Il existe un passage méconnu dans l’histoire de ‘Hanoukka. Il contient la réponse qui nous permet de comprendre comment un petit groupe d’hommes peu armé a pu vaincre la plus puissante armée du monde.
RENCONTRE AU LEVER DU SOLEIL
Notre tradition attribue le fondement de la victoire sur les grecs à un homme qui a vécu, il y a environ 2.000 ans : Chimon haTsaddik, grand prêtre à l’aube de l’époque du Second Temple.
Le Talmud rapporte un récit énigmatique pour illustrer la grandeur monumentale de cet homme. Du vivant de Chimon haTsaddik, le légendaire Alexandre le Grand arriva au pouvoir. Maître dans l’art de la guerre et du gouvernement, il n’avait jamais perdu une seule bataille. En peu de temps, il avait conquis la plus grande partie du monde civilisé et contrôlait Jérusalem. Il permit aux juifs de vivre en paix et de poursuivre le service dans le Temple. Mais les ennemis des juifs réussirent à convaincre Alexandre que ceux-ci représentaient une menace et qu’il fallait détruire le Temple. Avec leur concours et celui de son armée, Alexandre entreprit de marcher sur Jérusalem, la force dont il disposait ne leur laissait aucune chance.
Le bruit d’un danger approchant parvint jusqu’à Chimon haTsaddik, qui dressa rapidement un plan. Il coiffa son turban blanc éclatant et revêtit ses imposants vêtements de prêtrise, assembla un groupe d’anciens portant des torches allumées et se dirigea dans la nuit judéenne en direction des troupes d’Alexandre.
A l’aube, le groupe d’anciens et Chimon haTsaddik, dans toute sa magnificence, rejoignirent Alexandre. A cet instant une chose étrange se produisit. Alexandre le Grand, conquérant du monde et homme le plus puissant de son époque, descendit de son char – et s’inclina devant Chimon haTsaddik. Les officiers d’Alexandre étaient abasourdis. Pourquoi le grand monarque se prosterne-t-il devant un …juif ?
« Avant d’être victorieux au combat », expliqua Alexandre, « l’image de cet homme m’apparaît. »
La campagne sur Jérusalem fut annulée et ceux qui avaient fomenté l’attaque, furent livrés à Chimon et à son entourage.
FIN DE L’èRE PROPHéTIQUE
Nous devons maintenant essayer de comprendre pourquoi c’est précisément l’image de Chimon, un homme qu’Alexandre n’avait jamais rencontré, qui lui apparaissait au moment de ses victoires militaires. Mais aussi, comment l’histoire de Chimon haTsaddik est-elle liée à la victoire hasmonéenne sur les successeurs d’Alexandre, quelques deux cent ans plus tard ?
Pour répondre à ces questions et atteindre le cœur de l’histoire de ‘Hanoukka, nous devons approfondir qui était Chimon et quelle fut sa contribution à l’héritage du peuple juif. De même, qui était Alexandre et quelle vision du monde projetait son empire ?
Chimon haTsaddik vécut à un tournant de l’histoire de notre peuple. Il assuma ses fonctions lors du décès de Malachie, le dernier prophète juif. Il fut dirigeant à l’aube d’une ère nouvelle du judaïsme – alors que la Loi orale fleurissait (système d’interprétations qui permet l’application de la loi sinaïtique dans toutes circonstances et évènements futurs). Les règles régissant la Loi orale sont très spécifiques et s’appuient sur l’analyse des Sages pour l’application de ses principes.
L’ère de la prophétie représente une période unique dans l’Histoire juive. On avait alors la possibilité de s’adresser au prophète pour un conseil définitif – il y en avait un million deux cent mille à l’âge d’or de la prophétie. A cette époque, il était impossible de créer des formes de judaïsme alternatives, puisque le prophète dénonçait immédiatement la fraude. Bien que l’interprétation rabbinique basée sur les principes du Sinaï existe, la dynamique de D.ieu parlant directement aux prophètes formait le cœur du pouvoir juif.
Chimon haTsaddik fut le pionnier de cette nouvelle aube de l’histoire juive, il devait placer l’intellect au premier rang.
A la mort de Malachie, il appartint aux Sages d’user de leur seule sagesse. Chimon haTsaddik fut le pionnier de cette nouvelle aube de l’histoire juive, il devait placer l’intellect au premier rang. L’interprétation de la Torah était maintenant du domaine exclusif des Sages et leurs conclusions s’avéraient décisives.
