On fêtait le grandiose mariage réunissant deux familles importantes
de la ville. Le mari, Eliézère, était un garçon érudit
et d'une intelligence supérieure. De son côté, Devorah, la
mariée, venait d'une famille très distinguée. Elle avait
même un oncle qui vivait dans la ville sainte de Jérusalem.
Le mariage fut célébré en grande pompe. La "
Houppah " fut
montée en plein air et on organisa une grande fête à laquelle
furent invités des pauvres gens pour participer aux agapes. Des musiciens étaient
engagés pour divertir les invités.
Au cours de ces réjouissances, une rumeur se répandit, remplissant
de peur et faisant trembler tous ceux qui étaient là : Une bande
de brigands s'approchait à cheval de la ville, disait-on, et son but était
de piller, tuer ou capturer autant de personnes que possible, afin d'exiger de
très fortes rançons.
Et, effectivement, les bandits touchèrent la ville et commencèrent à s'acharner
sur ce lieu pourtant si paisible. Les invités, saisis de panique, se dispersèrent,
s'enfuyant dans toutes les directions. Le jeune marié se trouva ainsi
subitement séparé de sa jeune femme; elle avait réussi à s'enfuir
de la ville. Après de nombreux mois de voyage, elle arriva enfin chez
son oncle à Jérusalem. Celui-ci était à la fois content
et triste. Content de la revoir, mais si triste que sa nièce ait perdu
toute trace de son époux, ce qui faisait d'elle une "
Agounah " femme
liée à son mari et ne pouvant pas se remarier.
En bonne fille juive, Devorah acceptait son sort avec courage sans jamais perdre
espoir. Elle se rendait tous les jours au Mur des Lamentations (
Cotel Hamaaravi)
pour s'épancher devant D.ieu et Le supplier de lui faire retrouver son
mari.
Un certain jour, l'ancien Jérusalem était tout en effervescence
: le roi d'un pays lointain, récemment couronné, était arrivé pour
visiter et vénérer les divers lieux et monuments sacrés à la
Chrétienté. Une foule très dense s'était massée
dans les rues pour apercevoir le monarque qui devait passer. Dans cette foule
se trouvait aussi Devorah.
Lorsque le roi passa et que Devorah l'aperçut, elle pâlit et perdit
connaissance. Revenue à elle, elle se retrouva alitée chez son
oncle, sa tante à son chevet.
-Tu as eu tort de te déranger, il y avait beaucoup trop de monde pour
une fille si peu résistante que toi, lui reprocha gentiment sa tante.
-Ah ! Ce n'est pas à cause de la foule, mais à cause du roi que
je me suis évanouie. Celui-ci est mon mari et je l'ai bien reconnu tout
de suite.
II semblait à la tante que sa nièce ne jouissait plus de toutes
ses facultés, et tel fut également l'avis de son oncle dès
qu'il fut mis au courant des propos de la jeune femme. Il tenta de démontrer
qu'il était tout à fait impossible que le roi fût son mari,
et qu'elle ferait bien mieux de ne plus s'abandonner à une telle imagination
maladive. Mais tous ces discours n'empêchaient pas Devorah de penser et
de parler, car elle avait vu son époux de ses propres yeux, et rien au
monde ne pouvait la convaincre du contraire.
Quelques jours plus tard, un "
Hakham " (homme érudit et chef
spirituel) très connu, s'en vint à Jérusalem. C'est alors
que l'oncle de Devorah décida de lui rendre visite pour l'entretenir des
troubles de sa nièce et lui demander conseil.
Le "
Hakham " confirma alors que le roi était très probablement
le mari de Devorah. Maintenant, il faudrait trouver moyen d'avoir audience du
roi et essayer, à cette occasion, avec beaucoup de délicatesse,
bien sûr, d'orienter la conversation sur Devorah. Peut-être alors
réussirons-nous à le persuader de lui accorder le divorce pour
qu'elle ne reste pas la vie entière une "
Agounah ".
- Mais je dois voir le roi, s'exclama l'oncle. Je suis un des membres de la délégation
juive qui, au nom de notre communauté, doit lui souhaiter la bienvenue.
- Très bien, alors. Ecoutez-moi attentivement, reprit le "
Hakham ".
Je sais que le roi aime à jouer aux échecs. II demandera certainement
si un de ses invités sait y jouer. Répondez alors que ce serait
un honneur pour vous de lui faire plaisir. La première fois tu battras
le roi, mais lors de la partie suivante, tu feras une faute et tu perdras. Le
roi exprimera sa surprise, et tu rependras alors : " Je pensais à ma
pauvre nièce Devorah, c'est la raison pour laquelle je n'ai pu concentrer
ma pensée sur le jeu ". Et vous verrez bien ce que le roi dira.
L'oncle remercia le "
Hakham " de son conseil et s'en fut. Le lendemain,
il se rendit chez le roi en compagnie d'autres notables. Tous se passa exactement
comme le " Hakham " l'avait prédit. Lorsque le roi entendit
prononcer le nom de Devorah, il pâlit et s'émut à un tel
point qu'il en renversa l'échiquier.
- Vous la connaissez, demanda le monarque. Où est-elle maintenant ?
L'oncle répondit qu'elle vivait à Jérusalem et ajouta qu'elle était
très malheureuse, car depuis le tragique jour de son mariage, elle n'avait
jamais cessé de pleurer. " Elle vous aime et n'épousera jamais
un autre homme ", conclut l'oncle.
Le roi le pria de revenir au palais pour le rencontrer seul à seul.
Lorsque l'oncle vit le roi pour la seconde fois, celui-ci lui raconta alors son
histoire : « Je fus fait prisonnier et vendu comme esclave. Toutefois,
j'ai réussi à me sauver et à joindre une bande de pirates.
Je devins leur chef et ramassai beaucoup d'argent. Plus tard, emportant avec
moi tous mes biens en or et en argent, je quittai le navire et m'installai dans
une île grecque. Petit à petit, je me fis des amis dans les milieux
gouvernementaux, et grâce à mes richesses et ma puissance je fus élu
successeur du roi qui venait de mourir sans héritier. Dans cette contrée,
l'usage veut que les rois, une fois couronnés, visitent la Terre Sainte,
et c'est pourquoi je suis à Jérusalem. Franchement, j'ai toujours
cru que Devorah avait trouvé la mort le jour du mariage et je suis stupéfait
d'apprendre qu'elle est en vie et ne m'a pas oublié. Croyez-moi, malgré les
richesses, l'honneur et la puissance dont je jouis, je n'ai jamais été vraiment
heureux, car au plus profond de mon cœur j'ai toujours eu la nostalgie de
retourner vers mon peuple, J'ai donc décidé de rejoindre Devorah
et de commencer une vie nouvelle. Naturellement, nous ne pouvons pas rester ici,
nous serons obligés de partir vers un pays où personne ne nous
connaîtra et où notre bonheur ne sera pas troublé".
Quelques jours plus tard, Eliézère et Devorah se trouvaient sur
un bateau qui les menait vers une île où ils vécurent heureux
jusqu'à la fin de leurs jours.