L’action du film se situe pendant la première guerre du Liban, en Septembre 1982, au moment où l’armée israélienne, sous les ordres d’Ariel Sharon, arrive dans Beyrouth-Ouest pour tenter d’en déloger l’O.L.P. de Yasser Arafat. Le héros du film, Ari, le double du réalisateur, n’a plus aucun souvenir de ce qu’il a vécu en tant que soldat pendant cette période. Il fait un cauchemar récurrent où 26 chiens assiègent sa maison, mais en dehors de cela, sa mémoire est totalement bloquée.
Il va alors revoir, plus d’un quart de siècle plus tard, d’anciens compagnons d’armes qu’il va interroger, et dont les témoignages vont l’aider à reconstituer ce qu’il a vécu et ressenti pendant le siège de Beyrouth. Deux psychothérapeutes vont également l’aider à reconstituer le puzzle en émettant des hypothèses sur les raisons de son amnésie.
Ari va peu à peu revivre, grâce aux récits de ses amis, l’entrée des chars dans Beyrouth sous les tirs des snipers, le bombardement de l’aérodrome, et, bien sûr, ce qu’il refoulait au plus profond de lui-même : le massacre des Palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila.
Pour resituer le contexte historique de ces massacres, rappelons qu’ils ont été perpétrés par les milices, ou phalanges, chrétiennes, après l’assassinat, le 14 Septembre 1982, de Bachir Gemayel, jeune homme politique chrétien de 34 ans, qui venait d’être élu président du Liban. Bachir Gemayel, dont la fille, Maya, 4 ans, avait elle-même été tuée en 1980 dans un attentat à la voiture piégée, était adoré par la population chrétienne, et tout le monde s’attendait à ce que sa mort soit vengée. Ce fut fait dans la nuit du 17 au 18 Septembre 1982 et c’est ce qui devait rester dans la mémoire collective comme « les massacres de Sabra et Chatila ». L’armée israélienne laissa faire et n’intervint que tardivement ce qui lui fut reproché, y compris par la commission d’enquête israélienne qui blâma Ariel Sharon pour n’avoir pas empêché ce massacre.
c’est la vision de ce carnage qui a provoqué l’amnésie d’Ari
On comprend que c’est la vision de ce carnage qui a provoqué l’amnésie d’Ari. Les psys interrogés dans le film lui expliquent que, de même que notre inconscient peut « fabriquer » de faux souvenirs d’enfance, il peut également refouler des pans entiers de notre mémoire qui nous sont intolérables. Le rapprochement avec la Shoa est brièvement évoqué : il est insupportable pour un Juif de se voir comme responsable d’un massacre, fût-ce indirectement.
Ari Folman raconte qu’il a passé quatre ans à réaliser ce film, et que ces quatre années ont été pour lui une véritable thérapie dont il est sorti profondément transformé. C’est également pendant cette même période que trois fils lui sont nés. Dans la même interview, le réalisateur se dit qu’il a peut-être fait ce film pour ses fils, afin qu’ils fassent le « bon choix » qui consiste à « ne participer à aucune guerre. »
Et c’est là que j’aurais aimé que le jugement d’Ari Folman soit plus nuancé.
On comprend l’horreur qu’Ari ressent devant certaines scènes où la caméra s’attarde longuement, comme l’alignement des corps des soldats morts sanglés dans des brancards, ou la longue agonie des chevaux blessés à mort lors du bombardement de l’hippodrome de Beyrouth, ou comme ces chiens qu’il était chargé d’abattre avant que les soldats ne pénètrent dans un village afin que leurs aboiements ne donnent l’alerte et que les terroristes aient le temps de s’enfuir. Ces 26 chiens qu’il avait été chargé d’abattre au cours de la guerre, étant ainsi dispensé, à sa demande, de tirer sur des hommes, et qui reviennent hanter ses nuits.
