à la cause juive ne l’empêchait nullement d’être loyal envers la couronne.
Mardochée est appelé
à plusieurs reprises "Mardochée le Juif" ; il semble
bien que c’est ainsi qu’on le nommait en général.
Certains commentaires expliquent
que la société lui avait attribué ce nom à cause
de son attachement ostentatoire à son peuple et à sa culture.
Nos Sages disent que Mardochée
avait été profondément choqué par la faiblesse des
Juifs lorsque ceux-ci s’étaient laissés entraîner à
participer au banquet d’Assuérus. Il semble qu’à ce
moment, il avait fait le vœu de manifester fièrement son identité
juive afin d’inciter ses frères à suivre son exemple.
Le Juif Mardochée
qui est assis à la porte du roi (chap. 6, vers. 10)
Pourtant, un autre titre lui échut : celui de gardien du palais. On peut
déduire du texte que pendant des années, Mardochée avait
accès à la cour royale et qu’il y rendait des services appréciables.
N’oublions pas qu’il a sauvé la vie du roi. Ce bienfait avait
été oublié - en raison peut-être de la malveillance
de certains courtisans - et il ne revint miraculeusement à la surface
que lorsque Aman voulut le mettre à mort pour avoir refusé d’obéir
à l’ordre royal.
Son attachement à
la cause juive ne l’empêchait nullement d’être loyal envers
la couronne.
Cela a toujours été
un principe fondamental de notre morale. Dès les premiers jours de la
captivité, les prophètes avaient enjoint à leurs frères
d’être de bons citoyens dans leur pays d’exil (Jérémie
chap. 29, vers. 7). Et, à chaque génération et en tout
lieu, les Juifs ont rendu et continuent de rendre de grands services aux nations
au sein desquelles ils se trouvent disséminés.
Mardochée ne s’agenouillera
ni ne se prosternera
A chaque génération il y aura un Mardochée qui défendra avec fierté le judaïsme et refusera de capituler devant la pression idéologique du monde.
"Tous les serviteurs
du roi admis à la cour royale s’agenouillaient et se prosternaient
devant Aman, car tel était l’ordre émanant du roi, en son
honneur ; mais Mardochée ne s’agenouillera ni ne se prosternera"
(Esther chap. 3, vers. 2).
La loyauté du Juif
a des limites ; là où la société exige de lui une
soumission idéologique, il est de son devoir de refuser catégoriquement.
Il est prêt à coopérer avec la société, mais
pas à s’y fondre.
Nos Sages expliquent que
le roi exigeait non seulement que l’on respecte Aman, mais aussi que l’on
fasse de lui un sujet de culte. La désobéissance de Mardochée
était donc d’ordre religieux et non pas d’ordre civique.
Dans le verset susmentionné,
on remarquera que la fin de la phrase est au futur ("mais Mardochée
ne s’agenouillera pas") alors que le commencement est au passé.
Selon un commentateur, c’était là une déclaration
de Mardochée : jamais il ne se soumettrait à un ordre pareil.
Selon un autre exégète, c’est un effet de style de l’auteur
de la Meguila, qui semble dire : jamais Mardochée et ses semblables ne
se plieront. A chaque génération il y aura un Mardochée
qui défendra avec fierté le judaïsme et refusera de capituler
devant la pression idéologique du monde.
Les provocations de Mardochée
Pourtant, ce qui ressort du texte de la Meguila et étonne le lecteur,
c’est que Mardochée n’essayait nullement d’éviter
le conflit avec Aman. Bien au contraire, on dirait même qu’il essayait
de le provoquer. Nous savons que cette attitude courrouça Aman au point
de le déterminer à faire disparaître le peuple juif. Nous
pouvons nous demander par conséquent si Mardochée n’a pas
agi contre l’esprit du judaïsme qui compte le respect de la vie humaine
parmi ses plus grandes valeurs.
Nous ne pouvons examiner
ici en détail les opinions émises à propos de cette grande
question morale que nous venons de soulever. Nous nous limiterons à dégager
l’idée suivante : bien que la prudence soit de rigueur dans la plupart
des cas, on ne peut pas l’accepter comme règle unique. Il appartient
aux grands hommes de prendre des décisions qui, quoique comportant un
danger immédiat, seront salutaires à long terme.
