Bizarre que ce soit pour les
Juifs, chaque hiver depuis 2000 ans, une histoire qui fait recette!
"Les Indestructibles", bien que leur histoire ne recoupe pas exactement
celle des Maccabées et de Hanouccah, raconte une magnifique aventure qui
n'est pas sans rappeler la lutte historique des Juifs pour préserver leur
identité face à une culture dominante attirante et assimilatrice.
De même que les fils de Mathityahu ont combattu une domination qui se voulait
un modèle de civilisation, "Les Indestructibles" luttent contre
une soi-disant supériorité qui ne fait que dissimuler la médiocrité.(…)
Comme dans l'histoire de Hanouccah, le drame se noue, dans le film, lorsque l'on
voit une communauté jadis douée de pouvoirs considérables
soumise et "prise en mains" par un gouvernement apparemment bienveillant.
Mais lorsque les membres de la communauté prennent conscience de la gravité
de la situation dans laquelle ils se sont laissés entraîner, il est
trop tard.
Dans l'Antiquité, Alexandre le Grand, qui respectait (et même, selon
certains, admirait) le Judaïsme, fit entrer ses armées conquérantes
dans Jérusalem et tenta d'intégrer de manière pacifique les
Juifs dans la société grecque élargie qu'il édifiait.
Après la mort d'Alexandre, les territoires conquis furent gérés
par ses héritiers successifs, mais l'on eut bientôt le sentiment
que les Juifs, en raison de leurs différences, avaient du mal à
s'intégrer au sein du monde environnant. Si seulement ils pouvaient faire
un petit effort pour s'adapter, pour être juste un petit peu moins différent…
Au début du film, un groupe de super-héros protègent la masse
des citoyens dans la bonne entente. On assiste au mariage de deux héros,
M.Indestructible et Elastigirl, au terme d'une relation assez divertissante. Mais
bientôt, la situation change et l'on intente des procès aux super-héros.
C'est ainsi, par exemple, que des personnes que les héros ont sauvées
d'une mort certaine alors qu'elles tombaient d'un gratte-ciel portent plainte
pour des douleurs consécutives à leur sauvetage. Finalement, un
gouvernement plein de sollicitude va décréter un programme de relogement
pour nos héros en collants stretch. Les super-héros, avec toutes
leurs "différences", vont devoir vivre de manière souterraine.
Tout comme les célèbres Marranes, on leur donne de nouveaux noms
et ils sont contraints d'abandonner leurs coutumes "bizarres". Certains
continuent à observer leurs "traditions" en privé, chez
eux, derrière les portes closes car le faire au grand jour pourrait les
mettre en grand danger, eux et leur famille.
Rapide changement de décor. Les années ont passé, et l'ex-héros,
M.Indestructible, maintenant vêtu comme M.Tout-le-Monde, en est réduit
à placer le plus honnêtement du monde des polices d'assurances pour
la compagnie qui l'emploie. Sa carrure impressionnante le fait paraître
déplacé, un trop grand homme confiné dans une toute petite
vie. La scène à la fois drôle et touchante où on le
voit s'introduire à grand-peine dans la petite voiture qu'il prend pour
rentrer dans son pavillon de banlieue résume à elle seule toute
la situation. Chez lui, il retrouve l'ancienne Elastigirl et leurs trois enfants.
Nous faisons la connaissance de Violette, l'aînée, qui a le pouvoir
de se rendre invisible, de leur fils Flèche, un surdoué de la vitesse,
et du petit Jack-Jack qui n'a pas encore fait preuve de pouvoirs spéciaux.
Mais Bob Parr (c'est le nom de l'ancien M.Indestructible) n'est pas satisfait
de cette vie étriquée qu'on lui a imposée. En compagnie de
Frozone, un autre ex-super-héros, il passe la soirée hebdomadaire
traditionnellement consacrée au bowling à écouter, dans sa
voiture garée sur un parking désert, les fréquences radio
de la police. Ils pratiquent tous deux secrètement les disciplines propres
aux super-héros, au mépris des autorités, mais tout en redoutant
de se faire arrêter.
De même, derrière la façade du petit pavillon de banlieue
de la famille Parr, on s'entraîne sans relâche au super-stretching,
à la super-haltérophilie, à la super-vitesse, à la
super-invisibilité et, tout bêtement, au super-n'importe quoi. A
la maison "Elasti-Mom" apprend à ses enfants que bien qu'ils
soient doués de pouvoirs spéciaux, ceux-ci doivent demeurer secrets.
Ce double message de fierté et de honte est particulièrement bien
illustré lors d'une scène où la famille assiste, à
l'école, à une épreuve de course à pied et où
elle n'encourage Flèche à courir plus vite que pour lui crier soudainement
"Moins vite! Ralentis!" lorsque qu'il dépasse la vitesse normale,
risquant ainsi d'être démasqué comme super-humain.
