3 - Le voyage en Sépher Fusée
Au beau milieu de la nuit,
la fusée rejoignit la chambre de Itamar
endormi. La petite méguila réduisit le plus possible la taille
de son vaisseau afin d’entrer par la fenêtre, actionna le silencieux,
et se posa sur le lit du garçon.
"Comment vais-je bien pouvoir le réveiller sans l'effrayer ?" s'interrogea-t-elle.
Elle eut l'idée de sonner du chofar, comme au moment du Matane Torah
(Don de la torah), mais elle trouva cela beaucoup trop bruyant. Elle sortit
le sifflet à ultrasons, mais il n'eut aucun effet sur l'enfant. Elle
choisit en conséquence la bonne vieille méthode de lui secouer
l'épaule !
Itamar leva brusquement
la tête
:
- Que... quoi ! Qui est-ce ? bafouilla-t-il.
- Bonsoir, je m'appelle Ruth ! Je suis une méguila.
- Mémé…, bégaya-t-il encore.
- Non, pas mémé… méguila ! Méguilat-Ruth.
Tu ne me reconnais pas ?
- Euh…
- On m'a envoyée pour te faire aimer la Torah ! Nous avons jusqu'à Chavouot
pour remplir cette mission. Viens, je t'emmène à la Choule (synagogue),
l'Ancien veut te parler !
- L'Ancien ?
- Oui, le vieux Sépher Torah que ton père vérifie chaque
semaine !
- A la Choule ?
- Oui et avec ça ! dit-elle fièrement en lui montrant le Sépher-fusée
! Tu te souviens ? C’est toi qui nous as inventés !
- In …Inventés ? balbutia-t-il, ahuri !
- Absolument, inventés ! Allons, ne traîne pas ! Nous avons très
peu de temps !
Itamar se sentit tout à coup aspiré vers l’intérieur
du Sépher Torah fusée, et se retrouva assis aux commandes de
l’engin spatial, à côté de la méguila imaginaire
!
- Ouaaaaah ! s’exclama-t-il.
Tout n’était que lumière dans la cabine. Des lettres clignotaient
de droite et de gauche, tandis que, face au siège du pilote, un écran
géant sur lequel était écrit « Position départ »,
bleuissait et verdissait en alternance.
- Où suis-je ?! dit-il ébloui.
- A l’intérieur de ton rêve ! Dans ta création toute
personnelle, telle que tu l’as imaginée il y a deux jours !
Puis le copilote pressa
un gros bouton rouge, et la fusée partit d’une
traite. En moins de trois minutes, ils se retrouvèrent dans la salle
de prières.
Ruth sortit
rapidement de la machine, et ouvrit le Arone (armoire où l’on
range les rouleaux). C’est ainsi qu’Itamar découvrit les
yeux et la bouche des Siphré Torah ! Ceux-ci l’accueillirent avec
beaucoup de chaleur et lui souhaitèrent de trouver rapidement la solution à son
problème !
Le garçon interrogea alors l’assemblée afin de comprendre
par quel miracle tout ce petit monde était si bien informé de
ses pensées profondes :
- Nous les avons découvertes lorsque tu en as parlé à ton
papa ! expliqua l’Ancien.
- Et c’est D.ieu qui vous a demandé de m’aider ?
- Par méguila animée interposée ! taquina le vieux rouleau,
mais viens plutôt t’asseoir ici, et racontes-nous avec plus de
précision ce qui te rend malheureux !
D'abord méfiant, l’enfant finit par leur ouvrir pleinement son
cœur :
- … Et je rouspète souvent lorsque je dois me mettre au travail
! décrivit-il, … Je suppose que c’est parce que je suis
encore un bébé, un bébé qui n’a pas envie
de grandir car il aime trop jouer !
- Veux-tu que je te dise, Itamar ! lui répondit le Doyen avec le plus
grand sérieux, je trouve que pour un bébé, tu résonnes
extrêmement bien ! Et je rajouterais que, contrairement à ce que
tu penses, ton problème est un véritable problème de grand
! Maimonide, par exemple, a eu la même épreuve que la tienne !
