Fort de ces nouvelles définitions, tentons à présent de comprendre pourquoi à Pessa’h, nous avons l’obligation de consommer de la matsa et l’interdiction formelle de manger du ‘hamets alors qu’à Chavou’ot nous avons l’obligation d’utiliser du ’hamets à un moment important de cette journée ; celui où nous réalisons un rituel dans le Beit haMikdach, dans le Temple de Jérusalem.
A Pessa’h, la libération du peuple juif est fêtée.
De nombreux midrachim montrent que son asservissement en Egypte avait pu atteindre tous les registres de son être. Sa nouvelle liberté va lui permettre d’user librement de ses facultés. Il lui est désormais possible de penser et de réfléchir selon sa volonté.
Au moment où Israël est libéré, D.ieu lui rappelle qu’il doit faire preuve d’une grande humilité en reconnaissant qu’il n’est pas encore apte à définir lui-même les valeurs.
Toutefois, à l’heure de la délivrance, l’esclave affranchi ne peut formuler des projets et des idées pour l’Homme. Il doit procéder à un nouvel apprentissage de la vie et des valeurs. Il doit accepter de mettre son regard et son jugement en veille, en attendant que son expérience de la vie se développe et puisse lui permettre de juger ce qui l’entoure correctement.
Nous comprenons dès lors le pourquoi de la matsa à Pessa’h. La matsa représente l’action humaine où la personnalité ne s’exprime pas. Ainsi, au moment où Israël est libéré, D.ieu lui rappelle qu’il doit faire preuve d’une grande humilité en reconnaissant qu’il n’est pas encore apte à définir lui-même les valeurs.
L’obligation de consommer de la matsa rappelle qu’avant de définir ce qu’est le Bien et ce qu’est le Mal, l’homme doit nécessairement passer une période pendant laquelle il ne fait pas cas de son point de vue ; une période d’apprentissage et de recherche où chacune de ses actions et des circonstances qu’il rencontre lui permettent de se forger des idées et des valeurs justes.
L’homme juif est dirigé dans cette recherche par les préceptes de la Torah.
Les six cent treize commandements ne laissent aucun champ de la vie humaine hors de leur portée. Selon Maïmonide, (Traité des huit chapitres), les mitsvot, les commandements, doivent être appréhendées à deux niveaux distincts.
Leur but ultime est l’accomplissement de la volonté divine ; mais dans un premier temps, Maimonide explique, que ceux-ci ont un but pédagogique. Les différents types de comportements ordonnés par la Torah doivent agir sur ceux qui les accomplissent pour permettre l’émergence de valeurs justes et vraies.
L’action a une influence sur la pensée. Par l’action, l’homme acquiert des idées. Agir selon la volonté de D.ieu, de la Torah, permet à l’homme de se forger des valeurs en adéquation parfaite avec les valeurs de la Torah.
Cependant, pour que les mitsvot agissent correctement, il faut absolument les réaliser sans y introduire quoi que ce soit de son jugement de valeurs.
De même qu’à la sortie d’Egypte, on enjoint au peuple juif de ne pas consommer du ’hamets, de ne pas chercher à théoriser la vie de l’homme. De même, celui qui accompli une mitsva ne doit pas chercher à la réaliser selon SA philosophie. Il ne doit pas tenter d’adapter les commandements à son temps.
Car s’il agissait ainsi, il réduirait à néant toute la portée et l’utilité de la mitsva, du précepte.
Un texte du Talmud résume en une phrase cet enseignement.
« Mitsva Habaa LéYadékha Al Ta’hmintséna » : (un commandement qui vient à ta main ne le laisse pas lever).
Ce texte enseigne que les préceptes de la Torah doivent être faits avec empressement.
Les commentateurs remarquent que si ce texte se limitait à cet enseignement, il aurait dû employer une autre terminologie plus simple et moins imagée : « Fais avec zèle les mitsvot ». L’emploi de l’expression ’hamets, levée, doit exprimer une idée importante (Pa’had Its’hac, Rav Its’hac Hutner).
Il semble que les sages du Talmud ont résumé en quelques mots l’idée que nous venons de développer.
Une mitsva doit être faite sans ’hamets, sans la faire lever. C’est-à-dire, sans lui imprimer sa volonté et son esprit.
A ce niveau de réflexion, la conclusion est la vanité du jugement humain.
La suite de notre étude va montrer comment celui-ci est sacré, et combien il est cher aux yeux de la Torah.
Nous avons remarqué que le ’hamets banni à Pessa’h est consacré au jour de Chavou’ot. Une fois les 49 degrés d’élévation spirituelle séparant Pessa’h et Chavou’ot atteints dans le respect des lois de la Torah, dans la simplicité et l’humilité la plus grande ; alors, au jour de Chavou’ot l’être humain ainsi préparé peut et même doit commencer à émettre des jugements de valeur. Le rituel sacrificiel du jour de Chavou’ot exige que le ’hamets soit le matériau essentiel d’une offrande offerte ce jour. Ce faisant, il indique qu’en ce jour, et uniquement en ce jour, le ’hamets à savoir le jugement humain est accepté. Plus encore, il est consacré et acquiert une valeur en lui-même.