Ceci illustre la vieille contradiction à laquelle sont confrontés,
depuis l'époque des Macchabées jusqu'à nos jours, de jeunes
Juifs dont les parents veulent qu'ils soient Juifs…mais pas TROP Juifs.
A l'époque des Assyriens hellénisés (les héritiers
des conquêtes d'Alexandre), les Juifs pratiquants devaient se cacher, n'étant
vraiment eux-mêmes que lorsque personne ne pouvait les voir. Cet engagement,
ces actes accomplis dans le silence et l'intimité de leur foyer, étaient,
tout comme pour les Indestructibles, le début d'une lutte pour se réapproprier
ce qui en fait leur appartenait.
On remarquera un emprunt à la Grèce dans le personnage du méchant.
Son nom, Syndrome, vient d'un mot grec qui évoque la convergence de plusieurs
éléments qui "concourent" vers une seule direction (du
grec "syn": ensemble et "dromos ": courir). Ce nom nous indique
que le méchant de l'histoire, tout comme les anciens Grecs, voudrait que
ses sujets se comportent tous de manière uniforme.
Une autre petite allusion à l'Hellénisme dans "Les Indestructibles"
apparaît lorsque le mot
"Kronos" devient le pivot du récit. Kronos était, dans
l'Antiquité, le nom du père mythique de tout le panthéon
des dieux vénérés par les Grecs, envahisseurs de la Judée.
C'est parfois l'oppression elle-même qui fait sortir le meilleur de chaque
individu. Le soi-disant leader Syndrome, en utilisant un code secret associé
au mot "Kronos" déclenche involontairement la "réactivation"
des héros et de leur progéniture, tout comme l'ordre donné
par les Grecs aux Juifs de "courir avec le troupeau" et d'adorer les
enfants de Kronos déclencha la révolte des Macchabées.
Dans les deux cas, les héros durent se cacher dans des grottes afin de
venir à bout de leurs oppresseurs, et lors du triomphe tant des Macchabées
que des Indestructibles, une flamme allait surgir de manière inattendue.
Lors du retour des Indestructibles, il y a un "conformisme" qu'ils vont
toutefois accepter, c'est celui de l'uniforme de super-héros. Un vieil
ami va leur confectionner des costumes conçus en fonction des origines
de la famille. Dans la tradition juive, il est bien connu que l'un des mérites
qui valut aux Juifs de sortir d'Egypte était qu'ils avaient conservé
au cours de cet exil leurs vêtements spécifiques. Cet attachement
louable et nécessaire à toute pérennité ne signifie
pas nécessairement une fidélité à un type particulier
de vêtements. Cela peut n’être que le fait de voir dans une
certaine décence ou dans certains signes de reconnaissance le reflet d'une
cohérence sur le plan des valeurs.
Alors que l'on peut voir dans la force prodigieuse et la quasi-invincibilité
de M.Indestructible l’aspect le plus frontal de la lutte pour la liberté,
les pouvoirs du reste de la famille peuvent être considérés
comme des conditions nécessaires à leur vie dans la clandestinité.
S 'évader grâce à la super-vitesse, devenir invisible et tenir
au-delà des limites humaines extrêmes, on a besoin de tous ces pouvoirs
pour supporter de vivre cachés, de même que changer d'apparence peut
être considéré comme un pouvoir semblable à celui du
caméléon permettant de survivre dans de telles conditions.
Les Indestructibles vont apprendre que de nombreux héros qui avaient dû
se cacher ont été tués en affrontant des machines de guerre
géantes, comme ce fut le cas du frère de Judah Macchabée,
Eliezer, qui fut tué en attaquant un éléphant de combat caparaçonné
par les Grecs. Il mourut écrasé par le pachyderme qu'il avait tué.
Les instruments guerriers de Syndrome, ainsi que tous les gadgets high-tech du
film sont inspirés de James Bond, Johnny Quest, les Jetsons et une demi-douzaine
de séquences inspirées de l'idée qu'on se faisait dans les
années 50-60 de ce que serait la vie dans un futur hautement gadgetisé
Le film fait coexister brillamment les super-héros, la science-fiction,
l'aventure, l'espionnage et bien d'autres classiques du genre, le tout encadré
par un scénario post-moderne qui donne à voir ce qu'est l'exil dans
une banlieue où le conformisme est de rigueur. Avec des moyens ultra-sophistiqués,
le film démontre courageusement qu'ériger en valeur la médiocrité
afin de créer un monde où chacun peut avoir l'illusion d'être
spécial revient à créer une réalité où
personne ne l'est.