Dans ce cas précis,
Mardochée savait qu’en définitive, la survie du peuple juif
ne dépendait pas de telle ou telle conjoncture, mais bien de la santé
morale de la nation. Son souci majeur était de raffermir la spiritualité
des Juifs. Cela étant acquis, les modalités pratiques pour assurer
leur existence physique seraient bien trouvées. Sachant donc que son
peuple était dans un état de relâchement, il considérait
que son premier devoir était de lui rendre sa vigueur spirituelle.
C’était donc
par amour pour son peuple qu’il affrontait Aman. Il voulait ainsi le forcer
à une prise de conscience de ses propres valeurs.
Le défenseur de
son peuple
Une qualité marquante de Mardochée est le fait de vivre de toutes
les fibres de son être le péril qui hantait sa nation.
Lorsqu’il apprit le
décret d’Aman, il déchira ses vêtements et ameuta la
population juive. Il somma sa nièce de plaider auprès du roi,
au risque de sa vie.
Un commentaire déduit
du texte que, même après les honneurs qui lui échurent à
l’occasion de sa chevauchée triomphale à travers la ville,
après la mise à mort d’Aman et sa nomination comme premier
vizir, Mardochée refusa de quitter ses vêtements de deuil. Ce ne
fut qu’après que les nouveaux décrets furent diffusés
et que le danger eut été définitivement écarté
que Mardochée endossa les vêtements royaux qui lui avaient été
offerts et qu’il entra en fonction (chap. 8, vers. 15).
C’est bien à
juste titre qu’il est appelé à la fin de la Meguila "le
défenseur de son peuple".
Le représentant
de son peuple
Nous pouvons résumer les paragraphes précédents en affirmant
que Mardochée représente la vitalité de son peuple et en
est le contrepoids au danger d’assimilation, de dépérissement
et d’extermination.
Dans sa génération,
Mardochée fut de ceux qui relevèrent leur peuple de son marasme.
Par son exemple, il invitait ses frères à une plus grande prise
de conscience de leur idéal tout en les incitant à la loyauté
envers leur pays de résidence.
MARDOCHEE
FACE A AMAN
Lorsque deux ennemis sont en conflit, il ne s’agit pas uniquement d’un affrontement d’idéologies et de forces physiques, mais aussi et peut-être surtout d’un affrontement de personnalités
Nous avons déjà
laissé entendre que lorsque deux ennemis sont en conflit, il ne s’agit
pas uniquement d’un affrontement d’idéologies et de forces
physiques, mais aussi et peut-être surtout d’un affrontement de personnalités.
Ce que nous entendons par
là est que même un spectateur impartial ne penchant ni pour une
idéologie ni pour l’autre devrait admettre qu’en grande partie,
c’est bien à la personnalité d’un des antagonistes que
revient la victoire.
Mesurer une personnalité
sans faire appel à un jugement de valeur, donc en ne se fondant que sur
des critères neutres, n’est pas chose facile. Nous proposons ce
qui suit : objectivement, une forte personnalité est une personnalité
qui a une vie intérieure intense et, par suite, une volonté ferme.
On peut mesurer la force d’une volonté par son opiniâtreté.
Un homme décidé ne se laissera dérouter ni par le succès
ni par la déconvenue ; il restera lucide jusqu’au bout.
Comparons maintenant Mardochée
et Aman, dans des situations analogues. Voyons d’abord comment chacun d’eux
réagit après avoir subi des revers.
Lorsque Aman se voit inopinément
contraint de faire parader Mardochée à cheval à travers
la ville, on voit qu’il en est totalement brisé ; cela à
un tel point que le soir, se trouvant face au couple royal, il est incapable
de prononcer un mot en sa faveur, lorsque Esther l’accuse d’avoir
tramé un complot contre son peuple. Pourtant, le roi avait participé
à ce complot et, du reste, c’était lui qui détenait
les rênes du pouvoir. Normalement, il aurait dû trouver un moyen
pour contre-attaquer. L’infortune l’avait donc complètement
désarmé. En revanche, lorsque Mardochée apprend le danger
qui plane sur lui et son peuple, que fait-il ? Il se met directement à
l’action ; une action virulente et tenace. Comme nous l’avons démontré
auparavant, il ne se démobilise que lorsqu’il a atteint le but final
: le salut de son peuple.
Observons-les maintenant
dans une situation de succès.
Aman, comme le texte le
relate, sort du premier festin d’Esther "joyeux et le cœur content".
