Les sefirot de l’action suscitent en nous amour et crainte; ce sont
les deux “ailes” nécessaires à notre envol vers les
cieux.
Lorsque D.ieu se révèle à nous par l’intermédiaire
des sefirot de ‘hessed (bienveillance) et guévoura (force), nous
réagissons au moyen des sentiments d’amour et de crainte. De même
que nous avons montré que D.ieu se manifeste essentiellement par deux “actions”,
bienveillance et force, de même l’amour et la crainte sont les “réactions” fondamentales
aux actes divins.
Puisque les sefirot de ‘hessed et guévoura sont les deux premières
sefirot faisant partie du domaine de l’action, c’est-à-dire
des activités perçues de façon manifeste, elles entraînent également
une réaction de notre part. La Torah considère l’amour (ahava)
et la crainte mêlée de respect (yira) qu’on éprouve
envers D.ieu comme indispensable à Son culte. Ce sont deux commandements
importants par eux-mêmes.
Pour avoir une bonne idée de ce qu’est l’interaction entre
l’amour et la crainte, et de quelle manière ces deux sentiments
sont singulièrement des images comme dans un miroir du ‘hessed
et de la guévoura, voyons comment Maimonide les décrit. A noter
qu’on ne sait pas cependant si Maimonide, un géant dans le domaine
de la loi et de la philosophie juives, a eu un quelconque contact avec la Kabbale.
Dans son œuvre “Michna Torah”, il décrit ainsi le devoir
d’aimer et de craindre D.ieu:
“Le D.ieu Qui est honorable et redoutable: on a l’obligation de
L’aimer et Le craindre, ainsi qu’il est écrit, ‘Vous
aimerez D.ieu, votre Seigneur,’ et ‘Vous craindrez D.ieu, votre
Seigneur.’
Quelle est la manière appropriée pour L’aimer et Le craindre?
Lorsqu’on observe les créations et les actes si merveilleux accomplis
par D.ieu et que l’on y décèle combien Sa Sagesse est infinie
et sans pareil, on se met immédiatement à L’aimer et à chanter
Ses louanges et on est submergé par un désire formidable de connaître
ce D.ieu si Grand. Ainsi que le dit le Roi David: “Mon âme a soif
de D.ieu, du D.ieu vivant.” Et lorsqu’on y songe particulièrement,
on est saisi soudain par un sentiment de crainte révérentielle
et l’on réalise qu’on est une créature toute petite,
miniscule, plongée dans les ténèbres de l’ignorance,
qui se tient debout devant l’Intelligence Parfaite. Et selon le Roi David: ‘Lorsque
je contemple les Cieux, œuvre de Ta main, [je me demande] qu’est-ce
donc l’homme quand Tu penses à lui?” (Rambam Yessodei Hatora
2, 1-2)
Nous voyons donc que pour Maimonide,
l’amour et la crainte sont deux
réactions tout à fait analogues au ‘hessed et à la
guévoura. Ce qui caractérise l’amour est le désir
d’expansion, d’élargissement. La crainte, d’autre
part, est un mode de contraction, d’implosion de sa propre personnalité sous
l’effet écrasant de la prise de conscience de la grandeur divine.
Le Zohar affirme que l’amour et la crainte sont deux “ailes” sans
lesquelles la Torah ne peut s’envoler vers les cieux. Cela signifie qu’il
y a deux composants émotionnels inhérents au culte divin. Une
action menée sans inspiration, de manière insipide, tombe obligatoirement à plat.
Au contraire, un acte effectué avec chaleur et en toute compréhension,
acquiert sa part de vie. De même qu’une personne motivée
donne une impression d’être physiquement vivante, de même
une mitsva accomplie avec amour et crainte.
Travail en tandem
Mais comment l’amour et la crainte (mêlée de respect) peuvent-ils
agir de concert, s’ils sont opposés? Le fait que le Zohar les
compare à deux “ailes”, signifie bien que c’est ainsi
que cela se passe. Alors qu’il est possible qu’un homme saute à cloche
pied, il est difficile d’envisager un oiseau volant avec une seule aile.
