VOICI LE PAIN DE MISERE…
Il existe deux
versions à ce
texte: Ha
la'lama anya (ceci est le pain
de misère) et Keha la'hma anya (ceci est comme le
pain de misère).
Quelle nuance implique chacune de ses versions? Reportons ? nous au commentaire
sur la Haggadah de Rav Méir Lehman (zal).
Il était une fois... un homme de valeur qui était très
pauvre. Il en était arrivé à vendre tous ses biens, et,
même ses enfants, il avait dû les vendre comme esclaves. Un jour,
un ami d'enfance, grand propriétaire terrien, qui voulait le tirer d'embarras,
lui propose de prendre en charge l'une de ses terres. Une ère nouvelle
commence alors pour notre homme et pour les siens.
Chaque année, la famille prend l'habitude de fêter ce tournant
dans leur vie. Le père distribue des friandises à ses enfants
et apparaît devant eux, revêtu de ses habits râpés
de jadis, afin qu'ils se remémorent tous leur détresse passée.
II n'y a pas plus grande joie pour eux que de voir leur père, aujourd'hui
riche et honoré, affublé en mendiant.
Mais le sort ne leur est
pas éternellement favorable. A la suite d'un
démêlé avec son ami, le père est un jour contraint
de quitter la terre qui lui a été confiée et de chercher
un autre moyen de subsistance. La misère, à nouveau, s'installe
au point que le père ne possède plus rien à se mettre
que ces vêtements râpés qu'il conservait d'années
en années pour les besoins de la fête. En voyant leur père
dans ce costume, les enfants veulent en rire, comme chaque année, mais
cette fois-ci, le malheureux père leur déclare, en larmes: "Mes
chers enfants, l'aspect que vous me voyez aujourd'hui n'est pas le fait d'un
déguisement mais de la triste réalité!"
Ainsi est-il de la Matsa
du soir du Sédère. Elle nous rappelle
les temps de détresse où les Égyptiens nourrissaient leurs
esclaves de ce pain de misère. Du temps où nous coulions des
jours heureux sur notre terre, nous pouvions dire, chaque Pessa'h: keha
la'hma anya, "ce pain-ci est comme le pain de misère que nos
ancêtres
ont dû manger en Égypte". Mais à présent que
nous avons été exilés, notre Matsa du soir du Sédère
n'est pas une imitation, le pain de misère est notre pain quotidien
...ha la'hma anya, "ceci est le pain de misère".
YA'HATS : LES QUATRES QUESTIONS
Ya'hats, c'est
le rite qui consiste à couper en deux la matsa médiane
des trois matsoth du plat du Sédère. Or, si ce simple geste figure
au "programme" de la soirée au même titre que matsa
(la consommation de la matsa), maror (la consommation des herbes amères),
maguid (étape du récit de la Haggadah), c'est qu'il
a plus d'importance qu'il n'en a l'air. Quel en est le sens?
Toute la soirée du Sédère se joue sur deux tableaux,
l'évocation de l'exil d'une part, l'évocation de la libération
de l'autre. Les questions de l'enfants portent aussi les unes sur l'évocation
de l'exil (matsa et maror), les autres sur celle de la liberté (le fait
de tremper les aliments et celui de manger accoudé).
La Matsa elle-même
revêt une double signification: elle est à la
fois pain de misère et pain de la libération. Ya'hats accentue
cette dualité de la matsa, la première moitié représentant
la misère et la seconde, réservée pour plus tard, représentant
la liberté (l'Afikomen).
C'est une leçon
magistrale qui s'en dégage. Les individus comme
les nations connaissent des périodes de gloire et des périodes
de décadence. Au cours des périodes de gloire, les nations donnent
le meilleur d'elles-mêmes et développent leur civilisation propre.