Il faut entendre par là qu’il était à ce point transporté
de joie qu’il avait perdu le contrôle de ses sentiments. Cela explique
la suite de l’histoire où, croisant Mardochée qui ne bouge
même pas pour lui laisser de la place, il est pris d’une telle fureur
que pour se calmer, il décide de le faire mettre immédiatement
à mort. Il lâche la bride à ses sentiments et agit rapidement.
Voilà précisément, comme nous le savons, ce qui a occasionné
sa perte. D’ailleurs, le fait que, le lendemain, il ait demandé au
roi de pouvoir parader à cheval à travers la ville en tenue royale
montre bien qu’il était en proie à un délire de grandeur
qui frisait le ridicule.
Mardochée, en revanche,
ne semble pas du tout affecté par les honneurs qui lui ont été
décernés, lors de la promenade en ville. Le verset dit laconiquement
: "Et Mardochée retourna à la porte du roi..." comme
si de rien n’était. Nos Sages précisent d’ailleurs que
le texte veut laisser entendre par là qu’il retourna à ses
prières et à son jeûne.
La Meguila fait ressortir
très subtilement la différence entre les deux personnages (chap.
6, vers. 12) : "Et Mardochée retourna à la porte du roi (sans
plus) et Aman gagna précipitamment sa maison, accablé et la tête
enveloppée."
Mardochée
déchire ses vêtements et Esther revêt ses habits royaux
Un curieux dialogue entre Mardochée et Esther peut nous renseigner sur
le caractère de ces deux personnages. Mardochée déchire
ses vêtements, se couvre d’un cilice et ameute la population juive.
Même devant la porte du palais royal, il garde cette tenue et fait dire
à la reine de plaider pour son peuple (alors qu’il y a encore douze
mois jusqu’à la date fixée par Aman). Esther envoie des vêtements
à Mardochée qui refuse de se changer. Elle lui fait dire qu’elle
risque la mort en se présentant inopinément devant le roi (donc
qu’il était préférable d’attendre une occasion
propice), mais Mardochée lui répond violemment qu’elle ne
doit pas s’imaginer qu’elle échappera, en tant que reine, au
sort de son peuple, et il lui enjoint de se rendre immédiatement chez
le roi.
Que veut enseigner la Meguila
par ce dialogue ? Veut-elle dire qu’Esther n’était pas prête
d’elle-même à se sacrifier pour son peuple ? Cela semble peu
probable ; dans la suite de la trame, nous voyons notamment que c’est elle
qui prend toutes les décisions, et ce avec un courage qui force l’admiration.
Un détail curieux est le fait qu’Esther fit porter des habits à
Mardochée (ne comprenait-elle vraiment pas son attitude ?) et que celui-ci
refusa. Quelle signification faut-il attribuer à ce dialogue muet ?
Certaines situations exigent une mise en branle totale de l’homme, d’autres nécessitent au contraire une imperturbabilité parfaite.
Certains commentaires donnent
l’explication suivante. Face à une situation grave, il y a deux
réactions possibles : soit on se sent totalement concerné et on
met toute sa personnalité en jeu dans la lutte, soit, au contraire, on
s’élève au-dessus de la situation et on essaie de ne pas
se laisser perturber par les événements, si sérieux soient-ils.
Si on opte pour la première attitude, on risque le tout pour arriver
à ses fins et l’on attaque l’adversaire de front ; si on opte,
au contraire, pour la seconde, on déroute l’ennemi par son calme
et on prend des mesures discrètes pour le vaincre. Certaines situations
exigent une mise en branle totale de l’homme, d’autres nécessitent
au contraire une imperturbabilité parfaite (par exemple dans le cas où
l’ennemi est physiquement beaucoup plus fort). Discuter longuement de cette
question nous éloignerait trop de notre sujet. Il y a également
des situations où les deux attitudes sont possibles, et où le
choix dépend également du tempérament de la personne en
cause.
Mardochée et Esther
étaient prêts à tout mettre en œuvre pour détourner
le projet d’Aman ; leur désaccord portait sur la méthode
à suivre. Le Juif Mardochée a déchiré ses vêtements
: il voulait se mettre dans un état d’esprit alerté ôtant
toute barrière qui séparait sa personne de la conscience du danger.