On raconte à ce sujet qu’il pleura une nuit entière à cause
de ce tourment ! Personnellement, j’estime formidable que tu t’en
préoccupes déjà !
Les paroles du centenaire
rassurèrent
beaucoup notre bonhomme qui poursuivit :
- Papa m’a expliqué que je n’étais pas encore prêt
! Peut-être saurais-tu comment on s’y prend pour se préparer
? Je voudrais tant montrer à mon père que je fais des efforts
! Parce que tu sais, Sépher ! J’ai bien remarqué sa peine
lorsque j’ai osé lui avouer que je n’aimais pas étudier
la Torah !
- Je suis ici pour cela ! intervint soudain Ruth, pleine d'enthousiasme.
La fusée est ton nouvel outil de travail ! Elle te permet, comme tu l’as
superbement bien imaginé, de pénétrer dans l’univers
de la Torah. Choisis un passage, une idée, une énigme ou ce que
tu désires, et moi je t’y conduirai à la vitesse de la
lumière ! Fabuleux, non ?
- Vitesse de la lumière… Sépher, que me conseilles-tu ?
répondit-il tout en s’adressant à l’Ancien.
Celui-ci réfléchit
quelques instants puis proposa :
- Nous sommes dans la période du Omer, n’est ce pas !
- Oui, je le sais !
- Tu as sans doute appris que cette période se divise en sept semaines
!
- Euh … ! hésita-t-il.
- Chaque semaine correspond à une Séphira, et chaque Séphira
coïncide avec un personnage de la Torah. Nous sommes dans la troisième
semaine, donc voyons voir sur le tableau : « Séphira Tipheret, … Yaacov
Avinou ! » C'est lui ou plus exactement sa sphère qu’il
serait astucieux de rejoindre ce soir !
- Séphira … Tipheret… Yaacov (Jacob) ! Je ne sais pas si
je me souviendrai de tout... s’inquiéta le petit.
- Ne te fais aucun souci … ! Je te montrerai le chemin…. ! rassura
la méguila en se redirigeant vers la fusée. Allons-y !
Ils naviguaient depuis
peu au milieu des étoiles, lorsqu’apercevant
une échelle de lumière zébrant le ciel, Ruth stoppa les
machines tout en s’écriant :
- Nous y sommes !
Subitement l’écran central de la cabine de pilotage s’alluma,
et les deux compagnons purent lire :
« Posez votre question ».
Ils se regardèrent l’un l’autre, d’un air étonné :
- Que devons-nous faire à présent ? interrogea Itamar.
- Et bien, formuler ta question et l'expédier par e-mail, comme Ils
viennent de le faire eux-mêmes !
- … Ma question ? S’affola l’enfant.
- Oui, ta question ! Tu pourrais taper, par exemple, sur le clavier la phrase
suivante. Euh… disons…: « J’aimerais comprendre pourquoi
je n’aime pas étudier ? »
- … Aime pas étudier… Oui, c’est bien ! approuva l’élève
tout en obéissant.
La réaction ne se fit pas attendre. Ils distinguèrent au loin
une forme dorée, ornée de trois lettres géantes. A mesure
que la forme s’approchait du vaisseau, ils reconnurent les trois lettres
hébraïques du mot « Emeth » (vérité).
- « Emeth »… chuchota la méguila à l’oreille
de son voisin. C’est la qualité de Yaacov.
La forme s’adressa à eux, et leur dit de sa voix métallique
:
- Je suis venue répondre au Tinoque chel bet raban (petit élève)
!
- C'est moi … souffla le garçon.
- C'est lui ! confirma le copilote un peu bavard.
- Petit, demanda-t-elle alors avec douceur, sais-tu seulement pourquoi D.ieu
a fait descendre la Torah sur votre Terre ?