Les périodes de décadence, en revanche constituent les pages
noires des peuples; elles sont caractérisées par un déclin
culturel, un relâchement des moeurs et souvent par l'éclatement
de leurs valeurs. Israël est l'exception à la règle. Aucun
peuple n'a autant souffert que le peuple juif, qui est devenu le symbole de
l'errance et de la persécution. Pourtant, Israël ne considère
pas son exil comme une valeur négative. Le peuple juif a réussi à faire
de ses millénaires d'exil une période particulièrement
féconde, une période d'élévation morale et spirituelle,
une période de surpassement.
Tel est le sens de ya'hats:
la matsa est formée des deux parties. Il
n'y a pas de page noire dans notre histoire. L'exil comme l'indépendance
sont des valeurs positives. Le pain de misère n'est pas moins constructif
que l'Afikomen qui, comme on sait, évoque l'agneau pascal, symbole de
la libération.
ESCLAVES NOUS ÉTIONS...
"Si le St-Béni-Soit-Il
n'avait pas fait sortir nos ancêtres
d'Égypte, nous serions, nous et nos fils et les fils de nos fils asservis à Pharaon".
Que signifie cette affirmation
? N'est-il pas imaginable que d'autres circonstances aient pu entraîner
notre changement de statut ?
Ce qu'il faut sans doute
entendre par là, c'est que même si Pharaon
nous avait émancipés, nous n'aurions pas pu spirituellement nous
détacher de l'emprise de la civilisation égyptienne. Seuls des
miracles, des signes du Ciel et des manifestations tangibles de la Providence
comme il y en eut, pouvaient nous libérer en profondeur, c'est à dire
nous muter de serviteurs de Pharaon en serviteurs de D.ieu.
À CELUI QUI NE SAIT PAS QUESTIONNER
"Quant à celui qui ne sait pas questionner, c'est toi qui dois
ouvrir le dialogue avec lui, comme il est dit: « Tu raconteras à ton
fils en ce jour en disant: c'est en vue de cela (l'observance des commandements)
que D.ieu m'a fait ?ce qu'Il a fait? en me sortant d'Egypte »."
C'est ce même verset
qui nous sert de base à notre réponse à l'insolent
(racha), auquel nous soulignons cependant: "D.ieu m'a fait à moi
et pas à toi". Mais pourquoi en vérité notre
réponse à celui
qui ne sait pas questionner est-elle presque la même que celle à l'insolent
?
Peut?être peut?on l'expliquer par le fait que celui qui ne sait pas
poser les questions n'en connaît certainement pas les réponses.
II peut donc être facilement la proie de l'influence du racha. Afin de
l'éviter, nous lui fournissons à l'avance la réponse éternelle à ceux
qui nous opposent: "A quoi bon ce culte pour vous?"
AU DÉPART, NOS ANCÊTRES ÉTAIENT DES IDOLÂTRES...
C'est par ces mots que
commence le récit proprement dit. On se serait
attendu, dans un récit qui retrace l'histoire du peuple juif, à ce
que l'on évoque le père du peuple juif, le patriarche Abraham
...Or la Haggadah trouve bon de remonter jusqu'à Téra'h. Dans
quel intérêt le mentionner ? N'aurions-nous pas plutôt avantage à le
passer sous silence ?
La Haggadah a voulu nous
donner la juste perspective, en ce qui concerne l'élection
du peuple juif. "Tu nous as choisis d'entre les nations",
proclamons-nous dans le rituel des fêtes; "Car c'est toi que
D.ieu s'est choisi comme peuple précieux", dit le verset.
Et d'aucuns de se demander s'il ne s'agit pas d'une sorte de racisme qui proclamerait
la supériorité de
la race juive... Rien ne saurait être plus contraire à tout l'esprit
de la Tora qui voit en chaque homme "l'image de D.ieu". Que signifie
donc notre élection ?
La Haggadah nous ramène
loin en arrière, jusqu'à Téra'h.
