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Le Veau d' Or

Cette parasha contient une des plus grandes tragédies de l'histoire Juive. Le peuple qui a miraculeusement quitté l'Egypte, qui a été témoin de l'ouverture de la mer (alors que les Egyptiens les poursuivaient), et qui au pied du mont Sinaï a vécu Le rendez-vous avec le Divin, attend maintenant que Moshé redescende de la montagne.

Moshé devait apporter avec lui les enseignements de la Torah -- le "livre" des commandements qui s'adressent aux Juifs -- qui allaient changer le cours de l'histoire du monde. Mais l'attente devenait trop longue, et le peuple, à la recherche peut-être d'une satisfaction plus immédiate, fabriqua un veau d'or et l'adora.

Aujourd'hui, des milliers d'années plus tard, nous ne comprenons toujours pas comment cette génération, si privilégiée, a pu commettre une faute aussi fondamentale.

UN MYSTÈRE MYSTIQUE

Le Zohar, dans ce qui est quasiment son tout premier enseignement, traite de cette question. Rabbi Shimon bar Yo'haï explique (explication elle-même cryptée) à son fils Rabbi Eliezer, le sens du verset:


" Qui a créé ceux-ci?" (Isaïe 40:26):

Ce mystère est resté scellé jusqu'au jour où je me tenais au bord de la mer, Eliya est venu et m'a dit: "Maître, quel est le sens de 'Mi Bara Eleh' - qui a créé ceux-ci?"
Je lui ai dit que cela désignait le ciel et ses hôtes, l'oeuvre du Saint Béni soit-Il, oeuvre dont la contemplation conduit l'homme à Le bénir... Alors il me dit: "Maître, le Saint Béni soit-Il avait un profond secret qu'Il a longuement révélé à l'Académie Céleste. Le voici: quand le plus Mystérieux a souhaité Se révéler, Il a créé un simple point qui s'est transformé en une pensée, et à partir de cela il a réalisé d'innombrables esquisses et a gravé d'innombrables gravures. Il a de plus gravé, à l'intérieur de la lampe mystique et sacrée, un plan mystique et excessivement saint, qui était un édifice merveilleux issu du coeur de la pensée. Ceci est appelé Mi (qui), et c'était le commencement de l'édifice, existant et inexistant, profond, enterré, inconnaissable de nom. Il s'appelait seulement Mi. Il fallait qu'il soit manifeste et appelé par un nom. Il s'est donc vêtu d'un vêtement resplendissant et précieux et a créé Eleh (ceux-ci) et Eleh a acquis un nom. Les lettres des deux mots se sont mélangées, formant le nom d'Elokim (D-ieu). Quand les Israélites ont fauté en faisant le veau d'or, ils faisaient allusion à ce mystère en disant: "ceux-ci Israël sont tes dieux" (Exode 32: 4). Et une fois que le 'Mi' était combiné au 'Eleh', le nom est resté à jamais. C'est sur ce secret que le monde est construit.
Alors, Eliyah s'envola et disparut (de ma vue). Et c'est de lui que je tiens ce mystère profond.
Rav Eliezer et tous les compagnons vinrent et se prosternèrent devant lui, et en pleurant de joie, ils dirent: "si nous n'étions venus au monde que pour entendre ceci, cela nous aurait suffi" (Zohar, Prologue 1b-2a)

Évidemment, plusieurs des idées enseignées dans ce passage sont au-delà de la portée de cet exposé (et de son auteur), mais nous pouvons relever quelques enseignements fondamentaux.

Le Zohar indique que la création du monde est basée sur la combinaison du mi et du Eleh qui constituent les lettres de Elokim. Par conséquent, le premier verset de la Torah se lit:

Béréshit bara Elokim éte hashamayim vé-éte haaretz... Au commencement créa Elokim les cieux et la terre... (Genèse 1: 1)

Le nom Elokim combine mi et Eleh. L'explication théologique du Zohar est que le verset Mi bara éléh - qui a créé ceux-ci? - repose sur le premier verset de la Torah "Au commencement bara Elokim"

Il s'ensuit alors, que la question "qui a créé ceux-ci?" doit toujours rester une question, rhétorique, sans réponse. Le Juif admet que certains mystères sont impénétrables. L'essence de D-ieu est un de ces mystères. La transcendance, aspect essentiel de D-ieu, échappe à l'entendement humain parce qu'il fait référence à Elokim, qui peut se lire mi éléh, autrement dit, dont l'essence reste une question à laquelle on ne peut répondre.

L'homme peut contempler la création, mais juste au moment où il pense avoir trouvé la réponse à la question et désigne du doigt D-ieu, il court à l'échec.