C’est toute l’horreur de la guerre qu’il nous donne à voir, ainsi que la peur de ces jeunes soldats confrontés à la mort mais qui doivent obéir aux ordres qu’ils reçoivent. La guerre est un terrible gâchis et de nombreux films nous ont déjà donné à voir le spectacle de champs de batailles meurtriers, de villes en ruines, d’exodes de civils etc… On ne peut qu’être contre la guerre, et je crois pouvoir affirmer que nous sommes tous partisans de la paix. Mais il convient de nuancer. La tradition juive fait la différence entre « milhemet mitsva » (guerre de défense) et « milhemet rechout » (guerre de conquête). Les guerres d’Israêl ont toutes été des « milhemoth mitsva » , qu’il s’agisse de la guerre d’Indépendance de 1948, de la guerre des Six Jours de 1967 ou de la guerre de Kippour de 1973. Certaines guerres, dont les objectifs étaient plus discutables, ont fait l’objet, en Israël, de débats, tant sur le plan civil que sur le plan religieux. C’est le cas de la première guerre du Liban, dont il est question dans le film, qui a commencé par une guerre défensive, l’opération « Paix en Galilée », mais qui a pris une tonalité différente quand Ariel Sharon a décidé, à l’insu du Premier Ministre Menahem Begin, de poursuivre jusqu’à Beyrouth. On peut aussi citer les derniers jours de la récente deuxième guerre du Liban pendant lesquels de nombreux soldats de Tsahal ont trouvé la mort sans aucune justification.
Comme le disait Churchill : « La paix est un souhait, mais l’histoire ne se fait pas avec des souhaits ». La paix est un souhait que nous partageons tous, mais il ne faut confondre ce désir de paix avec le pacifisme, qu’il est dangereux d’ériger en doctrine. Choisir de « ne participer à aucune guerre » n’est pas forcément un « bon choix ». C’est quelquefois le meilleur moyen de rendre la guerre inévitable. Si les gouvernements européens n’avaient pas pratiqué une politique d’apaisement avec Hitler et avaient arrêté son ascension dès qu’il a commencé à réarmer la Rhénanie, la deuxième Guerre Mondiale aurait peut-être pu être évitée. Le pacifisme d’entre les deux guerres était une réaction à l’hécatombe et à la véritable boucherie qu’avait été la guerre de 1914-1918 dont on avait dit qu’elle serait « la der des ders ». Ce pacifisme à outrance a pu conduire un écrivain estimable comme Roger Martin du Gard à écrire en 1936 : « tout plutôt que la guerre ! Plutôt le fascisme en Espagne, plutôt le fascisme en France, et même Hitler ! ». Les opérations préventives ne sont pas sans risques, mais la passivité et l’aveuglement volontaire ne conduisent pas davantage à la paix. Le dilemme qui se pose actuellement en Israël vis-à-vis de l’Iran est, à cet égard, particulièrement angoissant.
On pourra également reprocher au réalisateur de ne présenter que des images d’officiers israéliens cyniques veules et pervers. Peut-être en a-t-il rencontrés, mais c’est loin d’être la règle au sein de Tsahal, dont le code moral de conduite est exemplaire, et on aurait aimé une vision plus équilibrée. Il en va de même pour les caricatures de Sharon et Begin.
Sur le plan technique, Valse avec Bachir est une réussite totale. Les nouvelles techniques d’animation permettent des effets d’un réalisme étonnant et apportent une distanciation beaucoup plus efficace que ne l’aurait été un documentaire filmé émaillé d’interviews. Les séquences oniriques sont particulièrement réussies, qu’il s’agisse des premières scènes de cauchemar où des chiens effrayants assiègent la maison d’Ari, ou de la vision d’une femme-sirène géante qui emmène Ari loin du bateau sur lequel il se trouvait, et où on le voit s’éloigner sur la mer, comme un enfant blotti sur le ventre de sa mère.
Les critiques du festival de Cannes étaient toutes excellentes et ne nombreux journalistes se sont étonnés que le film n’ait reçu aucun prix (alors qu’un autre film d’animation «Persépolis » de Marjane Satrapi avait obtenu la Palme d’or l’an dernier). Peut-être le jury , présidé par un Sean Penn très politisé, a-t-il trouvé qu’Israël n’était pas suffisamment montré comme étant responsable des massacres de Sabra et Chatila, comme les médias de l’époque l’avaient fait dans leurs articles et dans des caricatures de Sharon présenté comme un ogre ou un boucher.
J’espère en tout cas qu’Ari Folman aura fait, avec ce film, la paix avec ses souvenirs.