L’homme parfait, celui qui a réussi à s’élever au quarante- neuvième degré de sainteté voit son jugement consacré. Chacune de ses idées, de ses attitudes est l’expression de la volonté de la Torah. Un tel homme devient le vecteur de la Torah en ce monde. Il devient celui par lequel D.ieu peut s’exprimer dans le monde.
De nombreux textes vont dans ce sens. Dans le premier chapitre des Psaumes, le Roi David fait l’éloge de celui qui n’a pas suivi le chemin des méchants et le conseil de ceux qui fautent ; de celui qui aspire de tout son être à la connaissance de la loi divine et qui étudie la loi jour et nuit.
Les sages du Talmud remarquent que dans ce passage que la Torah est mentionnée à deux reprises de façon différentes. La première fois, elle est appelée « Torat HaChem », la loi divine; ensuite elle est nommée « Torato», sa Torah. Le pronom personnel se rattache à celui qui l’étudie. Tout se passe comme si, la Torah devenait la propriété de celui qui l’étudie.
La créativité dans la Torah est nécessaire, toutefois, elle n’est pas donnée à tout à chacun. Il faut, pour y accéder, un long processus préparatoire, tant intellectuel : « celui qui aspire de tout son être à la connaissance de la loi divine », que spirituelle : « celui qui n’a pas suivi le chemin des méchants, et le conseil de ceux qui fautent ». Une telle personne pourra « étudier nuit et jour SA propre Torah ». La production de sa réflexion sera « toranique».
Dans le même ordre d’idée, le Talmud affirme avec force que « la Torah ne se trouve pas dans le ciel ».
A la fin du cinquième chapitre de Baba Metsia, une histoire illustrant ce principe est contée. Une controverse opposa Rabbi Eliézer à Rabbi Yéhochou’a. La majorité des sages s’apprêtait à suivre l’opinion de Rabbi Yéhochou’a.
Seuls ceux qui se seront préparés correctement seront les élus de D.ieu et pourront émettre des avis personnels fondés sur les valeurs de la Torah.
Rabbi Eliézer demanda à une voix céleste de se manifester et d’indiquer que son opinion était exacte. Suite à cette déclaration, Rabbi Yéhochou’a cria : « Lo Bachamaym Hi » : Elle n’est pas au ciel. La Torah n’appartient plus aux mondes métaphysiques. Elle appartient aux hommes, à la majorité des sages.
Il est évident que seuls ceux qui se seront préparés correctement seront les élus de D.ieu et pourront émettre des avis personnels fondés sur les valeurs de la Torah. Ils seront ceux dont la créativité en matière de Torah sera consacrée. Ainsi, la Michna dans le traité Avot, enseigne que la Torah n’est « acquise que dans la mesure où quarante huit attitudes sont observées », parmi lesquelles on compte : « la crainte de D.ieu, l’humilité, la joie, la pureté, le côtoiement des sages, le peu d’engagement dans le monde du commerce, le peu de sommeil, le bon cœur, la foi en la parole des sages, l’acceptation sans contester des souffrances de la vie ». Il n’est pas question ici de préparation d’ordre intellectuelle. Il s’agit d’attitudes morales et spirituelles seules capables de permettre à l’homme de forger son esprit à l’esprit de la Torah.
Le processus débutant à Pessa’h et se terminant à Chavou’ot voit le ’hamets se substituer à la matsa.
Il indique ainsi que la création ne parvient à sa perfection que lorsque l’homme est à même de formuler des jugements de valeurs.
La présence de ’hamets dans le rituel de la fête célébrant le don de la Torah, indique que c’est là ce que D.ieu attend de l’homme. C’est à l’homme de trouver, à travers les enseignements de la Torah, les solutions aux questions que pose son existence.
Seul celui qui aura atteint les 49 degrés de sainteté représentés par les 49 jours du ’Omer séparant Pessa’h de Chavou’ot, sera gratifié de ce pouvoir et sera sûr que son jugement est celui voulu par D.ieu. Les valeurs et les attitudes définies par une personne de ce genre seront alors en adéquation parfaite avec la volonté divine. Tant que les 49 degrés de sainteté ne sont pas atteints, le ’hamets n’est pas mis à l’honneur. L’attitude du juif en voie vers la félicité doit être celle de l’humilité, celle de la remise en question.
Les valeurs doivent alors être constamment revisitées et doivent évoluer naturellement grâce à une pratique saine des Mitsvot. Le jugement humain est sacré, encore faut-il savoir quand l’exprimer et quand le suivre !