- Non ! osa-t-il timidement. Pas vraiment…
- Et bien je vais te l’enseigner ! annonça-t-elle, car cette ignorance
me semble être l'une des sources de ta difficulté ! Ecoute donc
: Le Midrach rapporte que D.ieu s’aida de la Torah pour créer
le Ciel et la Terre. Malheureusement, Adam et Hava, les premiers habitants
du monde, mangèrent du fruit de l’arbre de la connaissance du
bien et du mal avant d’en avoir eu l’autorisation. Ils provoquèrent
ainsi un monumental désordre qui chassa la paix de l’En-bas.
Depuis cette époque jusqu’à celle de Moché Rabbénou,
les hommes aimant le Créateur tentèrent sans succès de
rétablir l’ordre perdu. Appréciant leurs efforts, D.ieu
décida de les soutenir. C’est la raison pour laquelle, malgré une
vigoureuse opposition des Anges, il fit descendre la Torah, « mode d’emploi » de
l’Univers, et l’offrit aux Bné Israël (enfants d'Israël),
afin de les aider à réorganiser votre Planète.
N'oublie jamais "Tinoque chel bet raban", que sans Elle, il n’existe
aucune chance de réussite !
Itamar se réveilla brusquement dans sa chambre. Il se dressa, puis tenta
de se rappeler ce qui lui était arrivé la seconde précédente.
Mais comme un coup de vent sur le sable, tout s’effaça subitement
! Seul resta en lui, le souvenir qu’une voix lui expliquait que la Torah
fut offerte aux hommes, afin de sauver la planète.
Plus tard dans la journée, alors que son maître d’école était
en train de lire à haute voix un commentaire au sujet de "Yaacov
Avinou", son songe lui revint par morceaux. Il revit la drôle de
petite méguila et réentendit les encouragements de l’Ancien.
Le soir, pendant qu’il se promenait avec sa famille dans leur ville
toute habillée de fête en l’honneur de Yom Ha’atsmaout
(fête de l’indépendance), son père lui confirma
que lorsque l’on rêve d’une explication ou d’un verset,
cela signifie effectivement que ce passage est une aide envoyée par
l'En-haut :
- C’est un rêve important que tu as fais, mon fils ! lui dit
fièrement Monsieur Ben-Tov.
Pour la première fois de sa vie, Itamar comprit ce que signifiait
que la Torah était une Reine descendue du Ciel pour nous aider, et
qu’en la confondant avec l’école, il l’avait réduite à un
petit livre.
Alors, aux lumières des feux d’artifices qui ressemblaient à ceux
de son cœur, il connut le grand bonheur d’être un peu plus
sage !
Les jours suivants, les
cours de Torah furent bien plus importants pour le garçon. Il s'appliquait à ne laisser échapper
aucun mot.
Mais les semaines passèrent, les devoirs s'accumulèrent, et
les bonnes résolutions du petit écolier faiblirent. Le soir de
Lag baomer (trente-troisième jour du compte du Omer) il se découragea,
jeta ses cahiers à terre, et finit par éclater en pleurs :
- Je n'y arriverai jamais ! C'est trop difficile !
Il sortit en courant, et
rejoignit ses copains, près du grand feu préparé en
l’honneur de la Hilloula (anniversaire de la mort) de Rabbi Chimone Bar
Yohaï.
Il faut vous préciser, les enfants, qu’en Israël, cette
fête est l’une des préférées des jeunes. Les
petits israéliens ramassent du bois presque tous les après-midi
de mois de Iyar (avril mai), pour la préparation de ce feu de joie que
l’on nomme « Médoura ».
Itamar, plus calme, regardait le feu crépitant, lorsque le Sépher-fusée
fit son apparition :
- Quelle chaleur ! entendit-il soudain pester de l’intérieur du
vaisseau.
C’était, comme vous l’avez sans doute deviné, notre
pilote qui sortit de l’engin habillé d’une combinaison antifeu
!
- Je ne sais pas si j’ai bien fait de choisir ce chemin ! dit-il en
retirant sa cagoule. Le Sépher a raison, c’est dangereux une Médoura
!