Celui-ci avait trois fils, Abram, Na'hor et 'Haran. Il n'y avait aucune raison
biologique à ce qu'Abram plutôt que ses frères fût
le père de la nation juive. Ils avaient tous trois grandi dans le même
milieu et vécu dans les mêmes conditions. En quoi se sont-ils
différenciés ? Sur un seul point: Na'hor était idolâtre,
'Haran était à mi?chemin entre l'idolâtrie et la vraie
foi (II était croyant pour autant que cela n'exigeait pas trop de sacrifices);
Abram aurait pu être comme l'un ou l'autre de ses frères, mais
...il a pleinement reconnu son Créateur et il s'est offert à son
service. C'est pour cette raison, et pour cette raison seule, que D.ieu l'a
choisi lui, comme père d'un peuple voué à la même
mission.
BÉNI, CELUI QUI TIENT SA PROMESSE À ISRAËL
Cette louange à D.ieu semble étrange. Après tout, les êtres
de chair et de sang tiennent également leurs promesses... Mais la façon
dont D.ieu tient Sa promesse va bien plus loin que celle dont les humains peuvent
le faire:
1. D.ieu a "calculé la fin" (kets,en hébreu): s'il
s'agissait de tenir Sa promesse au sens strict, les enfants d'Israël ne
seraient jamais sortis parce qu'ils auraient succombé à l'esclavage.
D.ieu a donc raccourci l'exil de 190 ans (kets=190), ce qui Lui a permis de
tenir Sa promesse.
2. Dans l'accomplissement
de la promesse; "Puis ils en sortiront considérablement
enrichis": Il est évident que l'intention divine, dans cette promesse
adressée au patriarche Abraham, concernait autre chose qu'une richesse
d'or et d'argent, laquelle n'était pas de nature à impressionner
un idéaliste comme Abraham. C'est à l'acceptation de la Tora
que D.ieu se référait. Malgré tout, D.ieu prit à coeur
de tenir sa promesse au sens littéral également, selon une parabole
du Maguid de Douvno:
Un jeune garçon
s'était employé chez un artisan. Le travail était
dur mais le salaire promis en valait la peine. Quand vint le moment de le payer,
l'employeur lui remit une enveloppe qui contenait des billets de banque. Le
jeune garçon ne put cacher sa déception. "Est-ce pour
recevoir du papier que j'ai travaillé si dur ?" s'exclama-t-il.
Le patron fit venir le père du garçon pour qu'il lui explique
la valeur de ces "papiers".
"Vous avez raison, répondit la père, les billets valent
certes plus que la monnaie, mais sachez qu'un enfant ne peut pas le comprendre.
Il a besoin de voir quelque chose de tangible en échange de son travail..."
Ainsi, au moment de là sortie d'Egypte, les enfants d'Israël n'étaient
pas encore en mesure d'apprécier la valeur de la Tora qu'ils allaient
recevoir. Dans l'immédiat, il leur fallait quelque chose de tangible
entre les mains pour qu'ils puissent non seulement "croire" en l'accomplissement
de la promesse, mais également la ressentir. C'est pourquoi D.ieu leur
a donné ordre de dépouiller l'Egypte, afin que Sa promesse soit
tenue intégralement.
C’EST ELLE QUI A MAINTENU NOS PÈRES
ET NOUS-MÊMES... CE
N’EST PAS QU'UN SEUL QUI S'EST ÉLEVÉ CONTRE NOUS POUR NOUS
ANÉANTIR...
Est-ce un bienfait que
nos ennemis
aient été nombreux ?
Il faut comprendre que
ce qui nous a sauvés, c'est que nos ennemis
ont souvent été divisés entre eux. II faut donc lire ce
texte comme suit: ce qui nous a maintenus en vie, c'est que la Providence a
toujours veillé à ce que ce ne soit pas "comme un seul homme" que
nos ennemis s'élèvent contre nous pour nous détruire...
DE COMBIEN DE BIENFAITS AVONS-NOUS ÉTÉ COMBLÉS!