Les juifs, au pied du Sinaï, ont pointé du doigt le veau d'or qu'ils avaient fabriqué et ont déclaré "ceux-ci (Eleh), Israël sont tes dieux". Ils voulaient comprendre et expérimenter D-ieu selon leur propre compréhension, ils croyaient avoir trouvé la réponse à la question "qui (mi) est D-ieu?". Ils voulaient donner une réponse concrète à la question qui ne peut avoir de réponse.

LE DROIT DE SAVOIR

Qu'est-ce qui a finalement conduit le peuple à penser qu'ils avaient la réponse, à vouloir fabriquer un dieu? Et pourquoi un veau d'or?

Revenons au texte de la Torah:


Le peuple vit que Moshé tardait à descendre de la montagne; le peuple se rassembla autour d'Aaron; ils lui dirent: "Lève-toi! Fais-nous des dieux qui marcheront devant nous, car cet homme Moïse qui nous a fait monter du pays d'Egypte, nous ne savons pas (lo yada'nou) ce qui lui est arrivé. (Exode 32: 1)

Analysons la situation: L'aiguille de l'horloge tourne. Moshé doit redescendre du mont Sinaï. Le peuple est inquiet, mais tout ce qu'il a à faire c'est de patienter encore un jour et la précieuse Torah sera sienne. Malheureusement, l'histoire ne se terminera pas par cette fin heureuse. Moshé redescend certes, mais la Torah est brisée au pied de la montagne.

Le texte nous donne la raison pour laquelle ils ont voulu fabriquer des dieux: "car nous ne savons pas ce qui lui est arrivé". S'agit-il simplement d'un manque d'information? Non. Ils pensaient qu'ils avaient "le droit de savoir", le droit de connaître ce qui en réalité était au-delà de leur entendement.

Il existe un autre épisode, très similaire à celui-ci, où l'homme était en quête de connaissance, où il voulait "à tout prix" savoir. À l'aube de l'Histoire, l'homme avait été informé que parmi tous les arbres du Jardin d'Eden, deux étaient particuliers: l'Arbre de la Vie et l'Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal. Adam avait le droit de manger de tous les arbres, excepté de l'Arbre de la Connaissance.

De nouveau, l'histoire ne s'est pas bien terminée. L'homme a mangé du mauvais arbre, la mort a été introduite dans le monde, et l'homme a été expulsé d'Éden.

Les Sages remarquent qu'il n'y avait aucune interdiction à goûter de l'Arbre de la Vie. En fait, on nous enseigne que dans le plan originel, Adam devait manger d'abord de l'Arbre de la Vie, puis de l'Arbre de la Connaissance. Évidemment, la faute d'Adam est d'avoir inversé l'ordre et d'avoir voulu commencer par l'Arbre de la Connaissance.

Pour comprendre la signification de cet ordre (manger d'abord l'Arbre de la Vie et seulement après, l'Arbre de la Connaissance) nous devons reconsidérer la nature de ces deux arbres.

L'ARBRE DE LA VIE

Selon la pensée rabbinique, l'Arbre de la Vie représente la Torah:


Elle (la Torah) est un Arbre de Vie à ceux qui l'embrassent." (Proverbes 3:18, Vayikra Rabba 25:1)

N'était-il pas plus logique d'associer la Torah à l'Arbre de la Connaissance? La Torah est La Connaissance par excellence, le Livre des enseignements, qui explique le bien et le mal.

Apparemment, cette connaissance dont parle le texte a une tout autre signification. Il ne s'agirait pas de la connaissance encyclopédique, intellectuelle ou culturelle. Les versets qui suivent l'expulsion de l'homme nous mettent sur la voie:

Et Il renvoya l'homme,.... Et Adam connut sa femme.... (La Genèse 3:24-4:1)

On apprend donc que Adam "a connu" sa femme. Maintenant, nous comprenons que la connaissance implique l'expérience, ce qui nous permet de réinterpréter la faute de Adam.

Le plan à Eden était que l'homme mange de l'Arbre de la Vie (l'Arbre de la Sagesse de la Torah), et seulement après, il aurait pu manger de l'Arbre de la Connaissance (l'Arbre de l'Expérience).

L'avantage de faire précéder la sagesse de la Torah à l'expérience, est que la Torah une fois intériorisée, va servir de base permettant d'interpréter, d'adapter l'expérience. La Torah devient un outil d'analyse précieux pour mieux vivre et analyser les expériences. Si, à l'inverse, on "goûte" d'abord à la vie et à toutes sortes d'expériences, ce sont elles, qui serviront de référence pour interpréter la Torah acquise par la suite.

Si les choses se font dans cet ordre, cela peut conduire à une distorsion de la Torah, à une mauvaise interprétation, basée sur l'expérience subjective de l'individu. La Torah doit précéder l'expérience. La Torah doit être le repère permettant aux juifs de mener leurs vies.

