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Les Rendez-vous de l'Année Juive / Hanoucca back  Retour
Réalité et potentielS’efforcer d’atteindre les étoiles ou être plus réaliste ? Deux optiques réfléchies dans les lumières de ‘Hanoucca.

Les Sages du Talmud rapportent le célèbre différend concernant la ‘Hanouccia :

Beit Chamaï dit : « Le premier jour, on allume huit bougies et les jours suivants, on en diminue le nombre (le deuxième jour sept bougies, le sixième jour six, etc...). »

Beit Hillel, lui, dit exactement le contraire : « Le premier jour, on allume une bougie et chaque jour qui suit, on en augmente le nombre (le deuxième jour deux bougies, le troisième jour trois, etc...).

Cette controverse sert de tremplin à Rav Eliahou Dessler dans Mi’htav Mé-Eliahou pour pénétrer au plus profond de la compréhension de ‘Hanoucca. Il commence par donner une parabole : Imaginons deux amis. L’un d’eux va au kiosque acheter un billet de loterie. Le lendemain, il apprend qu’il a touché le gros lot. Tout excité, il le raconte à son ami. On peut se figurer leur joie, aussi bien celle du gagnant que celle de celui qui n’a pas gagné.

Quelque temps après, le gagnant achète un autre billet. La chance lui sourit de nouveau et il gagne derechef. Comme la première fois, il ne peut pas attendre et va le raconter à son ami. Celui-ci se réjouit avec lui mais pas tant que cela. Il se peut qu’il éprouve une légère rancœur de voir que son alter ego gagne tant d’argent et non pas lui.

Une fois de plus, l’ami riche se procure un nouveau billet et une fois de plus il gagne ! Tout à fait stupéfait, il se précipite chez son ami pour lui narrer la bonne nouvelle. Mais celui-ci éprouve alors une forte jalousie ; c’est trop difficile à supporter. Au contraire, pour la personne qui n’arrête pas de gagner, chaque billet ne fait qu’augmenter son exaltation et son bonheur.

Imaginons que cela se produise une quatrième fois puis une cinquième fois et ainsi de suite. En ce qui concerne celui qui amasse cette richesse, sa joie s’accumule de billet en billet. Quant à l’autre ami, son bonheur diminue au fur et à mesure.

Selon le Rav Dessler, cette contradiction existe également dans la façon dont on ressent la joie de ‘Hanoucca. Le premier jour, la plupart des personnes sont capables d’éprouver ce sentiment en allumant la ‘Hanouccia. Mais le deuxième jour, pour la plupart d’entre nous, cette joie perd de son intensité. Le troisième jour, elle est encore plus faible et diminue le lendemain puis l’après-lendemain.

Mais pour ceux dont la sensibilité spirituelle est profonde et interne, la fête est une source de joie qui va toujours en augmentant et qui le dernier jour atteint son apogée.

NEFECH, ROUA’H, NECHAMA

Le Rav Dessler poursuit son explication en comparant ces types de comportement à trois niveaux de l’âme : néfech, roua’h et néchama. Celui qui ressent la fête au niveau de néfech, l’échelon le plus bas, exécute des gestes de manière purement machinale ; il considère ‘Hanoucca comme allant de soi et n’est capable que d’actes superficiels.

Le degré intermédiaire, roua’h, c’est le cas de la plupart d’entre nous ; on peut éprouver la joie la plus profonde, la plus sublime mais seulement pendant un court instant. On s’y habitue et puis on a tendance à la considérer comme quelque chose de naturel. Cette joie a pu pénétrer pour le moment au plus profond de notre cœur mais elle s’évanouit rapidement.

Pour celui dont l’expérience de la vie se situe au niveau de la néchama, le plus haut degré, la joie de ‘Hanoucca laisse une marque indélébile sur son âme. Le sentiment qu’il en retire est si profond et si sensible qu’il peut s’y reporter tout le temps et s’en servir de base.

C’est ce qui a différencié la personne qui a vraiment gagné à la loterie et son ami. Pour le gagnant, cela a été une expérience personnelle qui a touché sa néchama. Chaque victoire a produit un impact durable qui n’a fait que s’accentuer de billet en billet. Mais pour son ami, qui n’a pas été concerné personnellement, ce succès était plus loin de lui et n’affectait que son néfech ou son roua’h.

La première fois, tous les deux ont pu partager le même bonheur. Mais à la huitième reprise, la distance qui les séparait devint énorme.

ATTACHONS-LES TOUS ENSEMBLE

Cette analogie, appliquons-la au différend talmudique que nous avons mentionné au début. Selon Beit Chamaï, on agence la loi en fonction du Juif moyen qui ne se sert que de son nefech. Il est donc logique de démarrer le premier jour avec huit bougies car la nouveauté de la mitsva et l’éclair d’inspiration qui s’en dégage ont le pouvoir d’élever l’acte même pour le Juif moyen. Et puisque les jours suivants, cela devient moins intense et plus routinier, on diminue au fur et à mesure le nombre de bougies.

