Dans cette parasha, on assiste à l'évènement le plus
important de l'histoire de l'humanité: la Révélation de
D-ieu au mont Sinaï.
Et pourtant, la nature et la teneur
de la révélation demeurent
quelque peu obscures. Quel message D-ieu a-t-il voulu révéler?
Quelle a été la réponse de l'homme face à cet évènement
exceptionnel?
La Torah introduit les Dix Commandements par le verset suivant:
D-ieu parla toutes ces paroles en disant (Exode 20:1)
Rashi, citant la Mekhilta, explique:
"
Toutes ces paroles...: cela nous apprend que le Saint-Beni-soit-Il prononça
les Dix Paroles en une seule parole, l'homme étant incapable de parler
de cette façon. S'il en est ainsi (s'Il a prononcé les dix paroles
en une seule), pourquoi le verset répète-t-il (les dix commandements,
un à un): "Je suis..., "Tu n'auras pas..."? C'est parce
qu'Il est revenu sur chaque commandement pour l'expliquer individuellement.
(Rashi, Exode 20:1)
Selon Rashi, les Dix commandements
ont été révélés
simultanément, en un instant, en une seule parole, chose que l'homme
ne peut "techniquement" pas réaliser ou, pour utiliser le
langage du Midrash , "ce qu'une bouche ne peut prononcer, ni des oreilles
ne peuvent entendre, voilà ce qui a été révélé".
Selon Rashi et la Mekhilta,
ce verset n'est pas simplement une introduction à la
révélation, il décrit l'essence même de la révélation!
Les Dix Commandements sont contenus dans ce verset! Ce moyen de communication
qu'utilise D-ieu, indépendamment de son contenu, est qualitativement
différent de tout autre.
Nous devons donc examiner le mode
de transmission du message avant d'essayer d'en comprendre le contenu. Une
question évidente se pose: quel est
le but d'une révélation qui ne peut être intelligible?
Si D-ieu a en effet prononcé les dix commandements en une seule parole,
il est évident que personne n'y a rien compris. Pourquoi D-ieu devait-il
parler d'une façon telle, que l'homme ne puisse comprendre? Qu'est-ce
que le peuple a entendu ou expérimenté lorsque D-ieu lui a parlé de
cette façon?
VOIR LES VOIX
Peut-être que le peuple n'a rien entendu du tout! Le verset qui suit
les Dix Commandements semble l'attester:
Et tout le peuple vit les voix et les flammes et le son du chofar et la montagne
en fumée; le peuple vit et ils tremblèrent et se tinrent à distance.
Ils dirent à Moshé
"parle, toi avec nous, et nous écouterons,
mais que D-ieu ne parle pas avec nous de peur que nous mourions" (Exode
20:14-15)
Ici la Torah ne dit pas que le peuple a entendu "la voix", la parole
de D-ieu. Bien au contraire, ils ont vu les voix et cela les a effrayés.
Ils demandent alors à Moshé de parler pour qu'ils puissent entendre.
Mais Moshé semble rejeter l'offre et les rassure:
N'ayez pas peur, car c'est pour vous élever que D-ieu est venu, et pour
que Sa crainte soit devant vous afin que vous ne fautiez pas. Le peuple se
tint debout au loin, tandis que Moshé s'approcha du brouillard où était
D-ieu. (Exode 20: 16,17)
Que le peuple ait vu et non entendu les voix, Rashi le confirme:
"
Ils virent les voix...: ils virent ce qui s'entend, chose impossible à réaliser
dans d'autres circonstances." (Rashi 20:14)
Encore une fois, le terme "vu" est employé au lieu de "entendu",
et l'image que nous avons est celle de D-ieu parlant d'une façon miraculeuse,
de telle sorte que le peuple pouvait voir mais ne pouvait entendre. Lorsque
D-ieu les a invités à écouter, ils ont été tellement
impressionnés qu'ils ont reculé.
D-ieu a parlé et cela est incontestable. La révélation était
complètement surnaturelle. Personne ne pouvait douter que les sons qu'ils
voyaient émanaient de D-ieu. Cependant, le peuple ne savait toujours
pas ce que D-ieu disait, parce qu'il ne pouvait pas entendre, il ne pouvait
que voir. Par conséquent, D-ieu a répété les Dix
Commandements, un à un, de manière à ce que le peuple
comprenne. C'est à ce moment précis que le peuple n'a malheureusement
pas su saisir l'importance de l'évènement et a manqué l'occasion
historique de cette rencontre avec le Divin. Au lieu de poursuivre ce "rendez-vous" avec
D-ieu, ils ont fait appel à un intermédiaire:
Le peuple vit et
ils tremblèrent et se tinrent debout, à distance.