Il attendait de sa nièce qu’elle aille protester sans ambages auprès
du roi. Esther, en revanche, comptait se "vêtir royalement"
(chap. 5, vers. 1), elle voulait se montrer détachée et maîtresse
d’elle-même ; c’est de cette façon qu’elle espérait
influencer le souverain. C’est pourtant l’option de Mardochée
qui l’emporta.
Par la suite, nous verrons
que toute l’action d’Esther garda son cachet qui est la discrétion
et la dignité royale.
ESTHER,
LA VOILEE
Nos Sages accordent un sens symbolique au nom d’Esther (Meguila 13) : il vient de sétèr, caché
Un trait marquant d’Esther
est la discrétion et la retenue. Cela ressort surtout du fait qu’elle
a résidé pendant plus de cinq ans dans le palais royal sans dévoiler
son identité. C’est du reste grâce à cette qualité
qu’elle put attendre le moment propice pour faire connaître sa requête
au roi, ce qui sauva son peuple. Sa sobriété apparaît également
dans le fait que, contrairement aux autres jeunes filles, elle ne voulut se
parer d’aucun atout en présence du roi.
Et, comble du paradoxe,
ce roi qui, comme nous le voyons au début du livre, cherche le grand
faste, poussant la grossièreté jusqu’à vouloir faire
de sa femme une reine de beauté, s’éprend de cette jeune
fille dont la qualité prédominante est la réserve.
C’est bien la preuve
qu’on se lasse plutôt vite du plaisir exubérant et que les
relations humaines profondes se trouvent chez les gens stables et sobres. Du
reste, on voit qu’Esther influença par sa personnalité toute
la marche des choses dans le palais ; lors du banquet offert en l’honneur
de leur alliance il n’est plus question de grand faste. Le texte relate
seulement qu’à cette occasion, il y eut allégement d’impôts
et le roi distribua des cadeaux (chap. 2, vers. 18).
Nos Sages accordent d’ailleurs
un sens symbolique au nom d’Esther (Meguila 13) : il vient de sétèr,
caché.
Esther ou Hadassa
"Tant par sa forme que par sa couleur, Hadas, le myrte, est le symbole
de l’harmonie."
La Meguila donne un autre
nom à Esther : Hadassa. Cette appellation désignant également
le myrte, nos Sages lui rattachent une signification symbolique. Le myrte -
qui dans plusieurs traditions antiques fait office de symbole et d’emblème
- possède un parfum doux. Il est de couleur verte et sa taille,
moyenne, apparaît harmonieuse au regard humain.
L’odorat étant
considéré comme le sens le plus raffiné de l’homme
(il est le seul où le vice et la grossièreté prennent peu
de place), le myrte est symbole de la finesse humaine. La couleur verte est
celle de la nature ; elle est la plus reposante et la plus harmonieuse. D’ailleurs,
elle est la couleur centrale du spectre solaire. Donc, tant par sa forme que
par sa couleur, cette plante est le symbole de l’harmonie.
Cela rappelle le verset
(chap. 2, vers. 15) disant qu’Esther trouvait grâce auprès
de tous ceux qui la voyaient. Nos Sages précisent qu’Esther ne révélant
pas son identité, chacun avait le sentiment qu’elle faisait partie
de son peuple.
Esther était réservée
et discrète ; cela nous montre qu’elle avait une vie intérieure
intense. L’exubérance est en effet le signe d’un manque de
sentiments vécus et réels : "Les tonneaux vides sonnent creux."
D’autre part, elle n’avait aucun trait particulier qui la séparait
des autres. Elle avait une personnalité qui la rendait accessible à
toutes les mentalités et à toutes les races. Sa judaïcité,
tout en la rendant différente, lui donnait également la possibilité
de communiquer avec tout le monde.
Esther, la représentante
de son peuple
Esther, par sa personne et son comportement, est aussi une riposte aux attaques
contre le peuple juif.
Isolée pendant des
années de ses coreligionnaires, elle leur reste pourtant profondément
attachée. Nos Sages nous rappellent qu’elle observait la Tora en
cachette.
Loin d’être ce
type maudit pour lequel Aman voulait faire passer les Juifs, la voilà
bien au contraire choisie parmi toutes les concurrentes pour être à
la tête du royaume.
Drôle de situation
pour le roi ! Voulant anéantir un peuple à cause de sa déchéance
morale et son manque de civisme, il découvre que sa femme en fait partie
ainsi que la personne qui lui a sauvé la vie. Des situations semblables
se sont produites maintes fois dans notre histoire.