LA TRAGÉDIE D'ÉDEN REVECUE

La tragédie d'Éden s'est reproduite au pied du Mont Sinaï. Les juifs attendaient que Moshé redescende avec la Torah, mais ils ne "savaient" pas ce qu'il était devenu. C'est en cela que repose leur échec: ils voulaient "connaître", "savoir" (le mot en hébreu est le même).

Finalement, le peuple va se livrer à une fête orgiaque, expérimentant D-ieu selon leur subjectivité, en fabriquant une image taillée, au lieu de recevoir la Torah de D-ieu par l'intermédiaire de Moshé.

De nouveau, l'Arbre de la Connaissance (l'expérience) est choisi avant l'Arbre de la Vie (la Torah).

Mais pourquoi cela s'exprime-t-il particulièrement sous cette forme? Pourquoi un veau?

Le Zohar explique que leur faute est d'avoir pointé leurs doigts en disant: "ceux-ci, Israël, sont tes dieux", voulant définir, connaître et expérimenter ce qui n'était pas à leur portée.

Quand pour la dernière fois les Juifs ont-ils pointé du doigt et désigné D-ieu? C'est au moment de la traversée de la mer:


Voici mon D-ieu et je l'aimerai." (Exode 15:2 )

Rashi, à partir du Midrash , commente:

C'est dans Sa gloire qu'Il s'est révélé à eux et ils Le désignaient du doigt. Une servante a vu (lors de la traversée de) la mer ce que ne virent pas les prophètes.

L'expérience de cette traversée de la Mer des Joncs leur a fait atteindre des sommets spirituels incroyables, où même le plus simple des hommes a vu ce que les prophètes n'ont jamais pu percevoir.

DES VISIONS DE PROPHÈTES

A quels prophètes Rashi fait-il allusion? La source de Rashi est la Mekhilta, qui mentionne: "plus qu'Isaïe ou Ezekiel". Ramban cite également la Mékhilta comme faisant la comparaison avec Ezekiel.

Pouvons-nous apprendre de cette comparaison la nature exacte de la vision collective qu'ont eue les Juifs lors de la traversée de la mer?

La prophétie d'Ezekiel est une des parties les plus obscures de la Bible, les images et les références dépassant souvent la compréhension du lecteur.
Près du fleuve Kebar, Ezekiel a eu des "visions de D-ieu." Il vit l'image d'êtres, ayant "la patte d'un veau" (Ezekiel 1: 7) et dont le visage comportait plusieurs faces: celle d'un lion, d'un homme, d'un taureau et d'un aigle. Il est intéressant de noter que l'image dans la vision d'Ezekiel comportait la face d'un taureau et les pattes d'un veau.

Pour rendre les choses encore plus compliquées, un chapitre plus loin, Ezekiel réitère et décrit de nouveau sa vision. Il énumère les quatre visages plus en détail, mais cette fois-ci, on note un changement:


Chacun avait quatre faces. La face du premier était une face de chérubin, la face du second, une face d'homme, du troisième, une face de lion, du quatrième, une face d'aigle. (Ezekiel 10: 14)

Ici, le taureau est remplacé par le chérubin. Si la faute du veau d'or a eu lieu après avoir reçu l'ordre de construire le Tabernacle, on peut comprendre pourquoi les Juifs ont choisi spécifiquement un veau d'or. En effet, le Tabernacle qui devait être "la résidence" de D-ieu devait contenir en son endroit le plus saint les chérubins. Dans la vision d'Ezechiel, les chérubins correspondent au taureau. Les Juifs, lors de la traversée de la mer des Joncs ont eu cette même vision. Au lieu de fabriquer des chérubins en or comme D-ieu le leur avait demandé, ils ont décidé de les remplacer par un veau d'or, persuadés qu'il s'agissait de D-ieu, puisqu'ils l'avaient vu lors de la traversée de la mer. Ils pensaient que cela faisait partie de la construction du Tabernacle. Ce veau leur rappelait ce moment glorieux où ils ont "expérimenté" D-ieu.

Mais lorsqu'ils ont désigné du doigt D-ieu, ils se trompaient en pensant que cette vision représentait D-ieu. Ils pensaient avoir compris D-ieu, l'avoir défini. Telle est la nature de l'expérience. Encore une fois, l'expérience a précédé la connaissance de la Torah et a finalement conduit à la faute et à la débauche.