- Méguilat-Ruth ! s’écria Itamar fou de joie, sans prêter
attention au changement du décor. Mais pourquoi ne reviens-tu que maintenant
!
- Pourquoi ? Et bien, tu dois comprendre que si l’Ancien donne chaque
Chabbat une de ses lettres, cela risquerait bien de lui porter préjudice
!
- Une lettre ?
- Oui ! Je ne t’avais pas dit que les lettres de la Torah sont le carburant
de ta machine ? Etonnant, non ? Le vieux Sépher pensait qu’une
seule suffirait pour toute la mission, mais il s’est malheureusement
trompé…
- Ah ! souffla le garçonnet, un peu embrouillé.
- … Alors, tu es prêt pour la prochaine étape ?
- Euh… Je crois ! Où allons-nous ? A la synagogue ?
- Pas le temps, petit ! Cependant rassures-toi, j’ai déjà noté toutes
les positions nécessaires à la prochaine étape.
Dans le vaisseau, Ruth farfouilla dans ses papiers :
- Voyons, voyons, où ai-je bien pu le mettre ? Ah, le voilà !
Donc, la semaine dernière nous étions la semaine de « Netsah »,
c’est à dire Moché ! Nous l’avons raté, et
c’est un peu dommage !
Cette semaine est celle de « Hod » ! C’est à dire … Aharon
hacohen (le prêtre), son frère !
Elle tapa sans plus attendre le mot « Hod ».
Ce ne sont ni le Beth
hamiqdache (temple), ni les vêtements du Cohen
Gadol (grand prêtre) qu’ils aperçurent en arrivant dans
la région, mais du feu !
- Où sommes-nous ? osa Itamar, la gorge un peu serrée. Tu es
sûre que tu n’as pas fait une erreur de navigation ?
- J’sais pas ! J’suis comme toi ! C’est la première
fois que je viens ici !
Soudain, ils entendirent
au loin des voix pleines de joie chanter avec entrain. Alors qu'ils s’avancaient
prudemment, le chant se fit plus net !
- Bar Yohaï ! Ils chantent Bar Yohaï ! reconnut Itamar avec exaltation.
Mais bien sûr ! Lag Baomer ! C’est Rabbi Chimone Bar Yohaï !
Celui qui dit-on dans la tradition écrivit le Zohar !
- Il semblerait que tu aies raison ! confirma son compagnon.
- Que faisons-nous maintenant ?
- Et bien ! Comme la dernière fois ! Pose ta question !
L'enfant eut à peine
le temps de poser la main sur le clavier que le joyeux groupe de chanteurs
entoura
le vaisseau :
- Itamar ! entonnèrent-ils sur un air que celui-ci connaissait bien.
Patience petit…! Patience… ! Travaille ta patience… ! Apprend
de Rabbi Chimon Bar Yohaï, qui, caché des Romains dans une grotte
durant de longues années, ne perdit jamais patience, et continua à étudier
sans cesser un instant ! Améliore toutes tes midotes (qualités
du cœur), bonhomme ! dirent-ils encore, car la Torah s'éloigne
de celui qui n'en a pas ! Et surtout ne te décourage en aucun cas !
Le petit écolier rouvrit les yeux, et vit que la Médoura était
encore très vive. Il n’avait dormi que l’espace de quelques
minutes, juste le temps à ses copains de rajouter deux nouveaux troncs
d’arbre.
Se frottant les yeux, il
se souvint des voix de son rêve, qui soit dit
en passant, étaient les mêmes que celles des jeunes chantant autour
de lui.
Ce deuxième message le troubla autant que le premier. Il s'en voulut
d'avoir jetté ses affaires à terre, et se promit de ne plus s'emporter,
afin de lui aussi faire partie des "Méritants" de la Torah.
Mais là encore,
le temps eut raison de sa détermination, et
malgré bien des efforts, il échoua.
Suite...
Les illustrations sont de Livna Rotnemer.