Le judaïsme privilégie une vie intérieure de qualité,
mais laisse-t-il une place à l’image ?
C'est Esaü qui domine parfaitement le monde de l'image. Il sait exprimer
par son apparence certains faits ou idées qui ne correspondent pas à ce
qu'il est réellement.
Ainsi, un Midrash montre
Esaü demandant à son père Isaac
si l’obligation de prélever le Ma’asser (la dîme)
s’applique au sel, alors qu'il est évident que celui-ci en est
dispensé. Ce Midrach indique qu'Esaü voulait de la sorte, entretenir
au prés de son père l’image d’une personne observant
scrupuleusement les commandements divins, alors qu’en réalité il
n’en était rien.
Dans le même ordre d’idée les maîtres du Midrash
purent dirent d’Esaü que le discours qu’il tenait ne correspondait
pas à ce qu'il pensait réellement : « é’had
bapéh véé’had balev ».
Ils allèrent même jusqu'à comparer Esaü à cet
animal aux sabots fendus et ne ruminant pas qui a son signe de pureté à l’extérieur
mais n’en possède aucun à l’intérieur.
C’est toujours, suivant cette même idée, qu’il faut
comprendre la prière de Jacob à D.ieu : « Sauve moi de
la main de mon frère, de la main d’Esaü », prière
qui semble redondante. En fait, elle exprime la volonté de Jacob de
ne pas succomber aux attaques d’Esaü lorsqu’il se présente
comme un ennemi, comme Esaü, mais aussi, lorsqu’il se présente
sous les auspices de la fraternité.
La qualité essentielle d’Esaü et par la suite d’Edom
est d’être capable de maîtriser le monde de l’image.
Etant l'apanage d'Esaü et permettant d'entretenir le mensonge, il semble
que cette capacité à maîtriser le monde de l'image ne soit
pas mise en valeur par la Torah.
Il n'en est rien!
Israël se doit d’être exemplaire. C’est par l’image qu’il doit accomplir sa tâche : l'avènement de la vérité révélée sur terre.
Israël doit enseigner aux nations la vérité révélée
par la voie de l’exemplarité : « Vous serez pour moi une
nation de prêtres et un peuple saint ». De même que les Cohanim,
- les prêtres -, en résidant dans le Temple de Jérusalem
devaient par leur conduite être une source d’enseignement pour
le reste du peuple, de même Israël doit, par son comportement, montrer
aux nations le mode de vie menant à la félicité. C’est
donc par l’IMAGE qu’Israël doit accomplir sa tâche :
l'avènement de la vérité révélée
sur terre.
Esaü était
le premier né. C’est par lui et sa descendance
que la vérité découverte par Abraham et transmise à Isaac
devait devenir à la fin des temps le patrimoine de l’humanité.
Les qualités que nous avons évoquées au début de
notre étude devaient permettre à Esaü de mener à bien
cette mission. Toutefois, Esaü faute et céde son droit d’aînesse à Jacob.
Rachi explique que suite au décès d’Abraham, Esaü partit
dans les champs et commit les trois grandes fautes, l’idolâtrie,
le meurtre et les relations interdites. Selon Rachi, la lassitude dont souffrait
Esaü : « Esaü revint des champs fatigué » (Gen.
25 - 29) n’est pas une fatigue physique mais plutôt un découragement
d’ordre moral. Ainsi lorsque Jacob propose de racheter le droit d’aînesse,
Esaü déclare : « Je marche vers la mort ! A quoi me sert
donc le droit d’aînesse » (Gen. 25 - 32).
Esaü (et à sa suite, sa descendance Edom), se trouve dans un état
spirituel tout à fait particulier. Les fautes majeures qu’il a
commises ont détruit sa vie spirituelle, toutefois sa qualité essentielle
demeure intacte. Il désire toujours montrer à l’humanité la
voie menant à la félicité, parfois de façon pervertie,
puisqu’à la voie de l’exemplarité, il ajoutera la
coercition. Le monde de l’image demeure pour lui essentiel, peu lui importe
si son monde intérieur est vide de sens, l’essentiel est de faire « bonne
figure » de donner de soi une «image positive », de créer
une respectabilité offrant à celui qui la contemple une impression
de moralité.
Jacob décida, lorsqu’il constata la démission d’Esaü,
d’assumer cette responsabilité. Toutefois Jacob est : « l’homme
parfait siégeant dans les tentes ». Il est entièrement
absorbé par sa vie intérieure. Il n’est pas préparé à affronter
le monde dans sa diversité. De plus, il ne connaît rien au monde
de l’image. Un long apprentissage se prépare. Il commence avec
sa « sortie » de Béer Chéva pour aller vers ’Haran
dans la maison de Laban.
Dés lors, Esaü n'est plus pour nous une source d’enseignement
sur les valeurs de la vie intérieure, mais il demeure pour nous une
source essentielle devant nous permettre d'apprendre à manier avec précision
le mode de communication basé sur l’image.
Une réflexion sur certains midrashim concernant le Michkane met en
lumière cette idée. Nous l'aborderons la semaine prochaine, Béézrat
Hachem.