On pourrait dire que Mardochée
et Esther représentent deux attitudes également valables pour
le Juif. Mardochée représente celui qui veut sans détours
afficher fièrement et ouvertement son identité. Esther représente
une manière d’être plus discrète. Tous deux sont fermement
attachés à la tradition, sans pour autant se couper du monde extérieur.
Esther face à
Aman
Comme nous l’avons fait pour Mardochée, nous pouvons comparer la
personnalité d’Esther à celle d’Aman.
Nous sommes éblouis
par le calme et la pondération de son action. Elle voile son énergie
et sa ténacité par l’impassibilité et la simplicité.
Face à sa majesté royale, Aman fait piteuse mine.
LES MOTIFS
D'ESTHER
Ce qui frappe dans le plan d’Esther est sa décision d’inviter
le roi et Aman ensemble à un festin.
Nous pouvons aisément
comprendre qu’Esther ait voulu présenter sa requête au cours
d’un banquet : elle avait alors plus de chances de trouver le roi bien
disposé à son égard. Néanmoins, cela n’explique
pas pourquoi elle tenait à ce qu’Aman assiste à ce repas
intime. D’ailleurs, si son idée se limitait à ce que nous
venons d’écrire, quel serait le sens du premier festin au cours
duquel elle ne formula aucune demande ?
Nos Sages ont trouvé
plusieurs raisons à cette tactique. Le Talmud (Meguila 15) rapporte à
ce sujet l’opinion de nombreux érudits. A la fin de la discussion,
l’un d’entre eux eut une révélation selon laquelle Esther
avait en effet agi pour tous les motifs qu’ils avaient évoqués.
Les voici :
Elle voulait lui
tendre un piège ; comme le verset (Psaumes chap. 69, vers. 23) l’affirme
: "Leur table leur sera un piège". C’est-à-dire
qu’elle voulait le mettre dans un état d’esprit d’allégresse
afin de démobiliser ses forces et le rendre plus vulnérable. Ce
stratagème lui réussit d’ailleurs fort bien : en sortant
de ce festin, Aman fit une grande bêtise...
C’était
pour accomplir le verset (Proverbes chap. 16, vers. 18) : "L’orgueil
précède la ruine, l’arrogance est le signe avant-coureur
de la chute." Ce motif ressemble donc au premier.
Elle voulait réaliser
ce qui est écrit (Ib. chap. 25, vers. 21-22) : "Si ton ennemi a
faim, donne-lui à manger ; s’il a soif, donne-lui à boire..."
Une bonne méthode pour éliminer un ennemi est, en effet, de se
montrer bon envers lui. Malgré lui, il ne sera plus capable d’une
telle animosité.
Afin de pouvoir l’attaquer
directement en présence du roi.
Pour qu’il ne
trouve pas le temps de se révolter contre le souverain.
Ainsi, jusqu’à
la dernière minute, on ne se douterait pas que la reine était
juive et on ne tramerait rien contre elle.
Afin de faire croire
aux Juifs qu’elle était du côté d’Aman, de façon
qu’ils ne se fient pas à elle, redoublent de précautions
et multiplient leurs prières.
Pour vivre de tout
son être l’absurdité et le scandale de la situation (Aman,
le criminel, reçoit les plus grands honneurs !) et ainsi pouvoir agir
avec plus de conviction et implorer Dieu avec plus de véhémence.
Faire croire au roi
qu’elle entretenait des relations avec Aman et, au risque de sa propre
personne, le faire éliminer.
Pour susciter la
jalousie du roi et des courtisans contre Aman.
Sachant qu’Assuérus
était versatile, elle voulait qu’il décide rapidement sans
qu’il ait la possibilité de se rétracter.
L’appel à
la Providence
Reste à savoir pourquoi elle ne présenta pas sa requête
lors du premier festin. Nous ne citerons qu’un commentaire à ce
sujet : malgré tous ses calculs et préparatifs, Esther savait
qu’en fin de compte, elle ne réussirait que si elle avait "de
la chance", ou plus exactement si Dieu lui venait en aide. Aussi cherchait-elle
un indice, un signe par lequel elle verrait que ses espérances se réaliseraient.
Or, elle ne voyait rien.
C’est pour cela qu’elle
décida d’ajourner sa requête.
Nous savons du reste que
ce jour d’attente fut marqué par plusieurs événements
indépendants de la volonté de quiconque.