Delores Gray a eu beaucoup
de chance. Afro-américaine descendante de petits métayers, elle
a réussi sa part du rêve américain : un appartement en copropriété
en Californie, une carrière réussie et lucrative, beaucoup d'amis
très proches et une famille affectueuse. Dans le domaine de l'esprit,
également, Delores aurait pu s'épanouir pleinement : ordonnée
prêtre et chargée de la paroisse de Strait Way à Watts,
elle appartenait à un milieu religieux qui l'entourait de sa tendresse.
Et pourtant… et
pourtant… quelque chose dans l'âme de Delores murmurait tout au fond
d'elle-même. Une sorte de langueur indéfinissable l'incitait à
se livrer à une recherche spirituelle en direction d'une terre à
la fois si proche et si lointaine - Israël - d'un héritage ancien,
l'héritage juif, qui lui était tout aussi incroyablement étrange
que totalement familier.
Dans son livre My Sister,
the Jew (" Ma sœur, la Juive "), Delores, qui porte aujourd'hui
le nom de Ahuvah, nous fait partager son étonnante aventure spirituelle.
Dans l'extrait suivant,
nous rencontrons Ahuvah le jour le plus sacré de l'année juive,
alors qu'elle est sur le point de prendre sa décision de se joindre au
peuple juif.
" Nous approchions
de Yom Kippour ; pour la première fois de ma vie j'allais jeûner
en ce jour saint entre tous. Tandis que je consommais mon dernier repas avant
les vingt-cinq heures à venir, je me demandais à quoi ressemblerait
cette journée. Le trajet vers la synagogue semblait très étrange.
Dans les rues, absolument désertes, régnaient la sérénité
et le calme d'un autre monde.
Chaque mot hébreu semblait pénétrer mon âme.
La synagogue était
enveloppée de la même paix remarquable et tranquille que celle
que j'avais sentie en parcourant les rues. Le chantre commença d'entonner
une mélodie douce appelée Kol Nidrei. Chaque mot hébreu
semblait pénétrer mon âme et la nettoyer de tout résidu.
J'étais complètement dépouillée de tout ce qui habillait
mon passé. Spirituellement, je me sentais en harmonie avec le déroulement
de la prière, mais il m'aurait fallu, pour assumer pleinement cette harmonie,
une bien plus grande finesse d'esprit.
Pendant toute la mélopée,
j'ai sangloté sans pouvoir me maîtriser. Quand j'ai réussi
à me reprendre, j'ai cherché autour de moi la présence
d'Avigaïl. Pas un visage ne m'était familier. Une charmante dame
qui se tenait debout à mes côtés se rapprocha silencieusement,
comme pour me demander si elle pouvait faire quelque chose pour moi.
" Non, je ne peux pas
expliquer cela. Il n'y a rien que vous puissiez faire. " ai-je répondu
à voix haute. Je ne savais pas encore qu'il n'est pas permis de parler
pendant Kol Nidrei.
Pour me consoler, ma nouvelle
amie entoura mon épaule de son bras et m'embrassa tendrement. C'était
exactement ce dont j'avais besoin. Je l'ai regardée, et nous avons échangé
des sourires. On n'avait pas besoin de mots. Je n'aurais pu lui expliquer -
ni à personne d'autre - ce qui était en train de se produire au
fond de moi-même. C'était la première fois de ma vie que
j'entendais cette mélodie, et c'était pourtant comme si ma nechama,
mon âme, connaissait Kol Nidrei. J'étais à cette époque-là
à mille lieues de savoir que cette prière était une déclaration
en vue de l'invalidation des serments et des vœux passés et futurs,
mais j'ai senti à ce moment-là que mon âme accueillait quelque
chose que j'avais attendu toute ma vie. Beaucoup plus tard, je me suis représenté
ce qui s'était passé : en invalidant tous mes engagements passés,
j'avais permis à mon âme de retourner à ses racines juives.
Quand j'ai quitté
ce soir-là la synagogue, j'ai souhaité aux autres fidèles
une 'hathima tova, afin qu'ils soient inscrits et scellés pour l'année
suivante dans le Livre de Vie. Je sentis que je le disais comme l'aurait fait
une Juive. Je descendis la rue en sachant que je n'oublierais cette nuit de
toute ma vie. La paix qui imprégnait l'atmosphère tandis que je
retournais à mon hôtel dépassait ma compréhension.
On n'entendait pas un oiseau ; il n'y avait pas d'avions, pas de voitures. Même
les feuilles sur les arbres étaient immobiles. Je me suis alors dit :
" Je sais qui est mon Dieu. Voilà à quoi cela ressemblera
lorsque viendra le Machia'h. Ici se trouve la paix du Tout-Puissant. "
J'ai commencé à
être emportée par la puissance de ma nouvelle prise de conscience,
et j'ai commencé de me réciter le chapitre 40 du prophète
Isaïe, que je connaissais et que j'aimais : " Que toute vallée
soit exhaussée, que toute montagne et colline s'abaissent, que les pentes
se changent en plaines, les crêtes escarpées en vallons ! La gloire
de Dieu va se révéler, et toutes les créatures ensemble
en seront témoins : c'est la bouche de Dieu qui le déclare. "
Je sentais que ces mots sacrés dépeignaient ce qui était
arrivé dans ma vie. Chaque vallée - les doutes et les soucis -
avait été soulevée. Les montagnes - l'arrogance, la sensation
de fierté - avaient été abaissées. Les pentes représentaient
les endroits que j'avais parcourus sans leur appartenir. Les crêtes escarpées
de la suffisance avaient été nivelées en vallons. Seule
la gloire de Dieu était inhérente à ma vie.
Il m'avait fallu quarante-huit ans pour chercher et découvrir la vérité.
Comme je continuais de me
détendre dans la sérénité et la paix, il m'est soudain
venu à l'esprit que j'avais, toute ma vie durant, été dirigée
le long de ce sentier. Il m'avait fallu quarante-huit ans pour chercher et découvrir
la vérité. J'ai pensé à toutes mes interminables
recherches et aux efforts que je m'étais imposés pour trouver
des références afin de comprendre des versets de la Bible. Aux
années de nuits sans sommeil passées à méditer sur
les textes sacrés, et à toutes ces choses qui semblaient insondables
et qui avaient culminé dans un beau crescendo avec la mélodie
de Kol Nidrei, ce chant obsédant qui frappait les fibres de mon cœur.
Je savais que mon Dieu était réel ! Tout était désormais
porteur d'un sens, y compris ce rêve auquel je m'abandonnais jadis quand
j'ai commencé pour la première fois d'étudier la Bible.
Ce rêve d'enfant, où Abraham était mon arrière-grand-père,
et où je marchais avec lui la main dans la main, parcourant en long et
en large la Terre Sainte, était devenu réalité. L'événement
que j'avais espéré toute ma vie était arrivé.
Les mots de Ruth à
Naomi que j'avais lus si souvent dans ma Bible étaient désormais
les miens : " Partout où tu iras, j'irai ; où tu demeureras,
je veux demeurer ; ton peuple sera mon peuple, et ton Dieu sera mon Dieu. "
Le peuple juif était devenu mon peuple.