La réponse est que chaque mitsva est un lien entre l’homme et
D.ieu. A ce titre, l’attitude à l’égard d’une
mitsva doit dépendre des deux points suivants. L’homme doit, d’une
part, se découvrir dans la mitsva et, d’autre part, y trouver
D.ieu. C’est respectivement l’amour et la crainte qui permettent à l’homme
d’accéder à ces deux buts.
Si l’on veut épouser une personne que l’on aime, c’est
parce qu’on a le sentiment qu’elle nous comblera. Quand on exprime
de l’amour pour les mitsvot, on démontre qu’on est personnellement
satisfait de les accomplir. On a trouvé un élément dans
la mitsva qui nous parle, qui apporte un plus à notre personne. En raison
du besoin qu’on a tout au fond de soi de s’améliorer, on
saisit avidement la mitsva et l’on cherche à s’enrichir
grâce à son contenu.
Considérons maintenant ce qu’est la crainte (mêlée
de respect). Un jeune homme rencontre une jeune fille. Il est impressionné par
son intelligence et par sa personnalité et commence à éprouver
de l’amour pour elle. Mais, au cours du deuxième rendez-vous,
elle se montre plus expansive; il est alors subjugué par son brillant
et ressent un sentiment d’admiration mêlé de crainte qui
est en fait l’appréciation même de ses qualités plutôt
que de ce qu’il veut et dont il a besoin. Cette crainte se rapporte à ses
qualités qui sont au-delà de celles qu’il a découvertes
lors de leur premier contact, et elles lui révèlent qu’elles
sont d’un niveau encore plus élevé. La crainte mêlée
de respect, c’est la prise de conscience que quelque chose nous est supérieur.
Quand on est secoué par une telle crainte, on réalise que la
mitsa qu’on est en train d’accomplir, est de nature divine et on
est submergé par cette sensation. On n’est pas dissuadé pour
autant de la faire mais, au contraire, on a davantage d’éléments
pour en estimer son contenu. Par conséquent, c’est au moyen du
sentiment d’amour qu’on apprécie la mitsva et au moyen de
la crainte qu’on en prend une plus haute conscience; et puis, de nouveau,
l’amour aspire à en apprécier la valeur, et ainsi de suite…
Le respect des parents
Il y a une autre mitsva
dans laquelle l’amour et la crainte se combinent
de manière des plus similaire, c’est celle du respect des parents.
La Torah nous enjoint “d’honorer ton père et ta mère” et
aussi “ta mère et ton père, tu les craindras.” Le
Talmud explique qu’”honorer ses parents” implique, entre
autres, de se lever devant eux, de les aider à manger et à s’habiller,
etc… Tous ces actes étant positifs.
Les “craindre”, d’un autre côté, c’est
de ne pas s’asseoir sur les sièges qu’ils ont l’habitude
d’occuper, de ne pas les appeler par leur prénom et de de pas
les contredire de manière flagrante. Tous ceci sont des actes négatifs,
nécessitant une maîtrise de soi.
D’une part, en étant redevables du bien - y compris de
notre existence - que nos parents nous ont octroyé, nous montrons ainsi
que nous savons qu’ils sont source de bienveillance et que notre vie
leur est due. Mais la conscience même de ces faits nous oblige à éprouver
un sentiment de crainte en leur présence.
Etant donné que nous leur devons notre existence même et tant
de choses qui sont en nous, notre sens du moi est tout particulièrement
diminué car ce que nous possédons n’est en réalité pas à nous.
Ainsi, l’amour et la crainte sont des reflets du ‘hessed et de
la guévoura. C’est le ‘hessed exercé par D.ieu qui
nous donne ce que nous avons et nous L’aimons pour cela. D’autre
part, par l’intermédiaire de la guévoura, D.ieu nous demande
des comptes et exige de nous la vérité, ce qui nous montre que
ce que nous possédons ne nous appartient pas effectivement; nous prenons
alors encore plus conscience de Son Omniprésence et de notre insignifiance.
Traduction et Adaptation
de Claude Krasetzki