LA VACHE ROUSSE



Rashi, en commentant les règles de la Vache Rousse, explique qu'il s'agit d'un 'hok, d'une loi irrationnelle, dont la raison nous échappe. Et pourtant, à un autre endroit, Rashi cite un enseignement au nom de Rabbi Moshé Hadarshan, précisant que cette mitsva (la vache rousse) a pour but de réparer la faute du Veau d'or. (Rashi Bamidbar, 19)

Ces deux explications de Rashi ne sont pas contradictoires. La Vache rousse apporte le pardon pour le veau d'or, précisément parce que c'est un commandement que nous ne pouvons pas comprendre! En effet, si la faute du veau d'or consistait à penser qu'on pouvait comprendre D-ieu, alors sa réparation, son tikoune repose sur l'accomplissement d'un commandement dont nous ne comprenons pas la raison.

La mort fut introduite dans le monde quand l'homme mangea de l'Arbre de la Connaissance du bien et du mal, goûtant l'expérience avant d'acquérir la sagesse de la Torah, et voulant comprendre ce qui ne peut être compris. La Vache Rousse est l'antidote de la mort, elle enlève le stigmate spirituel provoqué par la mort, car c'est un commandement qui n'a pas d'explication et que l'on exécute sans comprendre, uniquement parce que la Torah nous l'ordonne.

ADDENDUM



La plupart du temps, on lit cette parasha le Shabbat qui suit Pourim, et selon le Tikouné Zohar, il existe un rapport intrinsèque entre Pourim et Yom Kippourim, le jour où les Juifs ont été pardonnés de la faute du veau d'or.

Le Ari zal expliquait cette relation de la façon suivante: Pourim est en fait, à un niveau plus élevé, et la traduction de Yom Kippourim devrait être: "un jour comme Pourim". Le Talmud Yeroushalmi affirme que dans le futur, toutes les fêtes disparaîtront excepté Pourim.

La faute du veau d'or était en partie, comme nous l'avons expliqué précédemment, d'avoir choisi l'expérience avant la Torah. A Yom Kippour, Moshé est descendu du Mont Sinaï avec les deuxièmes Tables de La Loi, et les juifs ont finalement accepté la Torah.

Ce jour-là, nous ne mangeons pas, nous ne buvons pas, nous ne nous lavons pas et nous n'avons pas de relations conjugales afin de faire le tikoune (la réparation) de la faute du veau d'or et des "festivités" qui ont suivi. Le pardon à Yom Kippour est obtenu par l'abstinence totale.

D'un autre côté, les Sages nous disent que le peuple d'Israël n'a accepté complètement la Torah qu'après le miracle de Pourim, presque mille ans après que la Torah ait été donnée.


Rava a dit: Malgré cela, Ils ne l'ont ré-acceptée (la Torah) qu'à l'époque d'A'hachvéroch, comme il est écrit: les Juifs l'ont confirmée et acceptée (Esther 9:27); ils ont confirmé ce qu'ils ont accepté longtemps avant. (Shabbat 88a)


Le Talmud explique que l'origine du nom "Haman" se trouve dans un verset de La Genèse qui évoque la faute d'Adam:


Où fait-on allusion à Haman dans la Torah? Dans le verset "hamine haetz hazeh", était-ce de cet arbre? ('Houline 139b).

Haman est lié à l'Arbre de la Connaissance, et nous savons que les problèmes à l'époque d'Esther ont commencé à Shoushan, quand les juifs ont participé au festin donné par le roi, une expérience déplacée et qui fait écho aux festivités du veau d'or.

C'est à Shoushan, tant d'années après, que les juifs ont finalement accepté la Torah complètement. On pouvait enfin sanctifier la nourriture et la boisson, car cette fois-ci ils ont fait précéder la Torah à l'expérience. Ils ont prié et jeûné pour que le décret d'extermination qu'avait prévu Haman soit annulé, et seulement alors, ils ont fêté leur victoire en mangeant et en buvant. Voilà pourquoi nous avons l'obligation de boire à Pourim "jusqu'à ne plus pouvoir différencier entre Béni soit Mordekhaï et Maudit soit Haman: "Ad delo yada" "jusqu'à NE PLUS SAVOIR". De nouveau le mot yada est utilisé. A Yom Kippour nous nous abstenons de manger et de boire, alors qu'à Pourim nous nous élevons en mangeant et en buvant. A Pourim, nous essayons d'élever l'expérience dans le cadre de la Torah, qui est acceptée à nouveau.



A PROPOS DE L'AUTEUR
le Rabbin Ari KAHN
Le rabbin Ari Kahn, un disciple de Rav Yossef Dov Soloveitchik, est diplômé de la Yeshiva University. Il se consacre actuellement à l’enseignement à Aish HaTora ainsi qu’à l’Université Bar Ilan, où il est Directeur des programmes pour étudiants étrangers. Il donne fréquemment des conférences aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et en Afrique du Sud pour le compte de cette université et d’Aish HaTora.
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