Amalek, l’ennemi par excellence du peuple d’Israël, attaque celui-ci dès la sortie d’Egypte, ne laissant point de répit au peuple qui sort des souffrances de l’exil afin de le déstabiliser, de, comme développe Rachi, casser le mythe d’invincibilité qui se crée autour de lui.
Successeur d’Esaü, il sera celui qui, dans l’Histoire, cherchera par tous les moyens à détruire le peuple juif ; précurseur de tous les démons de l’occident qui trouveront l’expression la plus aboutie avec le nazisme et la Shoah.
Celle-ci qui décimera notre peuple sans réussir à le faire disparaître, sera à l’origine des questionnements sans réponse sur la compréhension du plan divin dans l’histoire.
Notre génération, dont on a brûlé les maîtres, est celle du renouveau spirituel, expression de la réponse la plus cinglante que le peuple du Sinaï donne à tous ses tortionnaires. Elle révèle la capacité qu’a l’humain de poser une question et de vivre sans la réponse et ce, sans utiliser la difficulté du questionnement pour justifier la rupture avec son histoire. La difficulté ne créant point la négation d’un passé mais au contraire posant la question de la responsabilité de ceux qui, héritiers qu’ils ne le veulent ou pas, de l’engagement du Sinaï ; de la raison de leur présence, en vie, dans un univers en devenir.
Faire taire l’écho du Sinaï au nom de la réponse inaccessible est compréhensible pour ceux qui ont vécu dans leur chair cette souffrance, mais non point par ceux qui venant après eux utilisent le traumatisme pour justifier un arrêt de l’Histoire.
Notre génération est celle du renouveau spirituel : la réponse la plus cinglante que le peuple du Sinaï donne à tous ses tortionnaires.
Oui, ces mots sont lourds de sens, mais ne pas les exprimer serait au nom d’une pensée dominante faire taire ce qui reste une réflexion nécessaire à un moment où les problèmes d’identité s‘arrêtent à la recherche d’une coexistence de concepts presque identiques avec des appellations différentes.
Par ailleurs, au delà du renouveau spirituel se dessine les contours d’une démarche peu claire où la dimension du souvenir est posée comme une finalité, et vis-à-vis de laquelle peu sont ceux qui acceptent d’aller jusqu’au bout de la dimension impliquante.
On limite alors le souvenir à la notion du rappel! Or le souvenir qui se dit en Hébreu « Zakhor » est composé des lettres qui créent la racine du verbe « Lehakhriz » qui veut dire publier dans le sens le plus large possible. Le sens du souvenir résidant dans la capacité de transmettre non pas une histoire mais de publier le sens de ce qu’elle à représenté, et surtout de ce qu’elle est sensée nous apprendre.
Les gestes de mémoire, si tant est qu’ils soient louables, n’ont de sens que dans la perspective d’une réflexion sur les événements et surtout sur leur origine. Une des dimensions les plus abjectes de la Shoah à été de construire des murs d’insensibilité à la souffrance de l’autrui, anesthésiant les sentiments face à une douleur qui ne pouvait point être bouleversante car justifiée par une pseudo pensée. A l’inverse absolu de cette philosophie du déni de l’autre, se trouve l’attitude de Moïse qui va tout faire pour garder intacte la sensibilité à la souffrance de l’autre.
La Torah nous relate en effet que dans la bataille qui opposa le peuple d’Israël à Amalek, Moïse alla hors de sa tente, sur un lieu surplombant le champ de bataille et s’asseyant sur une pierre, il commença à prier. Le Rav Wolbe Zatsal dans son ouvrage Alé Chour, pose une question simple. Pourquoi la Torah avait-elle besoin de nous préciser le cadre et la manière dont Moïse était assis au moment de sa prière ? Et de répondre que Moïse voulait se confronter avec la réalité de la souffrance du peuple en guerre, en voyant ce qui se passait sur le champ de bataille. On ne prie pas en effet de la même manière pour un malade dont on connaît l’existence et pour le malade qui est face à nous sur son lit de souffrance. Il voulait aussi s’associer à l’inconfort de leur situation en s’asseyant sur une pierre.
Savoir s’exposer à la souffrance de l’autre afin d’amplifier le sentiment d’empathie à son égard afin que sa problématique ne reste pas juste un simple concept, voila tout un challenge. En demandant à des enfants d’assumer ce rôle, le monde adulte doit savoir s’il est prêt lui aussi à s’exposer à ce principe dans sa relation à l’autrui au quotidien. Cet autre à nos côtés n’est pas juste un nom ou une photo, c’est un être sensible de chair et de sang.
Si nous désirons qu’au-delà du souvenir cette initiative soit porteuse de sens et d’une réflexion différente sur la souffrance, alors empressons nous en tant qu’adulte de faire émerger à nouveau cette notion dans notre quotidien immédiat. Soyons capable de nous laisser bouleverser dans nos ressentis, par non point des spectacles horribles, mais déjà par la présence de ceux qui sont parfois juste à côté de nous mais que l’on n’est parfois même plus capable de voir. Espérons que ce projet trouve sa finalité dans une transformation au quotidien de notre manière d’être.