Ils dirent à Moshé: "Parle, toi avec nous, et nous écouterons,
mais que D-ieu ne parle pas avec nous de peur que nous mourions" (Exode
20:14-15)
Nos sages enseignent que les deux premiers commandements ont été prononcés
par D-ieu avant que le peuple ne présente cette requête à Moshé:
Ils n'ont entendu
de la bouche du Tout-Puissant que "Je suis (L'Eternel
ton D-ieu...)" et "Tu n'auras pas (d'autres dieux que Moi...). (Rashi
Exode 19:19, basé sur Makot 24a).
10 OU 613?
Pour rendre les choses plus compliquées, on nous enseigne dans la
parasha suivante:
D-ieu dit à Moshé:
"monte vers Moi, à la montagne,
et sois là-bas; Je te donnerai les tables de pierre, et la Torah, et
le commandement que J'ai écrits pour leur enseigner. (Exode 24:12)
Ce verset semble indiquer qu'au Sinaï, Moshé a reçu bien
plus que les Dix Commandements. Rashi explique:
"
Tous les 613 commandements sont inclus dans les Dix commandements" (Rashi
24:12)
Nous avons vu que les Dix Commandements étaient contenus dans une seule
parole. Maintenant, Rashi nous précise que les Dix Commandements englobent
les 613 mitsvot de la Torah. Autrement dit, ce que D-ieu a révélé au
mont Sinaï, en une parole, de façon totalement inintelligible,
c'est la Torah tout entière, les 613 commandements! Si c'est le cas,
nous comprenons pourquoi le peuple était incapable d'entendre.
Les Sages expliquent que Moshé a reçu la totalité de
la Torah au Sinaï - des Dix Commandements, jusqu'à "la question
soulevée par l'élève assidu devant son maître" bien
des années plus tard. (Yeroushalmi Péa 2:4 17a).
Rabbi Lévi Bar 'Hama a dit au nom de Rabbi Shimon Ben Lakish: Quelle
est la signification du verset: "Je te donnerai les tables de pierre,
et la Torah, et le commandement que J'ai écrits pour leur enseigner"? "Les
Tables de pierre": ce sont les Dix Commandements; "la Torah":
c'est le Pentateuque; "le commandement": c'est la Mishna ; "que
J'ai écrits": ce sont les Prophètes et les Hagiographes; "pour
leur enseigner": c'est la Guémara. Ceci (nous) enseigne que toutes
ces choses ont été données à Moshé au Sinaï.
(Berakhot 5a)
Il est évident que le peuple n'a pu assimiler toutes ces informations,
toutes révélées en un instant!
VOIR / ENTENDRE
Dans ce cas, nous revenons à notre question précédente:
quel était l'objectif d'une révélation qui ne pouvait être
entendue ni comprise? Analysons la différence fondamentale entre "voir" et "entendre".
Une personne peut en un instant voir une quantité incroyable de choses.
Lorsque ses yeux sont fixés sur un objet, son champ de vision lui permet
de voir également tout ce qu'il y a autour de cet objet. Par contre,
on ne peut écouter et comprendre qu'un seul son à la fois; si
on écoute deux personnes parler en même temps, il est impossible
de comprendre ce qu'elles disent. La nature de la Révélation
au Sinaï doit être comprise dans ce contexte.
Le sens premier de la Révélation était le fait indubitable
que D-ieu, Ineffable et Transcendant, communiquait avec l'homme. Pour cela,
il fallait que les règles "naturelles" de la communication
soient fondamentalement différentes de tout ce qui avait été expérimenté.
Le peuple devait se rendre compte que c'était D-ieu qui parlait, il
fallait donc que cette communication soit "Divine", surnaturelle.
L'inversion des sens ("voir" des sons), l'absence des frontières
entre la vue et l'ouïe, a permis de rendre cette expérience totalement
surnaturelle.
Le deuxième aspect de la révélation était de présenter
la Torah comme une entité organisée, où chaque élément
a son importance. Tout est d'origine Divine, qu'il s'agisse des Dix Commandements,
des Psaumes ou d'une discussion dans le Talmud. Le peuple devait "Voir" ce
qui habituellement est "Entendu", afin de recevoir Toute la Torah,
car seule la vue permet de recevoir plusieurs informations en un instant.
Enfin, et c'est le troisième aspect de la révélation:
D-ieu voulait que le peuple entende tous les détails. Après avoir
présenté la Torah tout entière en une parole, D-ieu a
commencé à énumérer et à décrire
les commandements un à un.
