Curieuse, cette période du Omer séparant la fête
de Pessa’h de la fête de Chavouot, don de la Torah.
Période de préparation à un moment unique de l’Histoire
et simultanément de deuil, en ce que les 12 000 « couples »
d’élèves de Rabbi Akiba y furent décimés par
une épidémie foudroyante.
Et le Talmud de nous enseigner « al chelo nahagou kavod ze laze »
: parce qu’ils ne s’honoraient pas les uns les autres ». Le
Midrach rajoute que Rabbi Akiba eut par la suite quatre autres élèves
qui répandirent l’enseignement de leur maître. S’inspirant
de ce qui avait causé la mort de ses élèves, Rabbi Akiba
leur demanda de ne pas être « Tsaré Ayin ».
Et nos maîtres d’expliquer que « Tsaré Ayin
», c’est celui qui n’est pas capable d’être heureux
de la réussite de l’Autre, qui n’arrive pas à se remplir
du plaisir qu’un ami satisfasse à l’objectif désiré.
En effet, cette attitude existe lorsque la réussite de l’Autre
me renvoie à mes propres échecs et m’oblige à me
poser la question suivante : « Ai-je exploité toutes mes potentialités
pour réussir et atteindre tous mes objectifs ? ». C’est la
raison pour laquelle plus l’Autre est proche, plus sa réussite
nous bouleverse en ce que nous lui ressemblons : peut-être aurions nous
pu faire nôtre cette réussite et son vécu, si nous nous
en étions donné les moyens ?... Seul, celui qui a appris à
explorer ses limites extrêmes dans l’effort, qui a su adapter ses
objectifs à ses potentiels, peut se réjouir de la réussite
de l’Autre en ce qu’il a conscience d’avoir utilisé
de façon optimale la palette de ses capacités pour arriver à
ses propres réussites.
Donner du poids à l’Autre, c’est lui révéler ses qualités qu’on distinguera souvent à travers ses réussites et ainsi lui permettre d’identifier son potentiel dans son exhaustivité.
Après, il faut juste se rappeler cet enseignement : il n’y a point
d’Homme qui n’a point son lieu et son moment de réussite.
Dans cette configuration, l’Attente doit être appréhendée
comme une opportunité pour optimaliser les résultats issus de
nos efforts. Si les élèves de Rabbi Akiba ne se sont pas honorés,
ce n’est pas parce qu’ils étaient dans le déni de
l’Autre : le Talmud nous précise bien qu’ils étaient
12 000 « couples » d’élèves, signifiant ainsi
leur connaissance quant à la nécessaire confrontation à
une autre pensée que la leur afin de pouvoir progresser réellement
dans l’Etude. Mais le problème était tout autre. L’analogie
étymologique des termes kavod (honneur) et kaved (pesant,
quelque chose de lourd) nous éclaire sur le sens réel de cette
précision. Les élèves de Rabbi Akiba ne s’honoraient
pas car ils n’arrivaient pas à donner du poids à l’Autre.
Donner du poids à l’Autre, c’est lui révéler
ses qualités qu’on distinguera souvent à travers ses réussites
et ainsi lui permettre d’identifier son potentiel dans son exhaustivité.
Or, les élèves de Rabbi Akiba sont censés devenir à
terme des maîtres, et la fonction première d’un maître
consiste avant toute chose révéler à l’élève
tous les potentiels qui sont les siens afin que celui-ci puisse arriver à
se réaliser complètement. Pour ce faire, il faut avoir construit
cet état d’esprit dans lequel voir les qualités de l’Autre
ne me dérange pas dans la conscience que j’ai qu’elles m’obligent
à aller à la découverte des miennes avec toutes les exigences
que cela va créer au niveau de mon comportement et de mes objectifs.
Ces quarante neuf jours séparant Pessa’h de Chavouot
sont propices à une réflexion profonde sur la place que je
donne à l’Autre, mon désir de le faire exister, ma propension
à me laisser bouleverser par ce qu’il est et les remises en cause
que cela risque d’induire à mon propre niveau.
C’est à ce prix là que l’être humain atteint
la Torah dont chaque phrase, chaque enseignement recèle aussi une fonction
bouleversante de par la remise en cause qu’elle peut générer
à l’intérieur de lui-même dans sa manière de
penser et d’appréhender son existence. Il est intéressant
de constater que dans nos sociétés, nous préférons
commenter la destinée de chaque individu en disant parfois « c’est
min hachamaïm » (cela provient du ciel)… Or, le roi Salomon
dit bien dans le verset que c’est « l’imbécillité
de l’homme [qui] lui fait prendre de mauvais chemins mais c’est
sur D.ieu qu’il se met en colère ». Combien d’échecs
sont imputés au manque de chance ou à la destinée alors
que, souvent, c’est la non-connaissance réelle de nos potentiels
qui a induit des directions où notre réussite ne peut être,
faute d’atouts nécessaires.
Savoir Découvrir, Accepter et Apprécier notre capital de qualités
nous permettra alors de nous engager dans des réalisations qui nous correspondent
et qui sont à notre portée. A ce moment là, nous saurons
trouver l’Equilibre, prélude à toute existence harmonieuse.