Ma grand-mère est l’une des personnes les plus fascinantes que j’ai jamais rencontrées. Mémé, comme nous l’appelons, a combattu dans la résistance française, a dirigé un camp de personnes déplacées dans l’Europe d’après-guerre, a été professeur à l’Université de Columbia et a voyagé partout dans le monde.
Ma Mémé vivait à Paris au moment de l’occupation nazie. Elle oeuvrait avec la résistance française pour faire passer clandestinement les Juifs de la zone occupée en zone libre. Elle avait été une actrice montante dans le Paris d’avant-guerre et venait d’une famille de diplomates nantis. Ma grand-mère, qui était une jeune femme très attirante, était à son aise dans les milieux les plus chics de la société. Elle était "munie de tout l’attirail d’une jeune fille de sa condition". Si, soudain, elle s’était mise à vivre une existence plus discrète, elle aurait pu éveiller les soupçons. Aussi, elle continuait à faire ses achats vestimentaires dans les boutiques les plus chics de Paris, tout en poursuivant ses activités secrètes de résistante juive.
Ne confonds jamais culture et moralité, me disait ma grand-mère. Est-ce que Goering était cultivé ? Bien sûr !
Un jour, ma grand-mère partit d’un pas enthousiaste à la boutique Hermès pour chercher une paire de gants qu’elle avait commandée. À sa grande consternation, toute la rue était bloquée par des véhicules de l’armée allemande. Ma Mémé n’est pas du genre à renoncer. Elle n’allait pas laisser la moitié d’un régiment nazi l’empêcher d’aller chercher ses gants Hermès !
Il se trouvait également qu’elle connaissait Paris comme sa poche, aussi, elle emprunta plusieurs petites ruelles et arriva devant l’entrée de service d’Hermès, réservée aux employés (qu’on appelait chez Hermès « Responsables des Ventes Personnelles »). Elle pénétra dans le magasin et comprit immédiatement pourquoi la rue avait été bloquée : Hermann Goering, le second nazi le plus puissant, commandant de la Luftwaffe, y faisait des achats. Toute la boutique était remplie d’officiers nazis et de gardes du corps !
Elle fut saisie d’une peur sourde et de répulsion à se retrouver à proximité immédiate de quelqu’un de si intimement impliqué dans le massacre de son peuple. Cependant, elle estima rapidement que ce qu’elle avait de mieux à faire était d’agir comme si tout était normal et de vaquer à ses occupations sans montrer le moindre signe de peur ou de haine. Elle s’avança vers le comptoir et réclama ses gants. Les employées de chez Hermès supposèrent qu’elle était une célébrité ou une personne officielle, faisant partie du groupe de Goering et s’empressèrent de répondre à sa demande.
Au moment de sortir, elle arriva devant un passage étroit du magasin qu’une seule personne à la fois pouvait emprunter. Juste à ce moment-là, Goering se dirigea dans la même direction. Qui allait passer le premier ? (Il leur était tout à fait impossible de se serrer pour passer ensemble, car, comme me l’a dit ma Mémé : "Goering était très gros.") Goering, un gentleman charmant et chaleureux, fit signe à ma grand-mère de passer la première en lui disant gentiment : "Les dames, d’abord". Elle passa devant lui, quitta la boutique et continua à faire sortir des Juifs de la zone de danger, dorénavant, avec une nouvelle paire de gants Hermès.
"Ne confonds jamais culture et moralité, me disait ma grand-mère. Est-ce que Goering était cultivé ? Bien sûr ! Il était d’une lignée aristocratique, un protecteur des arts et un spectateur assidu de l’opéra. Il pleurait sûrement lorsqu’il entendait les magnifiques compositions de Wagner ! Et il laissait certainement toujours passer les dames en premier. Toutefois, avait-il de la morale ? Pas la moindre ! Il était le fonctionnaire le plus élevé dans la hiérarchie nazie qui autorisa par écrit la Solution Finale. Moralité et culture n’ont rien à voir l’une avec l’autre. La pudeur et la moralité proviennent d’une source divine et aucune culture ne peut les remplacer."
Nous pouvons tirer le même enseignement du premier des Dix Commandements : "Je suis l’Éternel, votre D.ieu, qui vous a fait sortir d’Égypte, de la maison d’esclavage." Cette phrase semble redondante : nous savons bien que l’Égypte est la maison d’esclavage ! D.ieu est peut-être en train de nous dire : regardez les Égyptiens, le pinacle de la culture dans le monde. Ils ont des papyrus, des pyramides, une incroyable technique d’embaumement, une grande maîtrise de l’astrologie et des arts, des hiéroglyphes, des connaissances en chirurgie cérébrale et des réalisations dans tous les domaines possibles. Pourtant, l’Égypte est néanmoins la maison d’esclavage, le lieu dans lequel vos enfants mâles furent jetés dans le Nil, vos bébés insérés dans un mur comme des briques pour remplacer celles que les parents ne parvenaient pas à fabriquer en assez grand nombre. D.ieu nous dit que si nous voulons suivre la culture dominante du moment, nous finirons peut-être par être les barbares les plus cultivés au monde.
A Pessa’h, nous célébrons la délivrance du peuple juif d’un endroit de simple culture à un monde de moralité.
Derrière nombre de grandes civilisations, vous trouverez une incroyable barbarie. Les Grecs et les Romains tuaient leurs enfants à coups de massue s’ils naissaient avec une difformité quelconque ou, parfois, simplement parce que c’étaient des filles. Ils poussaient des cris de joie en regardant des milliers de personnes s’entretuer au cours de "jeux" dans les amphithéâtres. Les Allemands qui étaient le peuple le plus cultivé au monde avec ses compositeurs, ses scientifiques, ses poètes et ses érudits, dominaient le monde grâce à leurs accomplissements et pourtant, nous avons vu de quoi ils furent capables lors de la Shoah.
A Pessa’h, nous célébrons la délivrance du peuple juif d’un endroit de simple culture à un monde de moralité. Nos ancêtres laissèrent derrière eux les pyramides, les hiéroglyphes, l’agriculture de pointe et la musique de la culture dominante et se rendirent dans le désert pour apprendre des principes d’éthique relevant d’une humanité authentique et d’une civilisation issues de l’unique véritable source, le Créateur de l’humanité.
A Pessa’h, notre mission est de nous percevoir comme quittant nous-mêmes l’Egypte. Nous devons marcher sur les traces mêmes de nos ancêtres, en tournant le dos à la culture dominante, en refusant de penser qu’elle est automatiquement juste parce qu’elle est justement une "culture" et, à la place, en nous tournant vers le code divin et moral de la Torah. C’est ainsi que nous découvrirons la véritable liberté et que nous délivrerons nos âmes des entraves de la "servitude culturelle".
Traduction et adaptation : Ra'hel Katz