Le sens de ce texte n'est
pas de dire, en énumérant chaque bienfait,
que nous nous serions passés du bienfait suivant, ce qui n'a souvent
pas de sens (par exemple, aurions?nous pu ou voulu nous passer de recevoir
la Tora, une fois arrivés au Sinaï? et ainsi de suite...) mais
de nous faire réaliser pas à pas quel miracle a représenté chaque
phase de la Sortie d'Egypte. Il n'est pas suffisant, en effet, pour éprouver
une véritable reconnaissance et nous préparer à réciter
le Hallel en toute conscience, d'évoquer la Sortie d'Egypte de façon
globale mais il est essentiel de se replacer dans chaque phase de l'évènement.
Donnons l'exemple d'un
bienfaiteur qui conduit son protégé vers
un château splendide qu'il lui offre. Ce dernier n'est pas encore revenu
de sa surprise qu'il s'aperçoit, en pénétrant dans les
lieux, que le château est entièrement et richement meublé.
Mais ce n'est pas tout... II découvre, en ouvrant les armoires, que
celles?ci sont emplies de lingerie précieuse et d'un assortiment complet
de vêtements somptueux ...etc.
Ainsi, chaque bienfait
supplémentaire, indépendamment des autres,
est une occasion d'en apprécier davantage l'auteur. Tel est le sens
de "Dayénou", chaque bienfait représentant une raison
suffisante pour Le remercier.
UN NOUVEAU CHANT...
Avant la récitation
du Hallel, on emploie un terme féminin pour
parler d'un "nouveau chant" chira 'hadacha, alors qu'après
le Hallel, dans la berakha sur la délivrance, nous parlons
de chir
'hadach au masculin. Or avant le Hallel, c'est du cantique que nous sommes
sur le point d'entonner, à savoir le Hallel de la soirée, qu'il
est question, alors qu'à la fin, nous évoquons le chant de l'avenir
qui sera chanté au moment de la Délivrance définitive à venir.
Quelle est la signification de cette différence ?
Il faut comprendre que
la Délivrance que nous attendons tous sera différente
de nature de toutes les délivrances qui l'auront précédées.
Le prophète (Jérémie, chap. 15) annonce un temps où l'on
ne se référera plus à la Sortie d'Egypte mais aux miracles
qui auront accompagné notre Retour du dernier exil, tant ces derniers
auront dépassé en envergure ceux de jadis. A quoi tiendra en
réalité la différence ?
Le 'Hatham Sofer l'explique
par le verset d'Isaïe (chap. 61):
"
Au cours de toutes leurs souffrances, Il souffre Lui aussi, et Il envoie un
messager pour les secourir; mais dans Son amour et Sa compassion il les délivrera,
les retirera et les emportera pour toujours."
Le 'Hatham Sopher explique par la parabole suivante:
Un père emploie
son fils et le fait travailler dur car il désire
l'initier à tous les aspects de son affaire. Il lui promet qu'en retour,
c'est lui qui, à la fin de l'année, en prendra la direction.
Tout au cours de l'année, chaque employé reçoit une paye
respectable, chaque mois, alors que le fils ne gagne rien, au grand désespoir
de sa femme. Et le fils de lui expliquer que s'il le voulait, il pourrait,
comme les autres employés, recevoir chaque mois sa paye. "Mais
ne vaut-il pas mieux vivre à l'étroit quelque temps et recevoir à la
fin de l'année la propriété de toute l'affaire afin de
vivre le reste de nos jours sans souci?"
Ainsi D.ieu nous dit: "Il est vrai que vous souffrez, mais Je sais que
tout ce temps d'exil n'est que pour votre bénéfice. Si Je voulais
vous délivrer, je pourrai dès aujourd'hui vous déléguer
un messager pour vous soulager. Mais ce ne serait qu'une délivrance
momentanée. La délivrance définitive ne peut être
apportée que par Moi directement. Or, pour mériter Mon intervention
directe, il vous faut encore patienter!"
Chira 'hadacha, un chant
au féminin, est la réaction qui convient à une
délivrance partielle, comparée à une naissance où malgré la
joie la femme est en peine. Chir 'hadach, un chant au masculin, ne peut concerner
que la Délivrance finale, oeuvre forte et définitive.