OBJECTIFS MULTIPLES
Le premier objectif a clairement été accompli, et la révélation
au Sinaï a été une expérience si forte, qu'elle a
constitué le socle de la Foi pour des millénaires. Le deuxième
objectif a lui aussi été atteint, et le peuple a reçu
une vision complète d'une Torah qui forme un tout. Cependant, sans les
détails qui constituaient l'étape suivante, ce deuxième
niveau ne pouvait pas être apprécié. La différence
qu'il y a entre "voir" la beauté du judaïsme et "écouter" ses
détails, est finalement la même qu'entre "se sentir" Juif
et pratiquer les mitzvot.
Nous pouvons peut-être développer davantage cette idée
et dire: si les Juifs avaient accepté d'écouter les détails,
ils n'auraient jamais servi "un veau d'or". Les détails n'ayant
pas été écoutés, le troisième aspect de
la Révélation n'ayant pas été réalisé,
le système tout entier était devenu défaillant. Le peuple
a reculé, il n'était pas disposé à accepter la
Torah que D-ieu voulait donner au Sinaï. C'est précisément
ce que Moshé a dit au peuple:
N'ayez pas peur, car c'est pour vous élever que D-ieu est venu, et pour
que Sa crainte soit devant vous afin que vous ne fautiez pas. (Exode
20:17)
C'est parce que l'homme a été incapable d'entendre et de recevoir
directement de la "bouche" de D-ieu au Sinaï, que la faute du
veau d'or a pu survenir. Le peuple a accepté une relation avec D-ieu
basée sur l'aspect général de la Torah, "le grand
tableau" amorphe qu'ils ont vu, tableau constitué des 10 paroles,
des 613 Commandements, du Tanakh, du Talmud.... Mais en réalité,
ils avaient besoin d'écouter et d'intérioriser chaque détail.
Cette grande image est une mosaïque merveilleuse, constituée de
613 morceaux qui s'emboîtent les uns aux autres. Il était essentiel
pour le peuple de voir la grande image pour avoir toujours en tête l'objectif
final de la Torah, comme on regarde l'image d'un puzzle que l'on doit réaliser.
Le peuple a vu cette magnifique image, mais a échoué, car il
n'a pas compris qu'il devait apprendre et écouter chaque détail,
pour pouvoir reconstituer sur terre, cette image qu'il a vue, cette Torah.
Pour pouvoir construire son propre édifice et la route qui le mène à D-ieu,
le peuple avait besoin d'instruments: les détails que D-ieu voulait "graver" dans
son coeur. Mais hélas, le peuple a préféré en rester à la
beauté du tableau, à l'esthétique, au concept, aux dépens
des détails indispensables pour parfaire le monde.
UNE DEUXIEME CHANCE
D-ieu a donné au peuple Juif une deuxième chance pour recevoir
ces détails:
D-ieu dit à Moshé:
"monte vers Moi, à la montagne,
et sois là-bas; Je te donnerai les tables de pierre, et la Torah, et
le commandement que J'ai écrits pour leur enseigner(Exode 24:12)
Encore une fois, D-ieu a offert, "de sa propre main", tous les détails
de la Torah. Quand D-ieu a parlé au Sinaï, l'information était "compressée" d'une
façon surnaturelle. Ici aussi, quand D-ieu écrit, la transmission
d'informations est surnaturelle. Quand Moshé descend, tenant les Tables
de pierre qui ont été écrites de la main de D-ieu et qui
contiennent les 613 Commandements, il voit les juifs adorer le veau d'or et
jette les Tables au sol. Le Yalkout Shimoni indique alors que les lettres sont
reparties vers le ciel:
Moshé a regardé les tables et il a vu les lettres s'envoler vers
le ciel. Les pierres sont alors devenues lourdes et sont tombées de
ses mains (Remez 393 de Yalkout Shimoni Ki Tissa)
Le Beit Halevi explique (Drasha
18) que les lettres qui se sont envolées
vers le ciel étaient les 613 mitzvot et la Loi Orale. Par deux
fois donc, D-ieu a souhaité donner à l'homme bien plus que "Dix
Paroles", mais l'homme n'était tout simplement pas prêt à accepter
ce cadeau de D-ieu. Le chemin qui nous mène à la Torah est alors
devenu tortueux, une route parsemée de fautes, qui par conséquent
nous éloignent de la Présence Divine. Une route qui n'est pas
celle que D-ieu nous avait réservée à l'origine.
D-ieu désire que l'homme accepte la Torah tout entière, autant
les innombrables détails que la somptueuse mosaïque constituée
par l'assemblage de ces détails, pièce par pièce. Car
lorsque l'homme réussit à accepter la Torah, il devient le partenaire
de D-ieu, et le monde devient beau et parfait.