Vachti s’oppose sans ambages à Assuérus : elle est éliminée.
Zérech, la femme d’Aman, est aux côtés de son mari : elle
en exacerbe même les sentiments. Lorsque celui-ci lui confie toute la
haine et la colère qu’il éprouve à l’encontre de Mardochée,
elle l’incite à lui ériger immédiatement une potence. Ensuite,
lorsque son mari revient brisé après sa malencontreuse tournée
en ville, elle lui présage sa ruine. Elle ne pondère aucunement
son conjoint et le hâte vers sa perte.
Esther est présentée comme une orpheline dont le seul soutien
est le sage Mardochée auquel elle voue une admiration et une fidélité
inconditionnelles. Le texte précise que, reine, elle continue à
obéir à son tuteur comme auparavant.
Pourtant, elle ne cache pas son désaccord avec la conduite ostentatoire
de Mardochée, critique même - selon le Midrach - ses querelles
avec Aman et, plus tard, les rôles s’inversent : c’est elle qui prend
les décisions et c’est Mardochée qui les exécute.
Comment définir la place de la femme dans le texte ?
Dans le monde actuel, il nous semble que trois tendances se dessinent. L’une
exalte le rôle de la femme comme mère, épouse et femme d’intérieur.
L’autre met en relief son côté sexuel : la mode, les feuilletons,
la publicité en font leur affaire. Une troisième enfin renie tout
caractère fondamental aux différences entre elle et l’homme :
elles ne sont qu’un pur accident génital.
Une mauvaise traduction de la Bible fait facilement dire qu’elle considère
la femme comme un être inférieur, car elle provient de la côte
de l’homme. Or Rachi - le commentateur classique - dit “côté” et
non “côte”. L’être humain primitif était donc composé
d’un côté masculin et d’un côté féminin qui
furent séparés par la suite : “Il les a créés mâle
et femelle, les a bénis et a appelé leur nom ‘homme’ au jour de
leur création” (Genèse chap. 5, vers. 2).
Elle est, selon la Bible (toujours suivant son interprétation rabbinique),
“’ézèr kenegdo” : “une aide face à lui” ; une aide qui
lui montre un aspect différent, opposé de lui-même.
Quel est donc l’apport spécifique de la femme ? Nous nous limiterons
à un trait mis en relief par la Meguila : l’originalité. L’homme
est souvent trop accaparé par des réflexions techniques pour disposer
de cette liberté d’esprit, de cette fécondité de l’imagination
qu’elle possède.
Sara, Rébecca, Yaël, Ruth... : toutes ont eu ce flair extraordinaire,
si nécessaire en des occasions difficiles.
Mais malheur si cette imagination est employée pour résoudre tous
les problèmes courants ! La rationalité mâle est essentielle
pour maintenir la vie dans la voie de la vérité, de la justice
et de la maîtrise.
Le principe ’ézèr kenegdo opère ainsi dans les deux sens.
L’homme incarnera la réflexion et la pondération, tout en profitant
des dispositions du côté adverse. La femme assimilera les particularités
masculines (comme ce fut le cas d’Esther) tout en gardant et propageant sa dimension
spécifique.
Dans cette optique, examinons le comportement des trois personnages de la Meguila.
Vachti, dont le conjoint sombre dans la mollesse et le laisser-aller, n’éprouve
pour lui que du mépris. En effet, son royal époux n’apportant
aucun élément constructif à sa vie, pourquoi le respecterait-elle
? Quant à lui, il ne lui reste qu’à masquer sa honte par des actes
de violence. (Dans une société où l’apport spécifique
de l’homme est nul, nous serons féministes à cent pour cent !).
Zérech faillit totalement à son rôle de ’ézèr
kenegdo : elle ajoute à la mesquinerie de son mari des idées excentriques
et cause sa chute finale.
Esther a intériorisé toutes les valeurs de son tuteur et conseiller,
et elle finit par pouvoir - seule - faire face aux hommes les plus puissants
de l’empire.
C’est elle l’héroïne de l’histoire. Aussi la Meguila porte-t-elle son
nom.