L’émergence de cette ère à ce moment précis de l’histoire n’était pas une coïncidence. L’année de la mort de Malachie, Alexandre le Grand remporta sa première victoire. Les conquêtes d’Alexandre se déroulèrent donc parallèlement à l’élévation de Chimon haTsaddik et à l’ascension de l’intellectualisme juif.
Alexandre représentait l’émergence d’une nouvelle vision du monde – la philosophie grecque. C’était une approche qui considérait l’intellect et la logique comme suprêmes et absolus et qui rejetait tout ce que le cerveau humain n’est pas en mesure de comprendre. Bien que ces deux systèmes soient fondamentalement incomparables (le système grec étant purement humain et la Torah divine), ils restent similaires par le fait qu’ils mettent tous deux en exergue la réflexion humaine.
L’idéologie grecque ne pouvait toutefois tolérer l’idée d’une sagesse et d’une loi divine, elle encourageait l’usage de l’esprit pour disqualifier, plutôt que pour expliquer le rôle ininterrompu de D.ieu dans le monde. On pourrait comparer l’approche grecque au fonctionnement d’un appareil photo : si l’appareil photo est un outil qui nous permet de capter notre entourage, il y a bien une chose qu’il ne peut photographier : c’est lui-même. Les grecs antiques n’ont pas laissé de place à un Créateur invisible et éprouvaient des difficultés à définir le lien entre l’âme et D.ieu.
FORCES ET CONTRE-FORCES
Nous nous étonnons toujours du fait que Chimon haTsaddik soit apparu à Alexandre avant chaque victoire. Comment le saint grand prêtre a-t-il pu être la source de la prouesse militaire d’Alexandre ?
Dans la Pensée juive, quand une force existe dans le monde, elle dispose toujours d’une contre-force correspondante. Surmonter cette contre-force est une condition à l’enracinement et à l’effectivité de la force. C’est donc à travers cette contre-force que la force est révélée. Ironiquement, la force est donc en un sens la raison d’être de la contre-force. Ainsi, sans nuit, on ne pourrait apprécier le jour et le jour n’arrive qu’en « conquérant » la nuit. De manière semblable, à l’ère de la prophétie, le monde connut une soif insatiable de spiritualité. La forme authentique de ce besoin profond se manifestait par la connexion à D.ieu, alors que la manifestation négative de ce besoin se traduisait par une pulsion presque incontrôlable – que nous ne pouvons comprendre aujourd’hui – l’adoration des idoles. La seule façon d’atteindre une spiritualité véritable était de surmonter cette tentation irrésistible de s’adonner à l’idolâtrie.
La philosophie grecque était la contre-force qui s’opposait à l’intellect juif.
L’image du grand prêtre apparaissait à Alexandre à chaque victoire. Chimon haTsaddik et la sagesse de la Torah orale, un nouveau système pour se rattacher à la Source, étaient la raison de chaque victoire grecque. La philosophie grecque était la contre-force qui s’opposait à l’intellect juif. Les grecs sont arrivés au pouvoir uniquement pour que les juifs les vainquent des années plus tard et prouvent que la conception de la Torah sur l’intellect et l’esprit reflète la vérité. C’est là, la racine de ‘Hanoukka. Le triomphe de ‘Hanoukka est plus qu’une victoire militaire, il représente la victoire de la Torah orale sur la contre-force de la philosophie et de la culture grecque. Il affirme que le judaïsme n’est pas une foi aveugle, où on laisserait son intelligence au placard. Au contraire, le judaïsme requière de la réflexion et de l’analyse. Toutefois, le cheminement de nos pensées est encadré par notre tradition et notre intellect nous mène à la conclusion qu’il est des choses que l’homme ne peut comprendre.
LE COMBAT CONTINUE
La bataille se poursuit jusqu’à ce jour. La propension à nier ce que l’on ne peut voir, ni comprendre est énorme, et la tentation d’y succomber est forte. Mais en tant que disciples de Chimon haTsaddik, le Peuple juif est bien préparé.
Notre défi est de dompter le pouvoir insondable de l’esprit et de l’utiliser pour comprendre les complexités de notre foi et les limites de notre intellect.
Nous n’avons plus de prophètes pour nous dévoiler la vérité, mais nous avons le pouvoir formidable de nos cerveaux qui, quand il est libéré des préjugés, peut nous conduire sur la même voie.
Le combat de ‘Hanoukka continue et grâce aux graines semées naguère, le futur est dans nos mains.
Traduction et Adaptation de Tsiporah Trom