Il se peut en fait que Beit Hillel soit d’accord sur le fait que la majorité des Juifs ressentent ‘Hanoucca à un degré inférieur, celui du nefech. Cependant ils affirment que la loi dans ce cas doit être adaptée à la minorité des individus qui s’efforcent d’éprouver la sensation la plus profonde et d’atteindre les sommets spirituels les plus élevés. En conséquence, on débute le premier jour avec une bougie et on en augmente le nombre les jours suivants. La loi se fait le reflet des Juifs de niveau élevé, ceux dont la sensation s’intensifie de jour en jour pendant ‘Hanoucca.

En se plaçant dans une autre perspective, Beit Hillel dit que la loi doit s’adapter au potentiel humain – ce qu’une personne peut devenir de manière idéale – alors que Beit Chamaï pense que la loi doit se conformer à la réalité – le niveau actuel où l’on se trouve réellement.

LE POTENTIEL PAR OPPOSITION à LA RéALITE

Cette distinction inclut une question plus vaste se rapportant à la façon dont on vit son existence. Doit-on vivre sa vie religieuse comme on la ressent à présent ? Ou doit-on agir comme si on vivait à un degré supérieur dans l’espoir qu’on vivra finalement en accord avec ce niveau ?

Les deux attitudes peuvent se justifier l’une comme l’autre. La première position trouve sa raison dans le fait qu’on n’a pas envie d’être hypocrite. On ne veut pas avoir l’air d’être plus que ce que l’on est vraiment. Ce qu’on désire, c’est d’être comme ce qu’appelle le Talmud, to’ho keboro, « être intérieurement ce qu’on semble être extérieurement ». Par conséquent, on vit selon la réalité que l’on ressent en ce moment. On n’essaie pas d’être plus que ce qu’on est. L’inconvénient de cette philosophie de la vie est qu’il y a danger de s’accoutumer à une norme de médiocrité. Il se peut qu’on n’atteigne pas les sommets parce que, jamais, on ne s’efforce de s’y hisser. On se confine dans une prophétie se satisfaisant d’elle-même et fondée sur des perceptions limitées de soi-même.

D’autre part, la deuxième manière d’aborder le sujet a l’avantage de nous donner accès à notre potentiel intérieur que, sinon, nous n’aurions jamais connu. Ceci est appelé dans la littérature classique d’éthique juive : « L’extérieur réveille l’intérieur. » Chacun d’entre nous possède en lui une qualité en veilleuse, susceptible de se manifester si l’on la soigne correctement, de même que le charbon est doué d’énergie latente capable de prendre feu si l’on emploie des méthodes adéquates. D’après l’expression citée ci-dessus, il faut agir comme si l’on se situait à un certain niveau alors même que l’on n’y soit pas encore car nos actions ont le pouvoir de nous donner accès à des états internes qui seraient autrement inaccessibles. Elles peuvent nous aider à recouvrer un potentiel inexploité n’attendant que d’être transformé en substance.

En vérité, l’idée d’éducation figure dans le mot ‘hinou’h en hébreu. Celui-ci a la même racine que ‘Hanoucca. Et tout comme ‘Hanoucca, ‘Hinou’h est censé, de manière idéale, insuffler en nous une image de ce que nous pouvons être – si éloignée qu’elle puisse être de celle que l’on a au départ. C’est également lié à l’autre signification du mot ‘Hanoucca, « consécration ». En se consacrant à un idéal, à une vision, on peut viser les étoiles et les cimes que l’on pensait auparavant inaccessibles. Après tout, c’est réellement l’objectif de l’éducation – pas seulement de transmettre des connaissances mais d’instiller dans la personne le sens de ce qu’elle peut finalement devenir.

La loi juive est conforme à Beit Hillel. On allume une bougie le premier soir et on continue d’accroître et de construire notre potentiel jusqu’aux huit bougies de la dernière nuit. Par conséquent, selon ce point de vue, la loi nous dit que nous avons tout d’abord la responsabilité de nous ingénier à atteindre les sommets. La médiocrité adoptée a priori dans son mode de vie est inacceptable.

Néanmoins, on se doit aussi de tenir compte de la règle préconisée par Beit Chamaï. On a besoin de se connaître soi-même et où on se situe de façon réaliste. Et on ne doit pas perdre contact avec cette réalité. Le dernier jour de ‘Hanoucca doit être le point culminant de l’expérience. Mais tout trop souvent, ça ne sert à rien.

En tenant compte de ces deux opinions, on débouche sur la philosophie de la Tora au sujet de la vie : S’efforcer d’atteindre les plus hauts sommets, quand bien même (ou parce que) ils semblent justement n’être pas à notre portée, en respectant cependant la réalité dans laquelle on se trouve – c’est-à-dire en prenant les précautions qu’il faut, en procédant étape par étape, en ne dépendant pas des miracles – précisément comme on escalade les marches menant au ciel.

 

 

Traduction et Adaptation de Claude Krasetzki

 

 



A PROPOS DE L'AUTEUR
Yaacov ASTOR
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